Ainsi, Kadhafi
est tombé. Cette nouvelle n'attristera pas grand-monde. Hormis ceux qui ont été
les hôtes de ses banquets, ceux qui ont bénéficié de ses largesses, hormis les
satrapes arabes encore en fonction et qui craignent de connaître son sort,
personne ne se désolera de la chute d'un tyran ubuesque, imposant à son peuple
la dictature de ses pulsions imbéciles.
Faut-il s'en
réjouir pour autant ?
L'éviction du
dictateur n'aurait sûrement pas pu se produire sans l'intervention massive de
l'OTAN, intervention qui a largement débordé le cadre de la résolution de l'ONU
qui la limitait à l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne. Les parrains de
cette intervention sont connus. Le plus remuant d'entre eux se nomme
Bernard-Henri Lévy. L'homme, philosophe approximatif, sioniste rigoureux, ne
s'est guère signalé par ses sympathies arabes. Sa passion pour Israël est sans
doute trop entière pour lui permettre de consacrer une once de bienveillance à
d'autres peuples. Il en a encore moins en réserve pour des Arabes perçus comme
ennemis irréductibles de l'objet de sa flamme. Cet homme n'a pas eu un mot de
compassion pour les morts de Jénine, ni pour ceux de Gaza. Pas une seule fois,
il n'a appelé à faire droit au désir de liberté des Palestiniens. Bien au
contraire, il n'a cessé de justifier l'action de leurs oppresseurs. Par quel
miracle les Libyens ont-ils bénéficié de sa sollicitude ? Par quel sortilège
a-t-il été amené à formuler des rêves de liberté et de démocratie pour des
peuplades si étrangères à son univers ? Surtout, comment a-t-il pu convaincre
les dirigeants de plusieurs grands pays occidentaux de voler à leur secours ?
Est-ce que l'exposé des souffrances de ces malheureux ployant sous le joug d'un
dictateur sanguinaire a ému Sarkozy, Obama et Cameron au point de les
convaincre de monter une expédition « vertueuse » visant à libérer les Libyens
de leur fardeau ?
En règle
générale, la fin d'un dictateur est un événement heureux. La fin de Pinochet,
la mort de Franco, la chute des régimes totalitaires au Cambodge, dans les ex
démocraties populaires, en Amérique du Sud, ont inauguré des ères nouvelles et,
en dépit des difficultés, ont abouti à l'installation de régimes démocratiques
et à un réel progrès économique.
Tel n'est pas
toujours le cas. La fin de Saddam Hussein a donné le signal d'un processus
mortifère par lequel le plus prometteur des Etats arabes s'est délité dans une
atroce effusion de sang. L'Afghanistan auquel on promettait le paradis après le
départ des talibans n'en finit pas de se désagréger dans un climat de terreur
et de corruption généralisée. Ces deux pays ont été « libérés » par des
interventions étrangères massives. Sous couvert d'imposition de la démocratie,
ils ont été la cible d'une croisade dont le but n'était certes pas d'assurer le
bien-être des populations locales.
Instaurer la
démocratie est une intention louable. Voler au secours de populations gémissant
sous la botte d'un tyran, voilà qui est bel et bon. Dans ce cas, Messieurs de
l'OTAN, pourquoi maintenir des relations privilégiées avec les potentats royaux
qui vous complaisent ? Pourquoi avoir soutenu le massacre des opposants
Bahreïnis qui ne demandaient rien d'autre que la … démocratie ? A propos de
Bahreïn, pays si cher (pour quelles raisons obscures ?) à Yasmina Khadra, ce
régime a obtenu le concours actif des monarchies du Golfe, notamment celui de
l'Arabie Saoudite et des Emirats Arabes Unis pour mener la bataille sanglante
contre son propre peuple, coupable de soulèvement contre l'arbitraire et pour
la démocratie.
Qui retrouve-t-on
dans la coalition dirigée par l'OTAN, venue courageusement au secours des
insurgés Libyens ? Qui a fourni des avions pour bombarder Kadhafi et soutenir
l'action des opposants à son régime ? Les Emirats Arabes Unis et l'Arabie
Saoudite ! Voici donc les parangons de vertu, les démocrates éclairés, qui
viennent de libérer la Libye
!
