Algérie

Kiosque arabe



Kiosque arabe
Par Ahmed Halli[email protected]/* */On a souvent comparé, toutes proportions gardées, le Tunisien Habib Bourguiba au dirigeant turc révolutionnaire Kemal Atatèrk, qui a mis fin au califat ottoman cher au Président actuel de la Turquie. La comparaison s'est imposée surtout à l'évocation des actions respectives des deux leaders en faveur des femmes de leurs pays, le droit de vote pour Atatèrk, l'interdiction de la polygamie pour Bourguiba. Toutefois, la postérité, incarnée par les nouveaux pouvoirs, ne réserve pas un traitement identique à l'un et à l'autre des deux hommes ayant le plus pesé sur les destinées de leurs peuples. Si la citadelle laà'que érigée par Atatèrk menace de s'effondrer sous les coups de boutoir de l'intégriste Erdogan, la Tunisie appelle Bourguiba à la rescousse. Le Président décrié, honni, par une partie de la classe politique tunisienne, dont Ennahda à géométrie variable, est en regain inattendu de popularité en Tunisie, et en dehors. Bourguiba avait été accusé, en 1967, de félonie, par ses voisins maghrébins et arabes, pour avoir prèné la paix avec Israël, sur la base du retour aux frontières d'avant le 6 juin 1967. Les Algériens, dirigeants et peuple pour une fois réunis, n'avaient pas été les moins bruyants à dénoncer «l'appel à la capitulation». D'où une certaine méfiance jamais totalement dissipée entre deux hommes aussi suspicieux, l'un envers l'autre, qu'autoritaires.On raconte d'ailleurs que Boumediène avait dépêché un émissaire auprès d'un Bourguiba alité, et semblant négocier un nouveau répit avec la mort, pour s'inquiéter de son état, ce qui est normal. Seulement, juste après avoir reçu l'envoyé spécial algérien, alors qu'il s'apprêtait à partir, Bourguiba lui lança la flèche du Parthe : «Dis à Boumediène que c'est moi qui vais l'enterrer.» Qu'elle soit authentique ou inspirée par la chronologie des évènements, l'anecdote n'en illustre pas moins la complexité des relations entre les deux pays aussi frères que voisins. Bourguiba et Boumediène sont morts, et s'ils sont quelque part ensemble, ils ne doivent pas éprouver les mêmes sentiments: l'un jubile de voir les Tunisiennes défendre leurs acquis, alors que les Algériennes se résignent lentement à l'idée d'être un jour coépouses dans un de ces «foyers heureux», décrits par une de nos comédiennes. L'autre doit enrager de voir les musulmans de son pays s'empiffrer sans retenue et revendiquer aussi une place au paradis, puisqu'il n'y a aucune interdiction formelle des comptes bancaires off-shores. Boumediène le maximaliste regarde, la mine sombre, un peuple palestinien plus souvent agressé qu'agresseur, revoir à la baisse ses espérances et ses ambitions. Il observe, sans espoir de revanche, les guerres interreligieuses rythmer la vie des nations de l'Islam.Bourguiba, lui, doit ricaner de là -haut en regardant sur la carte de la région le futur État palestinien, qui ne ressemble même plus à un gruyère, les implantations israéliennes dévorant tout le fromage. Quant à la popularité, il n'y a vraiment pas de quoi exulter de ce côté-ci de la frontière : la nostalgie «boumedieniste» s'échine en vain à se mettre au diapason de la fièvre «bourguibiste». Pour le 16e anniversaire de la mort (6 avril 2000) du «Combattant suprême», deux éditeurs tunisiens ont pris l'initiative de rééditer un recueil de ses conférences, en arabe et en français. L'écrivain tunisien Hassouna Mosbahi en fait une lecture originale, qui nous donne à découvrir ou redécouvrir une facette intéressante de l'itinéraire personnel de Bourguiba. D'abord l'enfance de Bourguiba et son attachement pour sa mère décédée alors qu'il était encore enfant, et dont le souvenir amer influencera sa politique envers les femmes. Il est d'abord le benjamin d'une famille de huit enfants, et il est né alors que sa mère arrivait à la quarantaine et s'efforçait, un peu honteuse, de cacher sa grossesse à son entourage. La maman mourra d'ailleurs, alors qu'elle n'avait pas encore atteint la cinquantaine et que son plus jeune fils avait à peine dix ans.Néanmoins, elle aura eu le bonheur de voir son petit dernier réussir à son examen de certificat de fin d'études, à Tunis où il était à la charge de son frère aîné, infirmier. Sa famille pauvre et trop nombreuse ne pouvait subvenir à ses besoins et à ses frais de scolarité, et c'est l'aîné qui l'accompagnera durant toute sa scolarité jusqu'à l'obtention du bac, avec la mention «Très bien». Concernant le destin de sa maman, il affirmera plus tard que ce sont les nombreuses maternités, ainsi que la dureté des tâches ménagères quotidiennes qui l'ont tuée prématurément. Il arrivera même à Bourguiba, alors qu'il était Président, d'éclater en sanglots publiquement à l'évocation de la figure maternelle, trop tôt disparue. Quant à son apprentissage politique, il l'évoque par deux évènements distincts : une première fois, en 1911, lors d'une manifestation patriotique à Tunis sauvagement réprimée. L'année 1917 est aussi marquante pour Bourguiba avec la disparition du penseur Bachir Safar, créateur de la «Khaldounia». Cet institut au rayonnement et à l'influence considérables marque un tournant dans l'enseignement de l'histoire, à la Zitouna, consacré jusque-là exclusivement à la théologie et aux grandes dates de l'Islam.On apprend également que Bourguiba adorait les poètes de la période antéislamique autant que les grands noms de la poésie française, dont il aimait à déclamer les vers, dans les occasions officielles. Après le bac, le frère aîné et mentor de Bourguiba lui suggère d'aller poursuivre ses études à l'Université d'Alger, mais il choisit d'aller à Paris, au cœur du système colonialiste qu'il veut combattre. Tel était ce grand homme tunisien que nous avons méconnu et souvent injurié, parce qu'il ne ressemblait pas à l'image de l'homme d'État que nous voulions. Que ce soit sur le plan de l'éducation ou du statut de la femme dans nos pays, il était en avance sur son temps, et nous nous acharnons toujours à nous éloigner davantage de lui”? à reculons.


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