L'Aadl "efface" les grands procès

Un désintéressement des citoyens des plus inquiétants!Ces procès sont-ils des discussions de salon ou les Algériens s'intéressent-ils réellement à ces sujets brûlants' Pour tenter de répondre à la question nous sommes allés à la rencontre de citoyens dans la rue ou sur les réseaux sociaux.Le printemps 2015 est celui des grands déballages en Algérie. En effet, la justice est en train de traiter les gros procès de corruption. De Sonatrach en passant par l'autoroute Est-Ouest jusqu'à Khalifa, les procès à scandale se suivent avec pour chacun son lot de révélations. Ajouté à cela, les sorties tapageuses de Louisa Hanoune et Amar Saâdani, qui tirent sur tout ce qui bouge. Vous obtiendrez une scène médiatique en véritable ébullition. Les journalistes sont surexcités devant tant d'informations croustillantes. C'est même un régal pour eux. Mais est-ce le même cas chez les citoyens lambda'Les Algériens s'intéressent-ils réellement à ces sujets brûlants ou est-ce seulement des discussions de salon comme est devenue la politique en général dans notre pays' Pour tenter de répondre à la question, nous sommes allés à la rencontre de citoyens dans la rue ou sur les réseaux sociaux. Appréciez plutôt, vous allez être étonnés. Première étape, l'endroit où l'on débat de tout et où l'on peut prendre le pouls de la société, à savoir le... coiffeur. On va chez Djamel, installé dans la banlieue est d'Alger. Notre ami a l'habitude d'avoir un avis sur tout, il suffit juste de le «piquer». C'est ce que nous faisons en abordant le sujet de l'autoroute Est-Ouest. «Rahi rayba (elle est complètement déglinguée)», nous lui lançons. Il ne fallait pas plus pour qu'il entre dans le vif du sujet.Ça on n'en parle même pas chez le coiffeur«Oui, klawha gaâ (il l'ont complètement bouffée)», souligne-t-il en référence aux malversations qui se font ressentir dans son délabrement. On lui demande alors son avis sur le procès qui est en train de se dérouler au niveau de la cour d'Alger. «Yawe mazalek niya (tu es encore naïf).Tu crois vraiment que ces procès servent à quelque chose' On ne sait même pas si ce sont les vrais coupables qui sont jugés. Chakib Khelil s'est sauvé sans être inquiété alors ceux qui sont ici...», estime Djamel d'un air très en colère. «Et même si c'était le cas, qu'est-ce qui nous assure qu'ils sont ou iront vraiment en prison. J'ai par exemple lu ce matin, que Khalifa va être jugé aujourd'hui. Tu crois toi qu'il est vraiment en prison' Quelqu'un qui était aussi puissant que lui croupit en prison' Moi je ne l'ai pas vu donc je ne pense vraiment pas qu'il le soit», poursuit-il avant de changer de sujet, car il ne le trouvait pas intéressant vu que ni il le divertit ni il nourrit ses enfants.C'est de même pour les clients du salon qui préfèrent parler de football avec notamment la finale de la coupe d'Algérie de football avec la victoire du MO Béjaïa mais surtout le championnat espagnol et les coude-à-coude Barca-Real, Messi-Cristiano. Nous sortons de chez Djamel en restant sur notre faim alors qu'on pensait qu'il allait vider son sac.Nous prenons donc un taxi, deuxième endroit réputé comme baromètre de la société. Nous tombons sur un vieux de la vieille très sympathique, qui semble être le chauffeur de taxi aux mille et une réponses. Il commence par nous parler de la chaleur suffocante, des islamistes et leur tentative de fourvoyer encore la société algérienne, du tremblement de terre au Népal, du football national et international, de la bourde du maire d'Ankara, du combat de boxe du siècle Mayweather-Pacquiao,... Bref, il passe en revue l'actualité nationale et internationale sans piper mot sur les grands procès de corruption qui se tiennent actuellement. Nous osons quand même lui poser la question: «Hahaha, wakila (je pense) que tu es un lecteur des journaux étatiques' Sinon comment peux-tu croire à ces mises en scène montées spécialement pour nous faire oublier notre réalité.» «Allah yahdik mon fils. Tu m'as l'air pourtant d'être intelligent», réplique-t-il avant de me conseiller de ne pas croire tout ce qui est écrit dans les journaux.Les problèmes du quotidien avant toutNotre balade n'aura pas été plus fructueuse que notre coupe de