Algérie

Karim Tedjani. Ecologiste et blogueur : «Il n'existe pas de politique de recyclage effective sans une pédagogie civique du tri sélectif»


La décision du gouvernement de revoir la redevance sur les sacs en plastique est-elle le seul moyen d'inciter les citoyens à réduire leur utilisation, sachant que le peu de campagnes de sensibilisation n'a pas abouti, ni d'ailleurs les stratégies antérieures en la matière 'Il paraît clair que la finalité première de cette mesure n'est pas de pénaliser directement la consommation des sacs en plastique à usage unique en Algérie. Il s'agirait plutôt de sévir en amont de la problématique, c'est-à-dire au niveau de leur fabrication ou de leur importation, ainsi qu'auprès des commerces qui les distribuent gracieusement à leurs clients, qui plus est avec beaucoup trop de largesse.
L'idée sur le papier paraît aussi simple que logique : pénaliser tous ceux qui les diffusent abondamment au sein de la société de consommation algérienne, afin qu'ils réduisent drastiquement cette tendance chez eux et donc par effet domino auprès des consommateurs. Ainsi, on pourrait même inciter, de ce fait, les acteurs de cette diffusion massive à s'orienter progressivement vers des solutions bien plus écologiquement vertueuses, notamment parce qu'elles sont censées devenir ainsi économiquement plus attractives pour eux. Cependant, il serait bien imprudent, voire naïf, de s'avancer sur l'estimation d'une telle démarche coercitive comme ultime solution à une problématique aussi complexe que celle de la pollution due aux sacs en plastique à usage unique.
Peut-on parler de solution de facilité où le fait de frapper au porte-monnaie aboutit à un résultat ' C'est peut-être aussi un aveu de l'absence d'une politique écologique efficace '
Il faudra bien plus qu'une simple «mesurette» pour traiter ce fléau en profondeur. Nous avons surtout besoin que soit mise en place dans notre pays une stratégie beaucoup plus ambitieuse à ce propos, où la pédagogie sociale ainsi que l'éducation civique seraient soutenues par une gouvernance elle-même exemplaire, sincère et surtout inclusive en matière de responsabilité environnementale, mais aussi de démocratie participative. Je ne peux qu'applaudir d'une main une telle mesure et pointer de l'autre son caractère beaucoup plus sensationnel que réellement volontaire à vraiment traiter radicalement la maladie.
On ne pourra résolument pas le faire en se contentant d'en panser seulement les symptômes?
Quelle serait l'alternative dans ce cas ' Est-ce l'utilisation de sacs en papier, ou ceux biodégradables, sachant que cette industrie nécessite des investissements conséquents et qui ne garantit pas zéro pollution '
Répétons-le à nouveau, au risque de paraître fort utopiste ou trop ambitieux pour notre société : on ne traitera pas la chose en changeant seulement de moyens de production ni de contenants, mais en remplaçant un paradigme de consommation éminemment écosuicidaire par un état d'esprit plus vertueux ; en reniant le concept économique du «tout jetable», pour miser enfin sur une économie algérienne réellement circulaire ; c'est-à-dire qui ne produira plus de déchets inutiles ou inutilisables. C'est d'ailleurs, il faut le concéder, pour notre ministère de l'Environnement et des Energies renouvelables, son nouveau cheval de bataille officiel, avancé en grande pompe sur l'échiquier médiatique.
Mais, il faudra faire preuve de beaucoup d'optimisme pour ne pas considérer cette posture comme un énième cheval de Troie, du moins, si cette taxe, sans réalité pratique, demeurera ainsi un caillou de bonne volonté jeté dans un océan de mauvaises pratiques.
Et peut-on assurer ce «grand remplacement» par une production locale suffisante de papier ' Faudra-t-il en importer davantage ou recourir à nos forêts et végétaux locaux, à l'exemple de l'alfa ' Cela aura autant de conséquences néfastes, dont sanitaires, économiques et écologiques. L'opération de recyclage du papier a un coût énergétique et chimique important. Elle ne sera pas anecdotique, surtout si elle est appliquée à l'échelle d'un marché de 40 millions d'individus.
A une telle dimension, le transport des sacs en papier, beaucoup moins compactables que ceux en plastique, provoquera une nette augmentation du transport routier, avec son lot de pollution et de surconsommation énergétique.
Cette taxe revue est destinée au financement du tri et du recyclage, est-il soutenu. Comment peut-on convaincre le citoyen de l'utilité de cette démarche alors que l'Algérie, qui consomme plus de 7 milliards de sacs en plastique annuellement, peine à mettre en place une industrie de recyclage '
Votre question a en grande partie pour réponse une autre question : les recettes actuelles de la fiscalité environnementale, tout comme celles des taxes écologiques, sont-elles réinjectées dans le secteur de l'environnement ' Pas à ma connaissance? Il n'y a, de plus, aucune politique de recyclage possible et surtout effective sans une pédagogie civique du tri sélectif. La clef d'un tel sujet passe nécessairement par lever un tel verrou comportemental au sein de notre société devenue, dans son trop grand ensemble, très réfractaire à la discipline citoyenne.
Enfin, le recyclage est certes une optique légitime sur le moyen terme, elle porte cependant en elle son lot de paradoxes, pollutions directes et indirectes. Ce n'est pas la panacée que l'on voudrait bien nous vendre ! Il faudra avant toute chose appliquer un des plus simples et sages adages en matière de gestion des déchets : le meilleur des déchets est celui que l'on ne produira jamais.
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