Algérie

Kabylie : Belle et rebelle de Yalla Seddiki Yazid Bekka, (Beaux-Livres) - Éditions Non Lieu, Paris 2006



Kabylie : Belle et rebelle de Yalla Seddiki Yazid Bekka, (Beaux-Livres) - Éditions Non Lieu, Paris 2006
Présentation

Depuis plus de 20 ans, Yazid Bekka répond à un devoir de mémoire en photographiant le pays de son enfance : les paysages, les villes, les objets, et surtout les hommes, les femmes, les enfants, saisis dans leurs activités quotidiennes, dans les moments de fête ou dans l'intimité familiale. Il nous fait pénétrer ici dans l'âme de la Kabylie, une âme que depuis toujours les poètes ont cherché à saisir. Leurs plus belles pages sont dès lors conviées à dialoguer avec les photographies. Et ainsi textes et images collaborent pour brosser le portrait d'une Kabylie belle et rebelle.

Le regard de Yalla Seddiki sur la poésie kabyle

Yalla Seddiki et Yazid Bekka viennent d’éditer, il y a quelques semaines, un livre illustré par des images sur la Kabylie et intitulé Kabylie belle et rebelle. En plus des images très expressives de la Kabylie profonde, prises par Yazid Bekka, Yalla Seddiki a introduit une autre illustration, et “qui” sont des poèmes écrits ou chantés par les enfants de cette terre belle et rebelle. Après une préface en tamazight, l’auteur a réalisé une longue postface à travers laquelle il nous a livré une analyse profonde sur les contours, les profondeurs et le rôle que joue la poésie à travers ce morceau de l’Algérie. Dans le présent article, nous avons tenté de livrer quelques bribes de la réflexion et du regard de ce jeune érudit à propos de la poésie kabyle et sous différents angles.
Selon Seddiki, la Kabylie est synonyme d’une “émotion appelée poésie». Cet art est lié à la vie de cette population depuis son existence : «Aussi loin “que” remonte la mémoire de ceux que l’on appelle les Kabyles, la parole transmise jusque dans le secret et la terreur demeure la sentinelle qui avive la conscience …L’être et l’émotion, l’identité et le chant sont si indissociablement liés qu’il n’est pas possible à l’observateur de prétendre comprendre la Kabylie s’il ne s’avise pas de cette émotion appelée Poésie», écrit l’auteur.
Dans la plupart des cas, la poésie restait la seule arme possible entre les mains des habitants de cette importante région et ce pour s’exprimer et pour se défendre face aux multiples envahisseurs depuis les phéniciens : «La poésie est la lézarde à travers laquelle l’air parcourt, à l’essouffler, l’ordre forgé par des croyances autochtones parfois rigides jusqu’à la tyrannie et surtout par celui imposé, sous des livrées différentes, par des millénaires de dominations étrangères : celles des Phéniciens, des Romains, des Turcs, des Français, etc.»
Privé d’une civilisation et de la science d’écritures et d’autres façon de s’exprimer, de se faire développer et ce suite aux climats de guerres incessantes auxquelles le peuple kabyle est soumis, la poésie reste l’unique moyen d’exprimer tous les sentiment et le seul train qui véhicule les pensées entre les générations: « Les rages clandestines et les courages irréductibles, la faveur, et le blasphème, la foi et l’athéisme, le deuil et l’espérance, l’histoire et le mythe se divisent ou se rassemblent, s’entredéchirent pour tracer le portrait d’une Kabylie qui, privée d’écriture, n’aura trouvé que cette forme pour s’enraciner autant que pour en transmettre les rares conquêtes…C’est la construction de la sensibilité et de la personnalité historique et sociale de la Kabylie ».