Bien sûr, le
temps des illusions est passé. On ne peut manquer toutefois de s'étrangler
d'indignation devant ce degré de cynisme.
Au-delà de la
colère, la question qui se pose est celle des buts de guerre. Revenons quelques
mois en arrière…
Les révolutions
tunisienne et égyptienne ont commencé sous d'excellents auspices. Les
dictateurs locaux y ont été révoqués par une insurrection populaire et
pacifique. Toutefois, le printemps tarde à y concrétiser ses promesses… Des
forces sont à l'Å“uvre pour tenter de confisquer les acquis de ces révolutions,
pour les dévier de leur cours. Parce que ces mouvements sont de vrais mouvements
populaires, parce qu'ils concernent l'ensemble de la population, parce qu'ils
expriment autant un désir de liberté que de dignité, ils dérangent les «
libérateurs » de l'OTAN. Il faut à toute force les contenir, les endiguer. La «
perte » de l'Egypte représenterait une énorme catastrophe pour les Etats-Unis
et Israël. D'une manière générale, l'émergence d'une démocratie authentique en
terre arabe est de nature à peupler les cauchemars des dirigeants Occidentaux.
Non seulement, ils tentent de l'empêcher en reprenant, via les armées locales,
le contrôle du processus, mais de plus, ils essaient d'établir un cordon
sanitaire afin que la flamme n'atteigne pas les pays du Golfe. La chute de
l'Arabie Saoudite représenterait un tsunami d'une ampleur telle qu'elle ferait
passer celui qui a frappé dernièrement le Japon pour un clapotis printanier.
L'endiguement
consiste en l'espèce à allumer des contrefeux. Ce qui vient de se passer en
Libye ressort de cette stratégie. Rappelons le principe des contrefeux : Un
incendie se déclare dans une forêt. Si on est incapable de l'éteindre par les
moyens classiques, on allume un feu dans une région située en avant de
l'incendie et dans la direction de sa propagation. Cette région une fois
carbonisée agira comme un obstacle à la propagation du sinistre. Une fois qu'il
l'atteint, l'incendie ne peut que s'éteindre. C'est ainsi que les analystes
comptent empêcher la contagion au Moyen-Orient de la secousse partie de
Tunisie. Nul ne sait si l'entreprise sera couronnée de succès. L'inconnue
syrienne pèse d'un poids très lourd. Mais la principale inquiétude tient au
mouvement de l'opinion dans les pays arabes. Il n'est pas du tout acquis que
celle-ci accepte le marché de dupes qui consiste pour les Occidentaux à lui
offrir de la débarrasser de ses tyrans en échange de la mise de son territoire
en coupe réglée.
On l'aura
compris. L'enjeu est de taille. Il s'agit pour le monde arabe de réussir son
retour dans l'Histoire, d'assurer sa présence dans les forums mondiaux où se
traitent les problèmes de la planète, en somme d'accéder au rang d'acteur de
son devenir. Cette perspective n'est pas du goût des actuels maîtres du monde
obsédés par la pérennité de leur domination. Il faudrait d'abord que les pays
arabes cessent de prêter le flanc aux stratégies interventionnistes de
l'Occident. Kadhafi ne s'est pas seulement rendu coupable de crimes contre son
peuple. Il est également comptable de sa mise sous tutelle dont on constatera
sous peu les effets. De même, El Assad bombardant sa population n'est pas
seulement le boucher sanguinaire bien connu désormais. Il est le dirigeant
brutal et obtus qui est en train de livrer son pays pour longtemps à la
domination étrangère. L'Algérie devrait méditer cette leçon. Nos dirigeants
seraient bien inspirés d'engager un processus de réformes véritables et
sincères. L'heure n'est plus aux misérables stratégies d'évitement des conflits
telles que la distribution à tout va de ce qui ressemble de plus en plus à de
la monnaie de singe, ni à la démission de l'Etat devant l'instauration des
jungles urbaines que sont devenues nos villes.
