Célébrer le 1er
Novembre, célébrer la chute de Kadhafi ou la victoire de l'OTAN…
Qardhaoui a gagné. De son perchoir à Al-Jazeera,
cet homme, un des plus influents du monde arabe, a appelé les Libyens à tuer Maammar Kadhafi. Peu importe comment le tuer, il suffit de
l'exécuter, pour débarrasser le monde de ce personnage, a-t-il dit dans une fetwa célèbre prononcée dès le début de la crise libyenne.
Le vÅ“u de Qardhaoui a été exaucé. Son discours, inspiré d'une pensée
du Moyen-âge, a trouvé preneur. Et les hommes qui ont exécuté Kadhafi ont
naturellement adopté une attitude digne du Moyen-Age
: exécution sommaire, sans jugement, après de multiples sévices. Un des fils de
Kadhafi, Mouatassim, capturé en même temps que son
père, a été torturé, amputé d'un bras, avant d'être assassiné. Puis, toujours
dans la grande tradition tribale du Moyen-âge, les corps ont été exhibés au
public. Jusqu'à ce que l'image devienne choquante et contre-productive,
obligeant les parrains de la révolution libyenne à donner l'ordre de mettre fin
à ce spectacle macabre.
Qardhaoui et ceux qui ont porté le coup fatal à Kadhafi ont une
conception primaire de la politique. Ils ne connaissent pas l'indépendance de
la justice. Ils pensent qu'ils sont la justice. Kadhafi, lui aussi, pensait
qu'il était la justice, qu'il était la voix des pauvres et des opprimés. Il
jugeait et exécutait les sentences. Ses opposants étaient des rats, forcément
dans l'erreur. Lui était naturellement dans le vrai.
Les nouveaux maitres de la
Libye agissent comme Kadhafi. Lui était la révolution. Eux
sont la main de Dieu. La preuve ? Ils sont sur la même longueur d'ondes que Qardhaoui, la voie la plus autorisée de l'Islam moderne.
Ils appliquent les préceptes de Dieu et promettent d'instaurer la justice
divine au pays de Omar Mokhtar.
Il y a toutefois
un problème : les révolutionnaires libyens sont en phase avec Qardhaoui, qui est lui-même en phase avec la politique
étrangère de Qatar, le pays arabe le plus proche des Etats-Unis. Si proche
qu'un vétéran algérien, ancien moudjahid, veut simplifier les choses en
annexant aux Etats-Unis deux nouveaux Etats, Israël et le Qatar…
Autre paradoxe :
tous ces hommes qui affirment agir conformément à la parole de Dieu sont en
guerre entre eux. Qardhaoui, chef spirituel des
Frères musulmans, est en guerre contre Al-Azhar, mais
aussi contre Ben Laden, contre Khomeiny et contre Hasssan
Nasrallah. On ne sait s'il faut ajouter à cette liste
tous les illuminés qui ont mis l'Algérie à feu et à sang.
1. Maammar Kadhafi a échoué.
Lamentablement.
Mais il a eu la fin dont il a toujours rêvé : il a été assassiné par des gens
qu'il considère comme des traitres, alors qu'il
combattait des troupes étrangères. Comme son idole Omar El-Mokhtar.
Le leader libyen pensait diriger son pays. Il était convaincu d'en être le
leader incontesté, jusqu'au jour où il a découvert que son gouvernement était
une association dirigée par d'autres gens. Son ministre de la défense est
devenu chef du CNT, et un de ses ministres, Ahmed Jebril,
est apparu comme une sorte d'Ahmed Chalabi, pour
finir porte-parole d'une force qui a avalisé la destruction d'un pays par
l'OTAN.
Qui est qui en
Libye ? Il faudra de longues années pour dénouer les fils d'une tragédie dont
Kadhafi ne maitrisait que peu d'éléments. Mais
certaines vérités s'imposent d'elles-mêmes. La crise libyenne, née d'un
soulèvement interne, a eu un dénouement externe. Les Etats-Unis ont eu un rôle
central, même s'ils ont laissé à Nicolas Sarkozy le soin de jouer les gros
bras, de peur qu'une nouvelle invasion américaine en terre arabe ne provoque un
rejet trop violent.
