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Iblis aurait été éborgné par une pierre ou un autre objet hétéroclite, lors de sa lapidation rituelle au dernier pèlerinage de La Mecque. C'est la première fois depuis des siècles et des siècles que les lapidateurs, maladroits par excès de précipitation, auraient visé juste et atteint leur cible. Ce serait là un premier accident sérieux depuis que le diable, chassé du paradis, a élu domicile en ces lieux. Bien que handicapé par la perte d'un œil, Iblis pouvait encore prétendre à la royauté, en vertu de la sacro-sainte règle du droit des borgnes à régner en pays de cécité.
Il a préféré renoncer parce qu'il a subi surtout une blessure d'amour-propre, postérieure à son éborgnage. Le projectile lancé par une main qui avait dû, un jour, être amie a ravivé le douloureux souvenir de la traîtrise des hommes, mais la suite a fait déborder le fiel. Voir autant de références à la divine providence, alors que son travail à lui, le diable, est nettement plus efficace, lui a laissé une impression de gâchis, d'efforts mal récompensés. Iblis ne se sent plus à sa place, et il a donc décidé de renoncer à son sanctuaire arabe. Il s'en va ! Devant les caméras de la chaîne qatarie Al-Jazeera, qui scrutent en permanence les mondes naturels et surnaturels, il s'est expliqué sur sa décision de s'expatrier. «Comprenez, a-t-il dit, que je m'applique depuis des temps immémoriaux à enseigner aux Arabes le mensonge, la dissimulation, la rapine, l'enrichissement rapide et illicite. Mais une fois parvenus à leurs fins, une fois qu'ils ont acquis fortune et aisance, en pillant de façon éhontée leurs voisins, et les biens du peuple, ils expriment leur reconnaissance à Dieu. Cette reconnaissance, ils l'affichent publiquement et avec ostentation par des ex-voto proclamant : «Ceci est un don de mon Dieu» (Hadha mine fadhli rabbi). Sur le fronton de leur maison, ou les pare-brise de leurs luxueuses voitures (1), ils remercient Dieu pour des bienfaits qu'ils ont acquis grâce à moi. Si ce n'est pas de l'ingratitude, c'est quoi ' En tout cas, je renonce, je vais aller exercer mes dons ailleurs, tiens peut-être au paradis dont les portes sont ouvertes en cette période. Avec un peu de chance, je pourrais m'y faufiler, et une fois dans la place, je suis certain que j'aurais moins de tracas avec les Arabes. C'est là qu'ils sont les moins nombreux !» Mais non, mon cher Iblis, si tu permets que je t'appelle ainsi, bien que tu n'ais rien fait pour moi, pourtant catalogué arabe, tu n'as aucune raison de désespérer. Il n'y a rien de plus ridicule au monde qu'un diable qui se désespère (Faust Goethe), et tu ne dois pas céder au désespoir, que diable ! La (mauvaise) graine est semée, il suffit de lire les journaux arabes pour s'en convaincre : ici, des messages d'intolérance et de haine : des apprentis imams qui ont fait un détour par Djeddah appellent Dieu à anéantir les «chiites criminels»(2). Ceci, bien sûr, après avoir atomisé tous les autres juifs et chrétiens. Là, un député égyptien du parti fondamentaliste Nour, la lumière, surpris à disjoncter, en promiscuité illicite, dans sa voiture garée sur la voie publique. Et puis, voici la meilleure du mois, l'oscar de ce Ramadan 2012, la trouvaille qui devrait ravir Iblis et tous les diablotins qui grenouillent dans le monde musulman. Depuis le début du Ramadan, une publicité envahit les écrans et les sites internet, ainsi que les murs d'Egypte. Elle invite les croyants du pays à se consacrer uniquement au jeûne et à s'en remettre aux spécialistes pour ce qui est des invocations. Pour 1 000 LE (1 livre égyptienne = 0,13 euro), les annonciateurs s'engagent à faire, à votre place, les invocations rituelles d'avant la prière du Maghrib. Pour 1 500, ces invocations d'avant la rupture du jeûne se feront avec des pleurs à l'appui. Avec 2 000 LE, «l'abonné» aura droit aux invocations de la fin de la nuit accompagnées de pleurs et de dévotions. Et en promotion, on vous propose le bouquet complet, durant tout le mois sacré, contre le versement d'un forfait de 4 000 LE. La société publie un numéro de compte pour accueillir les paiements et donne même une adresse postale au Caire. On apprend aussi que le patron de cette institution pieuse s'appelle Hadj Suleïmane Al-Damenhouri (sans doute en référence à sa ville natale Damenhour). Quant à l'entreprise qui se charge du salut de l'âme, elle a pris le nom très poétique et très littéraire de «Dou'aa al-kiraouane» (Le Chant du Courlis). Etrange référence au roman du même nom de Taha Hussein, porté à l'écran par le célèbre metteur en scène Henry Barakat et interprété par la grande Faten Hammama. Les deux œuvres immortelles n'ont rien à voir avec ces formules aguicheuses pour naïfs, en mal de bénédictions, mais en matière de «tidjara sunna», il n'y a pas d'interdits. tôt, pour peu que le prix du pétrole ne s'effondre pas, des croyants sincères se proposer de jeûner pour nous, voire de mourir pour nous. Ce qui est paradoxal, c'est que la première dénonciation de cette annonce nous vienne d'Arabie saoudite, là où l'on va jeter la pierre au diable et lapider la femme adultère(3). C'est le quotidien Okaz qui s'insurge contre cette façon de pratiquer le commerce, au détriment de la vraie foi et de la raison. Vous avez dit raison '
A. H.
(1) Il n'y a pas que les voitures luxueuses qui affichent leur piété, vous pouvez même, et surtout en période de Ramadan, vous faire écrabouiller par un corbillard de cinquante ans vous enjoignant de prier pour le Prophète (Salli ala Nabbi), avant de vous envoyer ad patres. Il est possible que vous ayez eu aussi l'ultime vision d'une autre profession de foi, vous informant que tout ce qui vous arrive résulte de la seule volonté divine (Ma Cha Allah). Il ne sert à rien d'incriminer le non-respect du code de la route ou le mauvais état de la chaussée et des véhicules qui l'empruntent.
(2) On nous dira, encore, que ce sont des faits isolés, que le wahhabisme ne fait pas école chez nous, que la police ne pourchasse pas les non-jeûneurs, etc. Ramadan, mois des dénégations et des têtes cachées dans le sable.
(3) Justement, dans le film Le chant du Courlis, c'est l'homme qui séduit la jeune campagnarde innocente, qui commet la faute, mais c'est la femme qui paie de sa vie le crime commis par le suborneur.
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Posté Le : 30/07/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Ahmed Halli
Source : www.lesoirdalgerie.com