Le fondateur du journal La Tribune, Kheireddine Ameyar, est mort comme il a vécu ; en faisant un tapage tonitruant.
Ses envolées lyriques et les débats épiques qu'il lançait, de sa voix éclatante, a marqué toute une génération de journalistes. Celui qui se considérait comme un authentique fils de La Casbah, qui affectionnait les vestes Shanghai, la musique d'El Anka et les films de Fellini, éprouvait une passion dévorante pour l'Algérie, pays qu'« il aimait à en perdre ses nerfs ».Sa première expérience journalistique a eu lieu à la radio où, avec son collègue Maâmar Farah, il partit à la rencontre des mineurs de l'Ouenza. Dans une équipée digne d'un roman de Zola, il tentait d'arracher les bandes sonores, contenant des récits volés de mineurs, aux mains de ceux qui étaient à la solde du régime. Il s'en sortit avec les mains ensanglantées et une passion qui le dévorera jusqu'à la fin de ses jours. Autodidacte, Kheireddine Ameyar développa un sens aigu de la critique. Le journaliste, au verbe dru, affectionnait les phrases longues, ornées du plus délicieux subjonctif.Mais s'il pouvait paraître excessif dans les discussions privées avec des formules cinglantes, ses commentaires politiques publiés sur le journal El Moudjahid se caractérisaient par une certaine retenue. « A moins de renoncer au métier et d'abandonner les colonnes des journaux aux applaudisseurs qui s'assumaient, il fallait bien raboter ses phrases pour être à moitié entendu et se plier à la gymnastique de l'illusionnisme jusqu'à en faire un art consommé ! Et c'est sans trop se trahir, peut-être, que Kheireddine Ameyar y parvenait. Mais bon ! Heureusement qu'après Octobre 1988, les choses ont commencé un peu à changer », confie un confrère. Aux côtés de Mouloud Hamrouche, qu'il considérait comme un ami, ainsi que les journalistes Belhilmer, Hamdi et Abdou B., il vécut, pour sûr, ses plus belles années. Il participa ainsi, avec la plus grande abnégation, à la rédaction des cahiers de la réforme. Mais il faut croire que, même dans les débuts des années 1990, avec le lancement de titres et de journaux indépendants, Kheireddine espérait encore un avenir solide pour une presse qui serait de statut et de service publics. « Pour lui, il était indispensable qu'il reste un contre-pouvoir dans la presse publique », souligne son épouse, Taous Ameyar. Du haut de son mètre quatre-vingt deux, il terrifiait les jeunes journalistes, qui se rappellent encore des répliques acerbes et des remarques sarcastiques lorsqu'il était à la tête de l'hebdomadaire Algérie Actualité.Très vite, il se rendit compte que le pari était difficile à tenir avec une rédaction qui éclatait et des dettes qui revenaient. La démission de Mouloud Hamrouche de la chefferie du gouvernement entraîna celle de Kheireddine d'Algérie Actualité. « Tu ne peux pas être l'homme d'un homme », lui reprochait sa compagne, Taous Ameyar. « Je suis l'homme des réformes ! », lui répondit-il. Le journal La Tribune, frappé du sigle d'un aigle à l'image de son fondateur, aura été un projet tardif. Mais bien qu'il attendit plusieurs mois son agrément, Kheireddine ne pouvait rêver meilleure date pour le lancement de son journal : un 5 octobre !« Il se pourrait qu'il soit le premier mort-né de la presse algérienne si les terribles pressions qui continuent de s'exercer sur et contre lui, conjuguées à la force inertielle qui l'aspire comme un trou noir, ne cessent pas en urgence », écrivait-il dans le premier numéro de La Tribune. Kheireddine avait une très haute idée du journalisme, mettant le lecteur au-dessus de tout et érigeant l'éthique et la déontologie comme principe. Il promettait de « charger un homme de bien, une personnalité au-dessus des contingences misérables de l'argent et celles, narcissiques, de la puissance, pour être le représentant exclusif de l'intérêt du lecteur et du citoyen contre ses propres risques de dérapage ». Kheireddine ne trouva jamais cette personnalité.Lorsque le journal a été suspendu en septembre 1997, il a eu l'élégance de ne pas en tenir rigueur au caricaturiste Chawki Amari. Au procès, il faisait éclater sa verve en une tirade incisive dont il se délectait. « C'était digne d'un procès de la révolution française. On aurait dit qu'il prenait les traits de Robespierre. Même la juge, qui menaçait de le condamner pour outrage à magistrat, avait un sourire en coin, tant il était princier », raconte Mme Ameyar. Mais après la suspension du journal, les tourments s'accumulaient et Kheireddine n'était plus le même. Mais ses collègues gardent encore le souvenir de sa « flamboyance ». « Il avait de la flamboyance en lui, une manière d'être qui ne pouvait supporter la futilité et la routine. Parfois, il semblait sortir d'un roman de Dostoïevski, toujours branché sur les choses ineffables, les grandes 'uvres de l'esprit, les découvertes de la science' Son amour du jeu d'échecs est à l'image de tout cela, le plaisir de l'érudition, le goût du mystère, l'étonnement perpétuel », se souvient Ameziane Ferhani, journaliste. Comme dans un grand classique russe, Kheireddine Ameyar s'est donné la mort le 9 juin 2000. Un geste que chacun interpréta à sa manière.
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Posté Le : 03/04/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Amel Blidi
Source : www.elwatan.com