Algérie

«Krim se distingue de tous...»



L'Expression: Qu'en est-il de l'itinéraire du signataire des accords d'Evian, Belkacem Krim'Ramdane Redjala : Belkacem Krim est avant tout un homme d'action et non un intellectuel porté à la spéculation politique ou idéologique. D'où son choix de se faire incorporer avant même d'avoir bouclé ses 21 ans, âge légal de la majorité d'alors. Le 26 novembre 1944, il devient caporal-chef au 1er régiment des tirailleurs algériens (RTA). Revenu à la vie civile, il adhère au Parti du peuple algérien (PPA) à l'âge de 24 ans. Militant actif et dévoué, il est contraint de se réfugier au maquis en 1947 en raison de ses démêlés avec la justice qui l'accuse d'avoir assassiné le garde-champêtre. Dès ce moment, il va s'accoutumer à la clandestinité et à la méfiance au point qu'elles deviennent sa seconde nature.
Ainsi que la grande majorité des cadres et militants nationalistes kabyles de l'époque, Krim Belkacem était indifférent, voire même hostile à la revendication berbère. Ni son niveau intellectuel ni ses préoccupations immédiates ne le prédisposaient à s'interroger sur la question linguistique ou identitaire.
Durant la crise qui secoua le PPA-MTLD en 1948-1949, Krim Belkacem choisit de se placer, sans état d'âme, du côté de la direction. Son hostilité à l'égard des militants et dirigeants kabyles qui voulaient introduire le débat sur la question de l'identité nationale lui valut d'être promu responsable de la Grande Kabylie.
Il n'hésite pas à ouvrir le feu sur Ferhat Ali, partisan de la berbérité, qu'il blesse à l'épaule. Sa fidélité au parti et au zaïm Messali sera sans faille jusqu'à la veille du mouvement insurrectionnel du 1er novembre 1954. Avec sa connaissance du terrain, sa grande expérience de maquisard de 7 ans déjà et son influence sur des centaines de militants kabyles, il négocia âprement avec les membres du CRUA, dont Ben Boulaïd et Boudiaf, la réunification des deux Kabylies que Ouali Bennaï ne cessa de réclamer depuis 1945.
Chef historique de la Kabylie réunifiée, Krim exerça une réelle grande influence, non seulement sur sa région, mais également sur le développement de la guerre de libération. Il partagera ce pouvoir avec ses camarades et néanmoins rivaux tels Lakhdar Ben Tobbal et Abdelhafid Boussouf jusqu'en 1958.
À partir de ce moment, il perd l'initiative et son influence s'estompe au fur et à mesure de la montée en puissance de l'état-major général dominé par le clan d'Oujda. Chef de la délégation qui signa les accords d'Evian, il devient une cible pour ses adversaires dont le clan d'Oujda formé autour de Boumediene et des cinq emprisonnés.
Que s'est-il passé durant la crise de l'été 1962'
Le dénouement de cette crise sanglante qui va de mars à septembre a été déterminant pour l'avenir de l'Algérie post- indépendante. Malgré les apparences, la victoire revient au clan le plus conservateur du FLN et de l'ALN. Les deux hommes forts de cette courte période:: Ahmed Ben Bella et Mohammed Khider ont été le fer de lance de la coalition de Tlemcen qui a pris le pouvoir en septembre. Ils ont ruiné l'autorité du GPRA, remis en cause sa légitimité en s'appuyant essentiellement sur les bataillons du colonel Boumediene, le ralliement des Wilayas I (Aurès), V (Oranie), VI (Sahara), une partie de la II (Constantinois), une partie de la ZAA et Khider et ont reçu également le soutien de Ferhat Abbas qui règle ainsi ses comptes avec son successeur à la tête du GPRA, Benyoucef Ben Khedda. Enfin, ils bénéficient de la neutralité de Hocine Ait Ahmed qui démissionne le 27 juillet de toutes ses responsabilités et gagne l'Europe d'où il observe le déroulement des évènements. Seules les Wilayas III (Kabylie) et IV (Algérois) ainsi que la Fédération de France échappent à la férule de la coalition de Tlemcen malgré quelques tentatives de déstabilisation. Krim Belkacem est l'un des grands perdants de la crise de l'été 1962.
