Algérie

KIOSQUE ARABE Les héritiers présomptifs d'Ibn Al-Baz



KIOSQUE ARABE Les héritiers présomptifs d'Ibn Al-Baz
Par Ahmed Halli
halliahmed@hotmail.com
S'il est vrai, selon l'adage, que c'est en forgeant que l'on devient forgeron, le président transitoire tunisien Moncef Marzouki devrait finir comme prédicateur islamiste à la télévision. Qu'on en juge : d'abord, pour montrer qu'il joue le jeu à fond, il déploie une passion et un enthousiasme qui surprennent ses propres alliés pour défendre le changement providentiel qu'il perçoit chez les islamistes. Il fait mieux encore en attaquant à tout bout de champ les extrémistes de gauche, son camp de base, comme pour mieux nier l'existence d'un extrémisme islamiste. Dans la foulée, il s'en prend aux médias français qui exagèrent le péril vert, ce qui est normal : quand on est dans la gueule du loup, on ne voit pas sa queue.
De ce point de vue, les médias français méritent ce coup de Jarnac, car on n'a pas idée en effet d'opposer Tarik Ramadan et Ghannouchi, issus du même moule réfractaire. On ne s'arrête pas là lorsqu'on est à fond dans une liaison dangereuse, et qu'on voudrait qu'elle dure au-delà de la transition. Moncef Marzouki est tellement désireux de nous faire partager ses nouvelles inclinations, qu'il se met à paraphraser le discours idéologique de ses partenaires de la Nahdha, et de l'Islam politique en général. Alors que ces derniers proclament, sur un ton messianique, que l'Islam est la «Solution», voire la seule «Solution», Moncef Marzouki joue les exégètes novateurs. Tout en nuances, il nous explique que l'Islam, en tant que religion, propose des solutions aux problèmes de notre temps, ce qui n'est pas tout à fait la même chose, et respecte la différence entre «Tunisie verte» et «Verte Tunisie». Prophétique Farid Al-Atrache ! On l'encenserait s'il n'avait eu le mauvais goût d'oublier «Alger la blanche» dans son périple sur «Tapis volant»(1). Il y a quelques mois, Moncef Marzouki avait parlé d'influence réciproque dans sa relation avec les islamistes de la Nahdha. Il affirmait, sans fausse humilité, qu'il avait «aidé à rapprocher les islamistes de la démocratie et des droits de l'Homme». Service pour service, les islamistes lui auraient fait comprendre qu'on ne pouvait réformer la Tunisie «sans tenir compte de sa religion et de son histoire». Or, le Marzouki, cuvée 2012 s'il m'autorise l'expression, ne semble pas représenter le modèle achevé de cette «influence réciproque». On peut voir l'avancée considérable des islamistes en matière de droits de l'Homme, en voyant comment des journalistes sont agressés par des barbus (ils le sont tous, de la Nahdha au néo-Hamas en passant par le FLN) à l'entrée des tribunaux. On les appelle «salafistes», pour les opposer à la Nahdha, mais ils ont en commun les mêmes projets. Ils augmentent ainsi de façon exponentielle leur respect des libertés voulant interdire la mixité au sein de l'université. Sans compter les multiples tentatives d'imposer le port du niqab, officiellement interdit, dans les amphithéâtres et les salles d'examens. Dans un récent reportage sur les milieux dits fondamentalistes, le magazine Elaph est revenu sur les événements de la petite ville de Sejnane (dans la région de Bizerte), livrée à la loi intégriste. L'opposition tunisienne a dénoncé la passivité du gouvernement que ce soit à Sejnane ou dans de nombreux autres cas de remise en cause de l'autorité de l'Etat. Quant au parti islamiste majoritaire, elle oscille entre la timide dénonciation et le soutien feutré aux excès commis par les rigoristes tunisiens. Un opposant explique les hésitations de la Nahdha par le souci de ménager sa base électorale sous influence fondamentaliste. En l'état actuel des choses, la Nahdha compte essentiellement sur l'influence des mosquées au sein desquelles les fondamentalistes sont très présents. De plus, ces derniers ont beaucoup plus de points de convergence, qu'il n'y paraît, avec le parti au pouvoir, et leurs différences idéologiques sont à peine perceptibles. Les différences entre la Nahdha et les salafistes sont encore plus ténues rapportées à certaines prises de position du leader islamiste Rached Ghannouchi, par lesquelles il affiche ses sympathies à l'égard du wahhabisme. Ainsi, on ne se prive pas de rappeler en Tunisie l'article élogieux sur Ibn Al-Baz(2) publié l'an dernier par Ghannouchi dans une revue électronique saoudienne. Le leader intégriste y célébrait l'une des grandes figures de l'obscurantisme saoudien et planétaire, tout simplement parce qu'il avait édité une fatwa excommuniant Bourguiba(3). Ibn Al-Baz a disparu, mais le wahhabisme continue à lui produire de dignes successeurs, comme ceux qui sévissent sur les plateaux des chaînes satellitaires. Haut fonctionnaire au ministère des Wakfs saoudiens, le théologien Abdelaziz Ettarifi est l'auteur de la première fatwa bancaire de l'année en autorisant l'usage frauduleux de cartes de crédit israéliennes. Des hackers saoudiens se sont, en effet, spécialisés ces derniers temps dans l'utilisation de cartes de paiement émises par des banques israéliennes. Son principal argument est que seules les banques islamiques sont conformes au droit et doivent donc être à l'abri de la fraude et de la contrefaçon. Toutefois, Abdelaziz Ettarifi n'oublie pas qui le paie, et par quelle procédure, et il exclut du champ de la fraude «légale» les banques étrangères ayant passé des accords avec les banques islamiques. Quand on vous dit qu'Ibn Al-Baz a des héritiers dignes et méritants.
A. H.
(1) Il paraît que Farid a sciemment «brûlé» l'étape algéroise de son «Bissat-Errih» par vengeance. Il n'aurait pas apprécié les infidélités d'une de nos compatriotes aux charmes aérodynamiques avec qui il aimait jouer à «Tapis volant !». En tout cas, les Algérois n'ont pas apprécié cette omission et l'ont fait savoir au chanteur à coups de tomates pourries lors de son unique passage à Alger.
(2) Ibn Al-Baz, dit «Le Salafiste» a été jusqu'à sa mort en 1999 le plus influent patriarche du wahhabisme dont il incarnait l'attachement au rejet de la modernité et au refus des réalités scientifiques. Ibn Al-Baz soutenait notamment que la terre était un disque plat avec La Mecque en son centre, de même qu'il niait la conquête de la lune par les Américains.
(3) Quelle que soit l'antipathie qu'on éprouve à l'égard des dictateurs, et Bourguiba en était un incontestablement, on ne peut que reconnaître la justesse de certaines de ses positions, notamment sur le conflit du Proche-Orient, qui lui avaient valu la vindicte des apôtres de l'arabo-islamisme.


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