Un fait notable
mérite d'être relevé. Dans les anciennes démocraties populaires et en Amérique
du Sud, les mouvements d'émancipation des peuples se sont accompagnés d'un
foisonnement culturel. L'Histoire y a été revisitée. C'est avec avidité que les
patrimoines ont été remis au jour, donnant ainsi du sens et de la profondeur à
ce qui, à défaut, n'aurait peut- été qu'une banale émeute. Le monde arabe
devrait s'en inspirer, en inscrivant son action dans la filiation de Ibn Rochd,
l'Emir Abdelkader, Ibn Arabi, Ibn Sina, personnalités dont l'apport au monde
est incontestable. Ce n'est pas par le sang ou par l'ethnie, c'est par la
culture et la civilisation, c'est par la dimension universelle qu'il porte
qu'il veut accéder au rang des nations libres.
Restons attachés
aux idéaux universels et travaillons sans relâche à leur promotion. C'est ainsi
que nous nous inscrivons dans tous les combats pour la réalisation des aspirations
démocratiques des peuples et pour la préservation des droits de l'Homme.
Revendiquons-nous
de nos mosquées et de nos églises, de nos courants rationalistes, des cultures
anciennes et des langues originelles des pays qui constituent aujourd'hui le
monde arabe.
Cette
civilisation a été un phare pour l'Humanité. Elle peut encore contribuer à son
développement et à son progrès.
Nous n'imaginons
pas le monde de demain amputé de sa dimension arabe.
Nous n'imaginons
pas que demain, les pays arabes ne soient rien de plus qu'un enjeu de guerre
entre les puissances dominantes.
L'Irak est
démembré, la Palestine
agonise, le Liban subit les assauts périodiques de la part de son voisin
israélien. La Libye,
la Syrie, le
Yémen… sont exsangues. De grands pays arabes sont réduits à un rôle de
comparses incapables de définir une stratégie propre et de la conduire dans
l'intérêt de leurs peuples. La
Tunisie et l'Egypte tardent à aller au bout de leurs
promesses.
Proclamons que
nous sommes en faveur de la paix du monde ; Disons notre souhait que les jeunes
gens du monde entier se libèrent de la guerre, se rencontrent, se découvrent,
dialoguent, bref qu'ils nous préparent pour demain la société humaine dont nous
rêvons.
Pour que ce rêve
devienne possible, il faut en finir avec l'injustice. Il faut mettre à la
raison celles et ceux qui s'estiment de droit propriétaires de toutes les
richesses de la Terre
et traitent les peuples qui en sont les détenteurs comme des indus occupants
qu'il faut chasser ou tuer. Il faut mettre à la raison celles et ceux qui
s'estiment en droit d'étendre leurs territoires en en chassant les habitants
légitimes, voire en les massacrant. Il faut dans le même mouvement en finir
avec la fatalité qui consiste à vivre dans l'ombre de dictateurs qui n'ont même
pas l'excuse d'offrir à leurs populations une vie décente.
Ce n'est pas une
fatalité. Le monde arabe n'a pas vocation à servir de champ de bataille
permanent entre puissances désireuses de s'approprier ses ressources. Il n'a
pas vocation à être gouverné pour l'éternité par des oligarques incapables de
le sortir de la misérable situation de sujétion dans laquelle il est confiné
depuis des siècles.
Indignons-nous
face à cette situation intolérable et appelons hommes et femmes de bonne
volonté, hommes et femmes désireux de garantir un avenir de paix et de
stabilité, à manifester un soutien résolu en faveur de la résistance arabe au
Liban, en Palestine, en Irak, en faveur des processus d'émancipation en
Tunisie, en Egypte…
Si nous ne le
faisons pas, nous manquerons le rendez-vous que l'Histoire, bonne fille, nous
propose aujourd'hui. Nous avons manqué le rendez-vous des indépendances qui
auraient pu accoucher de ce nouveau monde que nous appelons de nos vœux. Il est
rare que l'Histoire repasse les plats. Elle nous propose une sorte de session
de rattrapage pour l'accès au train de la modernité et du développement. Ne la
manquons pas.
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Posté Le : 25/08/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Brahim Senouci
Source : www.lequotidien-oran.com