Qu'en est-il de ses initiatives au lendemain de l'indépendance'
Au moment de la signature des accords d'Evian, Krim Belkacem était déjà passablement affaibli au sein de la hiérarchie du FLN et de l'ALN. Après avoir eu le vent en poupe au début du mouvement insurrectionnel, les dirigeants kabyles ont perdu l'initiative au détriment des partisans de Ben Tobbal, Boussouf, Ben Bella qui soignait déjà sa popularité, de Boumediene chef de l'armée stationnée aux frontières marocaine et tunisienne et qui ne cessait de se renforcer grâce aux livraisons des armes lourdes reçues des pays de l'Est et arabes. Au moment crucial de la crise, Krim Belkacem et Mohammed Boudiaf tentèrent vainement d'organiser, à partir de Tizi Ouzou, la résistance contre le coup d'Etat décidé par la coalition de Tlemcen.
Le 25 juillet 1962, les deux dirigeants signent un communiqué commun en vue de créer un Comité de liaison de défense de la révolution (Cldr). «Ce coup d'Etat, s'il venait par malheur à réussir, signifierait l'instauration d'une dictature», déclarent-ils à partir de la capitale du Djurdjura.
Deux jours plus tard, Hocine Ait Ahmed démissionne de toutes ses responsabilités et s'envole pour Paris. Le Comité de liaison ci-dessus ne verra jamais le jour en raison d'une conjoncture prodigieusement mouvante qui change au jour le jour. Pendant que Boudiaf s'active à préparer la création du Parti de la Révolution Socialiste qui sera proclamé le 20 septembre 1962, Krim Belkacem dépourvu de troupes hormis celles de la wilaya kabyle qu'il a créée et dirigée, se contente de réaffirmer ses positions sur le respect de la légalité, de la démocratie et, par voie de conséquence, du suffrage universel; suprême souverain. «Je continuerai à m'opposer, par tous les moyens, à toute tentative de dictature et de pouvoir personnel», déclare-t-il.
Krim Belkacem a créé l'Union pour la défense de la révolution socialiste (Udrs), bien avant la naissance du FFS, n'est-ce pas'
En mai-juin 1963, Krim Belkacem entreprend une série de contacts afin de créer son mouvement politique. Il le fait dans une conjoncture marquée par la brusque rupture du binôme Ben Bella-Khider, l'arrestation de Mohammed Boudiaf et les réticences du député de Sétif, Hocine
Ait Ahmed, à l'égard de Ben Bella.
Après avoir observé une neutralité bienveillante à l'égard de la coalition de Tlemcen et accepté de siéger au sein d'une Assemblée croupion, Ait Ahmed décide à son tour de se doter d'une force politique.
Craignant de subir le même sort que Boudiaf, Krim quitta précipitamment l'Algérie tout en annonçant son opposition au pouvoir.
«Nous avons le devoir de reprendre le combat», déclare-t-il. Ben Bella réagit en accusant le signataire des accords d'Evian d'avoir «des crimes sur la conscience, et son nom le dit bien: Krim. Ces gens qui prétendent être des héros de la révolution, ont rempli la terre de Tunisie des tombes dans lesquelles reposent de glorieux moudjahidine». Profitant de cette nouvelle donne, Hocine Ait Ahmed s'apprête à quitter l'hémicycle et à créer lui aussi son mouvement.
Certes, le futur FFS n'est pas le prolongement direct de l'UDRS, mais il a su récupérer habilement tout le travail de préparation et de contact réalisé en amont par celui qu'il considère comme un sérieux rival: Krim B.
Parlez-nous de l'assassinat de Krim Belkacem'
Rejeté par Hocine Ait Ahmed qui lui a barré l'accès au FFS alors qu'il se considérait comme l'un des fondateurs, isolé politiquement, le «Lion des djebels» vit mal sa traversée du désert. De 1963 à 1967, l'homme d'action s'est ennuyé et trépigne de passer de nouveau à l'action.
