Algérie

Khelli l'bir beghtah Ramadan à la sauce victuaille



La formule vitriolée réduisant, pas toujours à tort, l'Algérien à un tube digestif», qui avait fait florès durant les années 80, n'est pas près d'être passée de mode. Et si l'on s'attend à un cinglant démenti, ce n'est assurément pas ce mois de ramadan qui serait le plus propice pour l'émettre. Bien au contraire, le «mois sacré» se révèle un sacré mois pour que se dévoile et émerge au grand jour la propension de nos compatriotes à la gourmandise sans retenue, au comportement boulimique, à la gloutonnerie et à la goinfrerie, autant de qualifiants qui ne rendront jamais assez cette fougue alimentaire et cette pulsion défiant toutes les limites de la satiété, comme le ferait notre bon vieux terme «Ellahf». Jetant aux oubliettes autant la vocation originale et originelle de ce mois, celle de l'épreuve de la faim pour ressentir ce qu'endurent les nécessiteux, que le Smig de la décence en matière de course effrénée à la nourriture, on entend à longueur de journée les citoyens égrener, toute honte bue, les sujets des plats et des mets mangés, plutôt ingurgités la veille, s'attardant sur la saveur de telle zlabia ou telle pâtisserie orientale. Le plus drôle dans le registre du tragicomique, c'est qu'ils saupoudrent ce genre de récits non pas de références culinaires proprement dites, ce qui n'aurait pas été étonnant de la part d'apprentis gastronomes, mais de plaintes incessantes sur la célèbre flambée des prix.La bizarrerie dans cette histoire, c'est que le fait de constater cette hausse des prix, de la critiquer haut et fort, de la fustiger sans cesse et de la condamner avec virulence, ne les empêche nullement de faire leurs emplettes au marché du coin et même de se laisser aller à des bousculades pour remplir ce couffin à la fois tant désiré et tant décrié. Il y a quelque chose d'indécent dans cet étalage éhonté de la voracité qui s'empare des Algériens, devenus d'insatiables énergumènes, obnubilés par un seul endroit, la table, pour s'y adonner à une orgie gloutonne et dévorante en ce mois censé être d'abstinence mais devenu celui de la grande bouffe. Cette course à la mangeoire, lestée des deux autres marques de fabrique de ce mois, l'affichage de la mauvaise humeur et son corollaire, les bagarres, d'une part et de l'autre, l'accès généralisé de paresse physique et mentale et tous les retards et reports qui vont avec, altèrent grandement, si ce n'est suppriment carrément, les charmes connus et reconnus du ramadan. Ainsi, les retrouvailles familiales autour de la table, la chape de silence qui s'abat sur la ville à l'appel du f'tour, les actes de solidarité sincères, le déferlement massif de sketchs-chorba (un charme détestable, mais charme quand même), les exhalaisons de persil et de coriandre, les promenades en famille jusqu'aux aurores, «comme si l'Algérien était là-bas», les veillées artistiques, tout cela est pulvérisé par l'épidémie de gloutonnerie plus haut décrite. Bien entendu, cette prise du pouvoir du ventre sur l'esprit n'aurait dérangé personne et aurait été rangée parmi les (multiples) défauts de nos compatriotes (précisons toutefois que les critiquer n'est pas une auto-absolution des mêmes travers), si elle n'était accompagnée de dépenses sonnantes et trébuchantes par l'Etat, qui assume en devises fortes tout ce que ramènent les importateurs, premiers et uniques bénéficiaires de ces ramadan à la sauce victuailles. Le plus étonnant, c'est que des ministres bombent le torse en étalant les chiffres de la facture alimentaire qui prend l'ascenseur, comme si la paix sociale s'achetait aussi au poids des carcasses de bovins ou des cageots de pruneaux, déversés sur une mercuriale qui ne se rassasie jamais de sa pulsion ascendante. A propos de l'Etat, il agit toujours comme un novice, laissant toujours ses initiatives d'aides aux producteurs détournées par ces derniers. Les aviculteurs s'arrangent pour que leurs poulets ne soient pas «mûrs» pour l'abattage à la veille du ramadan, pour qu'il y ait pénurie relative, les laitiers utilisent le soutien de l'Etat pour le yaourt et le boulanger pour ses pâtisseries et surtout, les paysans autorisés à vendre leur récolte sur le bord des routes ne font en réalité que l'acheter au marché de gros pour l'écouler sur le bas-côté des autoroutes. Et on appelle ça «le mois de la piété et de la dévotion !» Enfin, de quoi je me mêle ' Khelli l'bir beghtah.


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