Publié le 21.12.2023 dans le Quotidien d’Oran
par Djamel Labidi
L'actualité nous oblige à comparer les conflits en Ukraine et en Palestine, Kiev et Gaza.
A Kiev, on se promène dans les rues, on accueille les dirigeants de l'Occident, chefs d'État, ministres, diplomates, généraux, hommes d'affaires. On dit que les boîtes de nuit sont pleines, et on a même découvert, cet été, les images d'une jeunesse faisant la fête dans des piscines. On ne se réfugie même plus dans le métro. On a fini par comprendre que les lieux officiels, les quartiers résidentiels, les zones de fréquentation, n'étaient pas attaqués.
On prend le train, ou l'avion, pour voyager. Les églises, les monuments, les bâtiments historiques sont là, témoignant du passé slave commun de l'Ukraine et de la Russie. Il y a eu certes des destructions, mais rien à voir avec Gaza. Ici les Russes ont été préoccupés de ne pas insulter l'avenir, de ne pas provoquer une haine éternelle. Ils auraient pu, probablement au début du conflit, causer de grands dommages à Kiev, ils ne l'ont pas fait.
A Gaza il n'y a plus rien, sauf un peuple de résistants
A Gaza, il n'y a plus de mosquées, il n'y a plus d'écoles, il n'y a plus d'universités. A Gaza, il n'y a plus de rues où se promener, il n'y a plus d'immeubles, il n'y a plus de maisons. Ils ont été bombardés, systématiquement, sans pitié, froidement. Il n'y a pas de métro où se réfugier. Les habitants ont essayé innocemment de se réfugier dans les hôpitaux, ou les bâtiments des agences internationales, croyant que certaines règles humanitaires seraient au moins respectées, mais ils ont été bombardés là aussi. Ils ont alors essayé de se réfugier dans les ruines des bâtiments déjà bombardés, en espérant que la foudre ne tombe pas deux fois au même endroit. Mais rien n'y a fait. Ils sont alors partis au Sud comme l'exigeait Israël, mais Israël a bombardé aussi le Sud.
A Gaza, il y a longtemps qu'il n'y a pas de lieu festif comme à Kiev. Y en a-t-il d'ailleurs jamais eu, depuis 30 ans de blocus et de bombardements. Il n'y a plus d'eau, il n'y a plus d'électricité, il n'y a plus de nourriture. Il y a l'odeur putride des corps et de la mort qui monte de partout sans qu'on sache d'où elle vient. A Gaza, il n'y a plus rien sauf un peuple de résistants. A Gaza, il n'y a plus de médicaments. Les hôpitaux, quand ils survivent encore, opèrent sans anesthésie, et puis n'opèrent plus. Les médecins, les ambulanciers, les secouristes eux-mêmes sont tués, et aussi les journalistes, et aussi les professeurs, et aussi les femmes, et aussi les vieillards, et aussi... et aussi tout le monde. Israël ne fait pas la discrimination, il tue tout le monde, tout ce qui bouge. Même les siens, quand il pense qu'il le faut. Il a tué trois otages qui s'étaient mis torse nu et avaient brandi un drapeau blanc. L'armée israélienne les a pris pour des Palestiniens, avoue-t-elle, aveu terrible qu'un Palestinien est abattu même les mains levées, même avec un drapeau blanc. Mais ce qu'Israël et les medias affiliés ne veulent pas dire aussi, car dans leur récit l'Israélien est par définition occidental, c'est que les Israéliens ressemblent aux Palestiniens, aux Arabes quand ils sont sans... kippa. Ceci ne rend encore que plus absurde, plus odieux le colonialisme et le racisme israéliens.
Les enfants de Gaza
A Kiev, on s'émeut des enfants du «Donbass» qu'on dit déportés, kidnappés par la Russie. Le procureur général de la Cour pénale internationale s'est senti alors une âme de justicier et a inculpé le président de la Fédération de Russie, à ce sujet, de «crime contre l'humanité». A Gaza, les enfants sont tués par milliers, mais le procureur de la CPI s'est tu. L'Occident politique aussi s'est tu ou a protesté finalement mollement, parlant «de dégâts collatéraux» ou que les «guerres sont nécessairement sales». Israël tue les enfants sans l'ombre d'une compassion. Ne les considèrent-ils pas comme les enfants d'»animaux humains», de la «graine future de terroriste»?
