Algérie

KIOSQUE ARABE Conquête, reconquêtes et vertiges



KIOSQUE ARABE Conquête, reconquêtes et vertiges
Par Ahmed Halli
halliahmed@hotmail.com
Je ne sais à quoi il obéit, mais il m'énerve à chaque fois, cet acharnement des journalistes arabophones, en particulier des sportifs d'Al- Jazeera, à «reconquérir» les identités ensevelies. En Espagne, on le sait, le mal de l'Andalousie perdue fait plus mal aux Qataris, qu'aux habitants de Tanger. Alors, on ne se prive pas de raconter aux Espagnols, qui aiment les belles légendes, quel bonheur aurait été le leur sous la bannière de la Ligue arabe. C'est pourquoi les reporters sportifs qui n'ont certes pas connu l'Andalousie mythique ne se privent jamais de rappeler que l'équipe de Valladolid est celle du «Bilad- Alwalid». Parfois, je me sens tout ému par le terrible drame que doivent vivre des commentateurs, littéralement sommés de fouiller dans les grimoires pour retrouver des mots ou des analogies arabes. Ces rappels incessants incitent plus d'un à souhaiter que Valladolid descende, ou redescende, en division inférieure, afin d'échapper à cette nostalgie étouffante. Mais d'aucuns vous diront que les Qataris sont capables de racheter le club, d'y injecter des milliards, afin de le maintenir à flots, et dans le viseur des caméras d'Al-Jazeera. Et puisqu'on parle encore de football, même si c'est hors saison, évoquons le cas peu banal de ce Mezut Ozil, dont on s'est dépêché d'arabiser le prénom, alors que le nom s'y prête volontiers aussi. Mezut «Messaoud» est un joueur allemand d'origine turque qui doit vivre un double déchirement : lorsqu'il a joué en équipe d'Allemagne contre la Turquie, et qu'il a marqué contre son pays d'origine, il y a eu un vent de folie dans les gradins turcs du stade de Berlin. Imaginez le cauchemar suivant, avec un Messaoud «Al-Assil» marquant contre l'équipe de «Bilad-Alwalid», et l'envoyant au purgatoire. Une seule solution pour résoudre ce cruel dilemme : il faut que tous les joueurs arabes, ou assimilés, bon gré mal gré, signent à Valladolid, le pays d'Alwalid autrefois. Ainsi, Al- Jazeera et ses commentateurs ne seront jamais dépaysés, et il n'y aura plus cette impression de désordre au spectacle de joueurs se congratulant pendant que d'autres se prosternent. Tout le monde sera uni dans la prière la plus courte, ajoutée au «missel» musulman par les très éclairés et très inspirés innovateurs wahhabites. Pour la bonne ordonnance du système, et pour pouvoir se prosterner, il faudra marquer des buts, toutefois, mais à condition de ne pas jouer contre le FC Barcelone de Messi et Neymar. Bon, le problème Mezut étant résolu, même si c'est par l'absurde, voyons celui plus compliqué de l'autre fraîchement arabisé, Tayip, dit Tayeb, Erdogan. Avec Mezut, il n'y a pas de sujet à conflit de compétences : il doit marquer des buts contre l'équipe adverse, et éviter d'en marquer contre son propre camp. Erdogan, lui, n'arrête pas de changer d'équipe ou de marquer dans ses propres buts, ceux du monde musulman en l'occurrence. Pour les islamistes, dont il est issu, Tayeb (prononcer en appuyant fortement sur le Y), a un comportement normal. Tant qu'il sape méthodiquement les fondements de la laïcité turque (qui n'est pas forcément la laïcité rêvée), et qu'il remet le voile à l'honneur, il peut s'allier même avec les «Shaïtans», père et fils, les Etats-Unis et Israël. Et il s'y applique sans se faire prier, si j'ose dire, puisqu'il participe allégrement à ce spectacle de derviches tourneurs, qui donne le vertige avant le coup de grâce. Alors, ne vous empressez pas de parler de «printemps arabe» à Istanbul, parce qu'il y a des émeutes qui rappellent les révolutions ratées des pays arabes. D'abord une certitude : Tayeb n'écrira jamais son nom en lettres arabes, et de droite à gauche, quelles que soient les promesses qu'il vous fait. On ne met pas le feu à sa propre maison pendant que l'on est occupé à brûler celles des autres. Et c'est là tout le malheur de ces événements de Syrie qui vous forcent un jour à aimer l'un, quitte à le haïr le lendemain. Je viens de lire une interview déroutante de l'opposante iranienne exilée et prix Nobel de la paix, Shirine Abadi. Cette dernière soutient les insurgés en Syrie, mais elle écarte l'éventualité d'un «printemps arabe» fulgurant en Iran, où le peuple veut aller vers la démocratie, mais à pas mesurés, c'est-à -dire progressivement, selon elle. Shirine Abadi affirme aussi, dans un journal turc précisément, que Béchar Al- Assad n'est qu'une marionnette entre les mains de l'Iran, et qu'il tombera dès que les Iraniens cesseront de le soutenir. Elle oublie la Russie qui fournit missiles et avions à Béchar et se fourvoie davantage en s'excusant auprès du peuple syrien pour les victimes tuées par les armes iraniennes. Quant aux massacres commis par les insurgés, elle observe à ce sujet un silence pudique, alors qu'elle aurait pu dire un mot de la journaliste syrienne Yara Abbas, tuée par un djihadiste, même si sa mort a été exploitée de façon indécente par le régime. Ce qui montre bien que les choses ne sont pas si simples en Syrie, surtout pour une militante de la démocratie et des droits de l'Homme comme Shirine Abadi. Il est vrai que les exactions du Hezbollah pseudo-libanais en Syrie ne font que conforter la position de ceux qui pensent que l'alternative du pire est préférable à la situation actuelle. Lorsqu'on entend les propos du chef du Hezbollah, Nasrallah, qui menace d'intervenir ailleurs qu'en Syrie (au Bahreïn '), on se dit qu'ils ont peut-être raison. Puis, arrive l'indécrottable Karadhaoui, bien calé sur sa chaîne satellitaire et arrimé à sa chaire de Doha, qui met à bas tout l'édifice. Le prêcheur vient de lancer un nouvel appel au djihad en Syrie, contre le Hezbollah et les chiites, donnant ainsi plus de poids au caractère communautaire du conflit. Jusqu'aux musulmans d'un quartier de Londres, qui s'y mettent, eux aussi, en réfutant la nomination d'un imam sunnite, soupçonné de sympathies chiites, selon le quotidien Al-Quds. Désormais, il suffit d'un prêche de Karadhaoui, visant à me faire détester un objet pour que je me mette à le prendre en sympathie. Surtout, lorsque j'apprends que ses «révolutionnaires » libyens se conduisent comme des soudards en pays conquis. Jeudi dernier, une de ces milices a investi les bureaux du ministre libyen de la Justice à Tripoli et a coupé l'oreille à son chef de cabinet. Puis ils l'ont menacé de lui couper le nez et la langue s'il ne signait pas un certain nombre de documents qui lui ont été soumis. Ce qu'il a fait pour préserver son intégrité physique. Quant à l'intégrité morale, il y a bien longtemps que Karadhaoui et ses employeurs n'en font plus un problème de foi.


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