Algérie

Khadidja Mohsen-Finan : "Les jeunes marocains sont dans une relation frontale au pouvoir"


Khadidja Mohsen-Finan :
Khadidja Mohsen-Finan, politologue et spécialiste du Maghreb (maître de conférences à l'université Paris VIII et chercheur à l'Institut Europe/ Maghreb/ Méditerranée), explique dans cet entretien pourquoi le Maroc n'est pas une « exception » et n'échappe pas à la demande générale de changement et de citoyenneté qui s'exprime dans le monde arabe. Elle livre son décryptage sur la révision constitutionnelle et souligne, à contrecourant des idées reçues, que le Roi en sort avec plus de pouvoirs. Quand au mouvement du 20 février, il introduit un nouveau rapport à la politique qui dépasse les structures politiques traditionnelles.
Pourquoi « le mouvement du 20 février », crée au Maroc après les révoltes en Tunisie et en Egypte, ne compte pas beaucoup de partis '
Ce mouvement regroupe des jeunes qui étaient au départ des internautes et qui n'étaient pas intégrés dans des structures politiques traditionnelles. Le même phénomène a été observé en Tunisie et en Egypte. C'est une autre façon de faire de la politique. Je pense que les jeunes ne font plus confiance à ces structures traditionnelles'
Les partis et les syndicats ne sont-ils pas dépassés aujourd'hui au Maroc '
Il est possible que les partis et les syndicats ne répondent plus aux attentes des jeunes. Des jeunes qui veulent aller plus vite et interpeller le pouvoir directement dans une relation frontale. Ils définissent finalement la politique d'une autre manière. Et, ils le définissent comme un rapport de forces. Ils sont donc dans une négociation directe. A mon avis, les partis et les syndicats ont été discrédités. Cela n'est propre à la région du Maghreb, mais ça l'est davantage dans une région où les partis ont été instrumentalisés. Ces partis ont été les outils des pouvoirs qui n'ont pas répondu aux attentes des jeunes.
Selon vous, le Roi Mohammed VI ne peut pas et ne veut pas négocier. Pourquoi '
Le Roi ne peut pas. Il est au-dessus des partis et des institutions. De part son rôle et son charisme, il doit être au dessus. Il se met dans un rôle d'arbitre entre les différentes tendances et les conflits qui peuvent surgir au sein de la société. Il n'est pas du tout en mesure de négocier, de donner et de recevoir. Même si en, fin de compte, nous sommes en situation d'offre et de demande.
Les réformes constitutionnelles introduites par le Roi vont-elles régler les problèmes politiques au Royaume '
Au niveau du contenu, il n'y a pas de changement. Au niveau de l'équilibre des pouvoirs, il y a encore une fois un effet de cosmétologie. En donnant plus de pouvoirs au Premier ministre, cela ne règle pas le problème. Pour que le Premier ministre soit représentatif, il faut que les élections soient libres et compétitives et qu'elles ne soient pas marquées de fraude. Or, tout cela n'est pas garanti. Par ailleurs, si l'on regarde bien le contenu de ce qu'il offre, rien n'a changé. L'article 19(*) de la Constitution n'est plus en vigueur mais il est dilué dans l'ensemble du texte. Le roi s'arroge en plus le droit de diriger une Conseil d'oulémas qui n'existait pas auparavant. Il a donc plus de pouvoir qu'avant. Le rôle du Roi n'est pas modifié. Le Roi coopte une partie de la société, c'est-à-dire des politiques mais aussi des intellectuels qui sont réduits au rôle de prestataires de service et de techniciens. Il vide ainsi de son contenu le « Mouvement du 20 février » et il enlève aussi aux intellectuels le rôle critique au sein de la société. Il continue aussi de décrédibiliser les outils traditionnels du politique, les partis, les syndicats et les associations.
Les médias marocains peuvent-ils jouer un rôle pour donner une autre dimension aux réformes '
Certainement. Les médias peuvent jouer un rôle en dénonçant ce genre de dérives et en mettant à l'index les faux-semblants. Parce que s'il y a bien une leçon à tirer de ce printemps arabe est qu'il a mis fin aux peurs et aux faux-semblants.
Et pourquoi le Maroc paraît-il comme « une exception » dans le monde arabe '
Le Maroc est particulier mais le Maroc n'est pas une exception. Il se joue de cela. Il instrumentalise cette "exception", celle-ci n'est pas réelle. Le Maroc n'est absolument pas à l'abri de ce qui s'est passé ailleurs.

(*) L'article 19 de la Constitution du Maroc amendé en 1996 stipule: « Le Roi, Amir Al Mouminine. Représentant Suprême de la Nation, Symbole de son unité, Garant de la pérennité et de la continuité de l'Etat, veille au respect de l'Islam et de la Constitution. Il est le protecteur des droits et libertés des citoyens, groupes sociaux et collectivités. Il garantit l'indépendance de la Nation et l'intégrité territoriale du Royaume dans ses frontières authentiques »
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