Les enfants blessés sont des dizaines de milliers. A l'hôpital on les opère sans anesthésie. Ils ressentent cette douleur indicible à l'orée de leur vie, les yeux grands ouverts, innocents, incrédules. Le procureur général de la CPI s'est tu. Des centaines d'autres enfants ont disparu, ensevelis quelque part sous les ruines, leurs petits corps faisant désormais partie du mortier des décombres. Le procureur de la CPI s'est tu.
On voit parfois des enfants, miraculeusement indemnes, gratter de leurs petites mains les ruines espérant y trouver leurs parents ou tendre leurs bras suppliants en sanglotant pour chercher un refuge, au moins une explication à toute cette cruauté. Leur mère n'est plus là. Leur père n'est plus là. Les enfants errent dans les décombres de Gaza, cherchant qui peut les recueillir. Ils ont soif et ils boivent l'eau de mer. Ils ont faim. Beaucoup, qui ont échappé aux bombardements, vont mourir de maladie
En Cisjordanie, comme à Gaza, les habitants attendent la peur au ventre les colons armés et les soldats israéliens qui vont venir et décider qui abattre, qui tuer, qui épargner pour l'instant, qui humilier, qui aligner, accroupis, en rangs, nus dans la rue.
Une guerre de pauvres, une guerre de riches
A Kiev, on demande sans arrêt de l'argent à l'Occident, les milliards de dollars coulent à flots, 113 milliards de dollars en novembre 2022, 110 milliards en instance d'approbation par les Etats-Unis et l'Union européenne, 270 milliards d'aide militaire promis par l'ensemble des pays occidentaux en septembre 2023 (*). Mais Israël et l'Occident crient au scandale lorsqu'on apprend que Hamas a reçu quelques millions de dollars. Et jusqu'à présent, on se plaint, à Kiev, de ne pas avoir assez d'armes, de chars, d'obus, de canons, de bazookas, de missiles, d'avions, et d'argent encore et encore. Je me dits que si Hamas avait le centième, non le millième des armes de Kiev, Israël n'y résisterait pas. Cela est évident. Je me dis que si les Palestiniens avaient le millième de l'argent donné à Kiev, ils vaincraient sans coup férir. Je me dis que s'ils avaient l'appui de tout l'Occident comme l'a Kiev, Israël ne résisterait pas comme le font les Palestiniens. J'enfonce une porte ouverte ? Oui, mais cela fait du bien de le dire dans l'océan de mensonges dans lequel on essaie de noyer le combat de Gaza.
A Gaza, on bricole des rockets, des RPG, on se bat avec des armes de fortune, et pourtant on résiste. Pas un pleurnichement, on meurt debout, on s'attaque aux chars à pied, en courant à l'assaut vers eux, et l'ennemi a peur, et l'ennemi recule. De quoi a-t-il peur ? Toute la différence est là. L'ennemi a peur devant une volonté, un désespoir, un espoir, un courage infinis. A Gaza on ne réclame rien. On se bat. On demande seulement aux gens de manifester dans le monde pour Gaza, pour la Palestine. On leur demande de prier pour Gaza. On est en présence d'une détermination incroyable.
La détermination, la conviction c'est d'évidence ce qu'il manque aux dirigeants la plupart repus des Etats arabes voisins. Ils sont comme ces animaux, dans la jungle, qui regardent, immobiles, apeurés, fascinés et tremblants, l'un des leurs être dévoré par les bêtes féroces, dans l'espoir d'être épargnés.
