Algérie

Kader, les gens formidables et le vaccin anti-Covid



Kader est un homme «bien». La soixantaine bientôt, il tire ses dernières années de boulot avant le repos du guerrier. Non, Kader n'a pas un travail pénible, du genre qu'on colle toujours aux héros d'histoires insipides qu'on raconte quand on n'a rien à dire. Ou quand on est un bavard clinique, ce qui est à peu-près la même chose. Kader ne trime pas à la tâche mais il travaille, ce qui n'est déjà pas si mal. Ou ce qui est une performance, ce qui veut dire aussi la même chose. Kader est un «agent» de Sonelgaz, le genre de boulot imprécis, qui peut vouloir tout dire ou ne rien dire, ce qui signifie toujours la même chose, comme dans les deux cas cités plus haut. Le problème est que le poste d'agent à Sonelgaz a beau être tout ou le fourre-tout, deux termes identiques sauf que le premier est simple et le second composé, vos amis et surtout vos voisins sont toujours convaincus que vous êtes aux factures. Personne ne leur a dit que vous êtes un agent de recouvrement mais ils décident tous seuls que c'est ainsi. Ils vous affectent là où ça les arrange. Surtout, n'allez pas leur dire que vous n'avez rien à voir avec la mission qu'ils vous collent. Vous aurez droit au sourire entendu des gens tellement perspicaces ou... renseignés qu'on ne peut rien, absolument rien, leur cacher. On a failli zapper ça : perspicaces et renseignés ça veut dire aussi la même chose. Ça commence à devenir pénible mais on n'y peut rien, puisque c'est fait pour. Kader était donc un gars bien. Inutile de dire qu'il est marié, cela coule de source. Comme tous les gens formidables, Kader a une charmante épouse, professeur d'anglais dans le collège du quartier, souriante, serviable, dévouée et tout et tout. Evidemment, il a aussi des enfants. Des trésors de bambins, un garçon et une fille. On allait oublier que c'est la même chose, puisqu'ils sont tous les deux des enfants. Kader est donc un homme superbe, respecté et respectable, ce qui n'est pas du tout la même chose même si les deux dérivent d'une même structure. Et c'est tant mieux, parce que quand ce n'est pas la même chose, ça veut dire que c'est deux choses, ce qui fait deux qualités pour Kader qui les vaut bien : respecté et respectable. Depuis le début de la pandémie, Kader a observé toutes les mesures barrières et n'enlève sa bavette que sur son canapé, à distance respectable des petits et de leur maman. Il a respecté tous les confinements, tous les couvre-feux, toutes les distanciations physiques et sociales même s'il n'a jamais su si c'est la même chose ou c'est deux choses différentes. Il a toujours été disponible pour le geste et la parole utiles et quand le vaccin est arrivé, il s'est inscrit sur la plate-forme électronique et il a attendu sagement, confiant que son tour viendra et convaincu qu'il y a des gens prioritaires qui doivent passer avant lui. On lui a dit qu'il suffisait de se présenter dans certaines polycliniques pour recevoir sa dose mais il ne l'a jamais fait, parce qu'il «sait» que ce n'est pas possible. Kader est un gars bien, on ne se lassera jamais de vous le dire. Avant-hier, en passant par Bab-el-Oued, il a vu un chapiteau sur la plateforme d'El-Kettani. En se renseignant, il a appris qu'on était en train de vacciner tout le monde. Enfin, pas tout le monde mais tous ceux qui le souhaitaient, ce qui veut dire à peu-près la même chose. Alors, Kader a été tendre le bras pour la petite intramusculaire. À ne pas confondre avec tendre la main, ce n'est pas du tout la même chose.S. L.


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