Mais le plus dur
est peut-être ailleurs. Il est dans cet acceptation
d'une partie de l'opinion arabe, qui avalisé et soutenu une opération de l'OTAN
contre un pays arabe. Quel qu'en soit le prétexte,
cette évolution est importante. En Algérie même, des gens se sont mobilisés
pour soutenir l'attaque contre la Libye. Dans la presse et dans les réseaux
sociaux, cette position, affichée et assumée, est devenue très présente. C'est
une ligne qui est franchie : qui peut certifier que, demain, au nom d'un combat
contre une dictature, ou d'une cause quelconque, des militants zélés ne vont
pas soutenir une intervention «humanitaire» ou «onusienne » en Syrie, au Maroc
et, en fin de compte, en Algérie ?
2. Kadhafi a
trouvé peu de gens pour le défendre. Sa fin a surtout révélé l'impasse dans
laquelle il a mené son pays. Sa conception du pouvoir l'a mené à détruire
l'armée de son pays. Car même s'il affichait des ambitions démesurées, les
faits sont là, têtus, pour prouver que la Libye n'avait plus d'armée : au moment où le pays
s'est trouvé dans l'impasse, il n'y avait pas d'armée pour le sauver. Y compris
en éjectant Kadhafi, pour sauver l'intégrité territoriale de la Libye. Car si on peut
admettre qu'une armée libyenne ne pouvait rien contre l'OTAN, elle pouvait
prendre des initiatives pour éviter que le pays ne sombre dans le chaos ou
qu'il ne soit livré à des puissances étrangères.
Inutile, dès
lors, de parler des autres institutions. La Libye était un désert institutionnel, qui doit
tout inventer. De la gestion municipale à la notion de parlement, en passant
par une justice indépendante. En a-t-elle les moyens ? Une fois passée
l'euphorie de la chute de Kadhafi, la réalité, brutale, a frappé tout le monde.
La Libye est
plus proche de la Somalie
que de la Suisse. Elle
sert désormais de supermarché d'armes en tous genres à un vaste espace qui va
de la Somalie
au Sahara Occidental, en passant par le Niger et la Mauritanie.
Les pays
occidentaux, dont l'action a débouché sur une telle issue, pouvaient-ils
ignorer cette hypothèse ? Ce serait faire injure à leurs services spéciaux et à
leurs think-tanks de le penser. Il faut donc en
conclure qu'ils avaient froidement envisagé cette hypothèse, et qu'ils l'ont
laissé se développer sur le terrain. Comme en Afghanistan, en Irak et ailleurs,
les pays occidentaux créent une situation qui génère du terrorisme, et font
ensuite semblant de le combattre…
3. La crise
libyenne a suscité des réactions et des positions idéologiques (pour ou contre
l'intervention étrangère), parfois polémiques, souvent émotionnelles, en raison
d'une proximité historique avec la
Libye, mais rarement des positions politiques. Pourtant,
seules des positions politiques peuvent déboucher sur quelque chose de positif.
Dans le cas
libyen, la question centrale pouvait être formulée ainsi : quelle est la
meilleure formule pour que la
Libye puisse avancer vers une libération de la société et
l'établissement d'institutions viables ? Les expériences irakienne et afghane
ont montré qu'une démocratie importée n'a aucune chance de s'enraciner. Cela
provoque même une réaction inverse, car l'intervention étrangère crée les
conditions pour que la violence se prolonge indéfiniment.
Peut-être alors
faut-il revenir à la seule expérience algérienne aboutie, celle de la guerre de
libération. Celle-ci a révélé que le seul projet viable est celui qui exprime
une volonté politique nationale et mobilise un maximum de forces pour le
réaliser. Qu'un tel projet finira forcément par triompher. Ni la puissance
militaire de l'Amérique, ni la puissance médiatique d'Al-Jazeera,
ni les Chalabi et les colonel Youssouf, ne peuvent
rien contre une volonté politique nationale.
Ce qui nous
ramène à cette autre évidence : la démocratisation des sociétés arabes ne
pourra se faire qu'avec une volonté politique émanant des sociétés arabes
elles-mêmes. L'expérience algérienne de la fin des années 1980, la plus
exaltante en matière de démocratisation, a pu avancer parce qu'elle était
l'émanation d'un projet politique strictement algérien. En ce moment où
l'Algérie célèbre 1er novembre et où d'autres célèbrent les bombardements de
l'OTAN, cela permet de rétablir quelques repères.
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Posté Le : 03/11/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com