Les deux conflits, Kiev, Gaza, sont différents militairement, humainement. Mais leur simultanéité temporelle amène à réfléchir à la fois sur leurs ressemblances et leurs différences. Certes il y a de chaque côté de l'héroïsme. L'Ukraine n'en manque pas comme la Russie et ils l'ont prouvé dans leur Histoire. Mais de quoi s'agit-il finalement dans le conflit en Ukraine ? Pourquoi se bat-on ainsi à Gaza, pourquoi y a-t-il ici une guerre de pauvres, et là, à Kiev une guerre de riches, à dizaines de milliards de dollars ? S'agit-il, dans les deux cas, à Kiev comme à Gaza, d'une guerre de libération ? Dans les guerres de libération, on s'est battu au début avec des fusils de chasse, des sabres, des machettes. On récupérait les armes sur l'ennemi. Pourquoi l'Ukraine n'est- elle pas capable de mener une guerre de partisans, par exemple au Donbass. La guérilla suppose un appui total de la population, d'y être comme un poisson dans l'eau. Cela amène à s'interroger sur l'appui populaire à Kiev. Sur les sentiments de l'opinion publique russe à l'égard du peuple ukrainien. Russes et Ukrainiens sont-ils à ce point ennemis ? Ou bien, les a-t-on dressés les uns contre les autres ?
Deux poids, deux mesures
A Kiev, et en Israël, il y a le même discours dans les milieux dirigeants. Des deux côtés on dit qu'on combat le terrorisme, pour «défendre la civilisation, les valeurs occidentales», on dit en Israël, qu'on en est «un rempart», face au monde arabe, et à Kiev, un rempart face à la Russie. Kiev et Gaza agissent comme les deux facettes d'un même conflit auquel participe l'Occident.
La Russie a été sanctionnée par «l'Occident politique» pour avoir envahi l'Ukraine, pour avoir violé le droit international. Israël l'a violé cent fois. Les Américains expliquent «qu'il exerce son droit à se défendre» et ils mettent leur veto au Conseil de sécurité chaque fois qu'on veut arrêter le massacre des Palestiniens ou chercher une solution politique. Comme ils le font à Kiev, les principaux dirigeants occidentaux viennent à Tel-Aviv et à Jérusalem, l'un après l'autre, pour soutenir Israël «inconditionnellement».
Chaque jour de guerre d'Israël est un crime de guerre, un crime contre l'humanité, mais on ne songe même pas à interdire à l'État hébreu les jeux olympiques. L'a-t-on fait d'ailleurs un jour, depuis 75 ans que cela dure. Israël participera aux jeux olympiques, drapeaux en tête, mais les athlètes russes eux sont conviés à cacher leur drapeau, à en avoir honte, à ne pas le montrer. Et malheur à un athlète qui refusera de concourir avec un Israélien. Un lutteur algérien a été pour cela suspendu pour dix ans. La Pologne a refusé d'affronter la Russie en éliminatoires de la coupe du monde mais c'est la Russie qui a été suspendue de la compétition.
Quoi qu'il fasse, même s'il s'oppose au monde entier, Israël n'est jamais sanctionné. Les sanctions sont faites pour la Russie, l'Iran, le Yémen, le Venezuela, Cuba, etc. et tous ceux qui soutiendront les Palestiniens. On parle déjà de sanctionner le Yémen du Sud, les Houthis pour avoir déclaré qu'ils attaqueraient les bateaux israéliens jusqu'à ce qu'Israël laisse passer l'approvisionnement de Gaza. Les Occidentaux qui arment Israël, lequel se moque en permanence du droit international, crient que ce droit, que la liberté de commerce sont menacés en mer Rouge par les Houthis. Mais on cherchera à taire, pour l'opinion occidentale, la véritable raison des opérations des Houthis.
Splendide logique d'un Occident en plein délire et qui marche sur la tête. Une phrase a surgi, qui résume désormais la situation d'un monde sous tutelle déclinante de l'Occident: le deux poids deux mesures. Plus besoin de discours, plus besoin d'analyse idéologique ou politique, la phrase résume tout. Il suffit de la dire et tout est dit. Elle désempare l'Occident politique. Elle le rend muet. Elle désamorce toutes ses bombes médiatiques, tous ses mensonges. Tout est devenu clair dans le monde. Mais que de temps, il a fallu pour en arriver à cette conclusion.
Note
(*) https://www.bfmtv.com/economie/international/a-combien-s-eleve-le-montant-des-aides-apportees-a-l-ukraine-par-les-europeens_AV-202302090539.html
https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/la-banque-mondiale-veut-debloquer-170-milliards-de-dollars-face-a-la-guerre-en-ukraine_AD-202204180322.html
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Posté Le : 12/01/2024
Posté par : rachids