chevaux. Alors la décision est prise, rien ne vaut la vox-populi classique, en interrogeant directement les gens dans la rue. «L'autoroute Est-Ouest, Khalifa, Sonatrach' Ils vont me donner un travail, ma carte militaire ou de l'argent' Si ce n'est pas le cas, cela ne m'intéresse pas», nous répond un jeune étudiant du côté de la fac centrale d'Alger. Une de ses amis qui l'accompagnait rétorque scrupuleusement: «Dites-moi, c'est vrai que le timbre pour le passeport sera gratuit' Je veux refaire le mien mais six mille dinars, c'est trop pour moi». «Il me donne juste le timbre gratuitement et accessoirement le visa. Et ils peuvent dilapider tout le pays...», soutient-elle avec humour, mais cela a tout l'air d'être le fond de sa pensée. Khaled, lui est fonctionnaire de son état, et lui aussi répond à notre question par une question hors sujet. Il nous demande des nouvelles du programme Aadl.«Vous êtes journalistes. Vous avez sûrement quelques informations sur le sujet. S'il vous plait éclairez-moi.Avec tout ce qui se dit et s'écrit, j'ai peur pour mon logement», fait-il savoir, en assurant qu'il n'était absolument pas au courant du déroulement de ces procès et qu'il n'en avait rien à faire. «Revenez après qu'on m'ait donné mon logement Aadl, j'aurais peut-être la tête à penser à la corruption qui gangrène le pays. Mais pour le moment, ce qui me tracasse, c'est l'avenir de mon logement et le loyer que je dois payer chaque année», avoue-t-il. Même son de cloche chez Samy, manager dans une multinationale. Il demande des éclaircissements sur les projets LPP:«Tant que cela ne touche pas mon LPP...» Nadia femme au foyer, se refuse elle à tout commentaire sur ces procès qu'elle qualifie de non-événement. «Allez faire un vrai reportage sur la violence qui frappe lourdement notre société. Vous avez vu ce qui est arrivé au petit Ramzi d'El Biar, Allah yerahmou», nous conseille-t-elle avec presque du mépris de nous intéresser à ce genre de sujets.Finalement la bonne «vox-populi» n'aura elle aussi rien donné. Fatigué et ayant surtout soif, on va dans un café pour se désaltérer. On en profite pour écouter les discussions de café. Point de procès de corruption dans les débats. On tente quand même de jeter notre hameçon dans l'espoir de voir quelqu'un se brancher! Hallelujah!! Un homme d'une cinquantaine d'années avec des journaux à la main, se mêle à la discussion. Il nous fait le résumé de tous ces procès qu'il semble connaître sur le bout des doigts, avant de pester sa colère sur cette corruption qu'il qualifie de nouveau terrorisme.Seul contre tous...«Où va-t-on comme ça' Tout est pourri. Ces procès ne sont que la face visible de l'iceberg, je souhaite vraiment qu'il y ait des condamnations exemplaires et que les intouchables soient aussi inquiétés dans ces affaires», s'insurge-t-il mais personne ne suit cette discussion. Le quinquagénaire continue de crier sa colère, tandis que les autres continuent de parler de leurs tracas quotidiens et du football.Après cette tournée dans la vie réelle, on décide de faire un tour dans le virtuel pour avoir l'avis de la Toile sur le sujet. Bizarrement, les internautes qui d'habitude sont fans de ce genre de scandales semblent désintéressés. Pas de statuts facebook parlant du sujet et encore moins de «hastags» populaires sur tweeter. Seuls les pages ou comptes de sites spécialisés abordent le sujet.Les internautes interrogés dénoncent le mauvais état de l'autoroute Est-Ouest qui continue de se dégrader ou les recrutements chez Sonatrach et leurs scandales.Il faut aller vers des gens très politisés ou du domaine juridique ou journalistique pour avoir des discussions et avis sur le sujet. Et encore, la majorité est «polluée» par des considérations partisanes ou traitent du sujet sous un aspect professionnel, mais on n'a pas cette authenticité et cette rage qui viennent du fond de la société. Il semble y avoir un détachement et désintéressement total de la chose. On a même l'impression que les gens préfèrent fermer les yeux et tourner la tête à ces sujets qui fâchent...! Ce genre de comportements n'augure rien de bon. Nos compatriotes ont l'air de ruminer leur colère. Espérons juste que ce calme ne soit pas celui qui précède la tempête...