Au bout de la route qui mène de Belgaïd vers Kristel, et qui traverse
tout le village, on débouche sur une sorte de croisement. Vers le bas, la route
conduit au port et se termine subitement pas loin du mausolée de Sidi Moussa. A
l'inverse, celle qui monte débouche sur un tournant et continue soit vers le
cimetière et la plage dite de Aïn Defla, soit se prolonge jusqu'à la sortie du
village et engage vers la forêt de Gdyel. Le marché de Kristel se situe
exactement au tournant. A l'air libre, il est coincé entre le point le plus culminant
de la route et la source, où tous les habitants du village, et même des
visiteurs, viennent puiser de l‘eau douce. Généralement, c'est le vendredi
après-midi que ce marché connaît sa plus importante affluence. Se construisant
patiemment une réputation, il a fini par acquérir des habitués en provenance de
la ville, distante d'une dizaine de kilomètres.
Proposant des produits en provenance des vergers qui ont fait la
réputation de Kristel, la dizaine de marchands de ce marché sont tous issus du
village et s'en réclament. D'âge mûr pour la plupart d'entre eux, on dirait
qu'ils cultivent sciemment leur apparence pittoresque. Burinés par le soleil,
on peut facilement les prendre pour des marins en raison de leur accoutrement
et de leur propension à utiliser un vocabulaire espagnol. Certains d'entre eux
dégagent une certaine sérénité et arrivent sans la moindre peine à briser la
glace avec le client le plus réticent à l'échange avec ses semblables. Point de
rencontre de citadins et des locaux, ce marché ne connaît pas d'altercation ou
de commerce de langage vulgaire. Peut-être que le cours d'eau et la fraîcheur
se dégageant de ses produits frais adoucissent le tempérament des visiteurs.
Même quand on n'achète rien, on s'y rend juste pour s'imprégner d'une
indescriptible ambiance qu'on ne trouve nulle part ailleurs.
A même le sol ou sur des caisses en plastique, la marchandise est à la
portée de la main et du regard du client. Ici, on ignore l'usage de la balance.
L'unité de mesure n'est pas le kilogramme mais la petite botte ou le paquet. On
y trouve des carottes, des navets, des betteraves, de la salade verte,
notamment la frisée, des ognons... On peut y acheter aussi des poireaux, des
radis, des épinards, des tomates, des haricots verts... Avant d'être exposée à
la vente, toute la marchandise est nettoyée dans le bassin de la source. Ce qui
permet de la débarrasser de la terre, d'une part, et prolonge la durée de sa
fraîcheur, d'une autre. Cette tâche incombe aux enfants, promus à prendre la
relève de leurs aînés. Ce spectacle de petits bras se déployant pour soigner
l'aspect des radis ou des carottes est destiné à rassurer l'éventuel client.
Signalons que la qualité de l'eau d'irrigation, venant des montagnes qui
surplombent le village, est l'autre atout de la marchandise exposée.
Deux facteurs, dont l'un historique, ont orienté les gens de Kristel vers
ce genre de culture. La taille des exploitations en premier lieu. Les habitants
de ce village exploitent des petits lopins de terre dont la surface excède
rarement quelques centaines de mètres carrés chacun.
Ces vergers répondent parfaitement à la définition de culture vivrière,
puisque c'est le surplus de la production qui est en principe destiné à la
vente. Mais l'absence d'autres sources de revenus pour les familles les a
poussées à produire pour la commercialisation. Dans ce village, en dehors de la
pêche, saisonnière somme toute en raison de l'absence d'une véritable flotte de
pêche, l'exploitation de ces lopins est la principale activité des populations.
D'où le choix de certains produits, jadis prisés par les colons, et
actuellement de plus en plus demandés. Tels que les poireaux et les radis qui
reviennent dans le menu ordinaire de certaines familles.
Mais, selon les dires de certains vieux du village, la culture dans ce
village continue d'ignorer, et à dessein, le recours aux fertilisants et autres
produits chimiques. On préfère le dur travail manuel avec une sape à
l'utilisation des désherbants chimiques. De toute manière, nous explique-t-on, ces
inputs se traduiraient dans les prix que nous pratiquons et risque de nous
faire perdre notre clientèle. Le défi que se fixent ces marchands est des plus
simples : garantir un produit de bonne qualité à un prix abordable. Ils
essayent d'écarter les intermédiaires. Le petit marché leur sert d'espace de
rencontre avec leur clientèle en leur qualité de producteurs directs. Parce
qu'à Kristel, la culture de la terre est source de revenu mais aussi une
occupation et un mode de vie. Mais nombreux sont persuadés que la spéculation
est là, quelque part tapie dans l'un des replis de cet espace servant de
marché, les guettant pour les dépouiller de ce qui fait leur trait distinctif.
L'exemple de la pêche leur rappelle à chaque passage d'une camionnette
frigorifique ce risque : des restaurateurs de la ville d'Oran et des marchands
ont mis la main sur le produit de leur côte, privant de nombreuses familles de
goûter au poisson frais à un prix raisonnable. Eux dont la mer demeure leur
horizon de tous les jours…
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Posté Le : 31/03/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ziad Salah
Source : www.lequotidien-oran.com