Algérie

Khouya Zazaïri redouble de férocité


Au fur et à  mesure que l'Aïd approche, une intense fébrilité s'est emparée de khouya Zazaïri. Ecartelé entre l'achat des vêtements, les produits nécessaires aux gâteaux et les fournitures scolaires, akhi el mouwatan n'est plus que l'ombre de lui-même : il peut, à  chaque minute, jaillir de sa peau, déjà ratatinée par les dépenses du Ramadhan. Ou se métamorphoser en comprimé effervescent face au rouleau à  pâtisserie de sa femme. Ou, encore, en bombe atomique face à  ses compatriotes. Après avoir passé ses tarwih à  supplier Dieu pour l'aider à  sortir indemne des rets imaginés par les commerçants véreux et dopés par les savantes lubies de sa compagne,  il a redoublé de prières lors de la nuit du Destin afin d'être à  la hauteur de sa gloire légendaire. C'est qu'un vrai parcours du combattant l'attend à  chaque réveil. Avant de sortir de la maison pour affronter la rue et ses marchés,  khouya Zazaïri ne manque jamais de se planter longuement devant sa glace pour se «scruter». Malheureusement, l'image que lui renvoie le miroir, au fur et à  mesure que ses économies se sont évaporées, est de moins en moins glorieuse : les rares cheveux blancs en bataille, le besoin de nicotine et de caféine se reflétant implacablement dans son regard mort, une vraie face de… carême ! «Celle-là, se surprend-il à  marmonner, c'est la meilleure ! Ce serait, donc, à  ce type blême que s'adressent les officiels lorsqu'ils disent akhi el mouwatan ' Bizarre !» Chassant son pessimisme d'une main lourde, il sort pour affronter la vie et ses lourdes exigences. Passant devant la poste bondée, il remercie Dieu de ne pas l'avoir doté d'un chèque CCP. Devant les vitrines du centre-ville, il faillit s'étrangler devant «les prix qui mordent». A peine entré dans une librairie qu'il en ressort comme un boulet, tellement le prix du cahier à  ressort a semblé lui sauter à  la gorge... Mais malgré toutes ces agressions,  khouya Zazaïri sait qu'il ne va  pas rentrer à  la maison bredouille. Cette certitude, il ne la tient pas de ses longues prières mais seulement de la grosse peur d'affronter le regard furibond de sa dulcinée. Finalement, akhi el mouwatan rentre chez lui, les bras chargés. Le visage réjoui de sa femme et les regards heureux de ses enfants lui font oublier qu'il s'est largement ruiné et sérieusement surendetté.
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