Le 18 octobre 1967, lors d'une conférence de presse à Paris, il annonce la création de son parti: Le Mouvement démocratique de la révolution algérienne (MDRA). Une fois l'effet de surprise passé, la mayonnaise ne prend pas car il arrive à un moment où le terrain commence à être saturé. Outre le PRS-CNDR, il convient de signaler le FFS, l'académie berbère, l'Organisation clandestine de la révolution algérienne (OCRA), le Rassemblement unitaire des révolutionnaires (RUR) et l'Organisation de la résistance populaire (ORP) apparue au lendemain du coup d'Etat et regroupant l'ex-PCA et les ben bellistes de gauche. Mais Krim se distingue de tous ses concurrents par le refus du socialisme et le choix pour le système libéral. Quatre mois après avoir proclamé le MDRA, le 22 février 1968, un communiqué du pouvoir algérien annonce l'arrestation de «quatre tueurs et 13 complices» accusés d'avoir organisé, pour le compte de Krim Belkacem, deux tentatives d'attentat contre le responsable de l'appareil du parti, Ahmed Kaïd, à Tizi Ouzou et à Alger le 24 janvier. Le signataire des accords d'Evian publie un démenti à ces accusations. L'affaire rebondit le 16 mars 1969. Cette fois, la
«Cour révolutionnaire d'Oran» accuse 56 personnes, dont Krim Belkacem, de complot contre la sûreté de l'Etat et de tentative d'assassinat. Moins d'un mois plus tard, cette même Cour dite «révolutionnaire» condamne à mort Belkacem Tamsaout, Slimane Amirat et par contumace Krim Belkacem. Dès lors, la guerre est déclarée entre Boumediene et le fondateur du MDRA. Mais les deux protagonistes ne disposent pas des mêmes forces.
Dirigée par l'un des «Boussouf Boys» Abdallah Khalef alias Kasdi Merbah formé à l'école soviétique, la Sécurité militaire, véritable police politique au service du régime est chargée de mettre hors d'état de nuire l'un de ses opposants le plus dangereux. En effet, dans les années,1970, le régime algérien ne craignait ni le Parti de la révolution socialiste peu intéressé par la prise du pouvoir car engagé dans un long processus de construction
d'un «parti d'avant-garde des travailleurs», ni le FFS entré en hibernation pour plus d'une décennie et encore moins le PCA-PAGS devenu son allié. Par contre, il redoutait les initiatives de Krim qui représentait une véritable menace. Dans cette guerre des ombres où tous les coups sont permis, Boumediene s'appuie sur son bras armé, la Sécurité militaire, pour neutraliser définitivement le leader du MDRA en lui faisant subir le même sort que le banquier de l'opposition, Mohammed Khider, assassiné le 3 janvier 1967 à Madrid.
Attiré dans un guet-apens par des hommes de Kasdi Merbah avec «la complicité des proches», Krim dont la méfiance s'est quelque peu émoussée, accepte de se rendre seul à un rendez-vous le 18 octobre 1970 à l'hôtel Intercontinental de Francfort en Allemagne.
Ainsi, l'homme rompu à la vie clandestine, qui a survécu à la guerre de libération, meurt étranglé avec sa cravate probablement par des professionnels de la Sécurité militaire. Ainsi prend fin dans une chambre anonyme d'un hôtel à Francfort la vie d'un des six principaux chefs historiques du FLN et de l'ALN, qui ont permis à l'Algérie de devenir indépendante pour la première fois de sa longue histoire.
Quelle est la place réservée à Krim Belkacem dans les livres d'histoire'
Nous entretenons une relation compliquée par rapport à notre histoire. Autant il nous est facile et légitime de dénoncer les méfaits du colonialisme français, voire même ceux de la Rome antique, autant nous éprouvons un profond malaise à évoquer les ravages causés par la conquête arabo-musulmane ou celle de la domination turco-ottomane. Ce rapport malsain à l'égard de notre passé est sciemment entretenu par ceux qui ont gouverné le pays depuis l'indépendance.
Les nouvelles générations doivent savoir que le colonel Boumediene, devenu chef de l'Etat grâce au putsch qu'il a orchestré le 19 juin 1965, a interdit toute écriture sur l'histoire, toute recherche historique non conforme à l'idéologie arabo-islamique sous peine d'arrestation par la Sécurité militaire.
La période de la guerre de libération est particulièrement ciblée par cette censure draconienne.
C'est ainsi que les noms des principaux initiateurs du 1er novembre 1954, dont celui de Krim, sont bannis des médias et discours officiels à l'exception de ceux qui sont morts. Ces derniers, il est recommandé de les encenser sans limite puisqu'ils ne constituent plus une menace pour son régime.


Ramdane Redjala est l'auteur du livre Histoire des mouvements et partis politiques
en Algérie depuis 1962 et coauteur de Abdel-Kader avec Philippe Zoummeroff et Smaïl Aouli.


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