Si Mohand, le pilier de la poésie Kabyle

Comme repère et monument de la poésie kabyle, il cite Si Mohand. «Si Mohand est le premier Kabyle qui s’est imposé, qui a compris une gloire, en était porté par un élan lyrique en dehors de toute conformité aux normes de la société…. La poésie de Cheikh Mohand, débarrassée de la pesanteur religieuse, est de celle autour de laquelle il eût été possible de faire naître une philosophie, à l’instar de ce qui advient en Grèce à partir des présocratique», écrit l’auteur. Après Si Mohand, il évoque une autre génération d’artistes qui, en continuant dans la foulée du Chikh, ont réussi à révolutionner l’art de la poésie : «D’autre part, la poésie chantée a donné naissance à une génération d’artistes, pour certaines novateurs, dont la sensibilité subversive, voire révolutionnaire, a favorisé la diffusion de mode de pensées méconnues jusque-là dans la population kabyle. Cheikh El Hasnaoui - Slimane Azem - Cherif Kheddam- Youcef Abdjaoui- Nouara - Lounès Matoub,…»
Il évoque aussi le dépassement du lyrisme sentimental prôné par Ait Menguellet à partir des années 70. «Le premier à avoir assurément introduit des ossatures poétiques nouvelle c’est Ait Menguellet. A partir du milieu des années 70 et jusqu’au début des années 80, il élabore une suite de textes qui rompent avec un lyrisme sentimental alors hégémonique”. Et d’analyser encore la mutation constatée : «Dans un jeu subtil entre l’allégorie, la personnification, le poème narratif, il a assurément contraint les poètes kabyles à rompre avec les lieux communs stylistiques et thématiques pour en extraire une profondeur nouvelle».

La poésie kabyle à partir de 1980

Selon Yalla Seddiki, la plus importante figure de la poésie kabyle, à partir de 1980, reste Matoub Lounès avec l’introduction d’un style nouveau qui est plus mordant : “Matoub incarne un autre type de poète, incluant ce genre de travaux et allant plus loin. Mobilisant toutes les ressources de la voix, des arrangements, il se lance à son tour dans des compositions très complexes : l’audace des métaphores se mêle à des agencements où le lyrisme se greffe à l’imprécation, l’histoire au mythe, l’épopée du moi à l’histoire d’un peuple, la subversion la plus radicale en détournement systématisé de grandes œuvres du passé ou du présent pour créer de nouvelles unités de sens».
Après avoir évoqué d’autres poètes à l’exemple de Mouloud Zedek, Youcef Ou Qaci au XVIII siècle Mouhand Ait Messaoud au XIX siècle, les chercheurs écrivains évoquent les tragiques destins des poètes kabyles : «La poésie est un chemin où l’ogre guette à chaque détour …penser à cette vague de mort qui, dans les années 20, en Russie, emporta une génération de poète. En donnant des traits plus durs à l’analyse de Roman Jakbson, on peut affirmer qu’en Kabylie, par ses insuffisances, un peuple a gaspillé ses poètes. Hanifa morte dans l’indigence et la solitude, son corps fut découvert plusieurs jours après Slimane, El Hasnaoui, Tawes Amrouche Djaout, Matoub”.

Les Poètes face aux envahisseurs

L’auteur dans son étude met en exergue le rôle joué par les poètes dans les luttes contre les occupants. La poésie kabyle se conforte avec le dégoût qui suit la confiscation de la lutte contre le colonialisme français au profit d’une oligarchie qui lui a substitué un autre colonialisme. Ont a réussi à unir autour d’eux, plus qu’un parti politique ne pouvait le faire, les aspirations à une transformation sociale radicale. Selon lui, les poètes sont les “rares” qui ont réussi à briser tous les tabous pour exprimer des sensations profondes et parfois métaphysiques : «A la passion amoureuse, à la condition commune, à la soif d’absolu, aux rages métaphysiques, à l’irrédentisme politique, à l’impudeur du dévoilement, à la monstruosité de la dégradation physique et morales, les poètes -chanteurs ont donné des traits, une incandescence expressive dans une profondeur inédite».
Dans cette postface, l’écrivain se penche sur la poésie composée par les femmes qui vivent toujours sous la prédominance et la tutelle des hommes. Selon lui beaucoup de poèmes anonymes reviennent aux femmes : «Les femmes sont le plus souvent, les auteurs de ce verbe clandestin. L’appartenance sexuelle, l’audace de ce qui est dit, le défit lancé à l’ordre dominant expliquent pourquoi personne n’est en mesure d’attribuer à des auteurs identifiables ,les très beaux poèmes connus aujourd’hui sous le nom «Tizlatin».
Et d’ajouter : «En dépit du contrôle coercitif dont l’accablent différentes instances familiales, tribales, religieuses, l’individualité trouve les ressources et les modes qui lui permettent de s’exprimer, voire de se réaliser, parfois quel qu’en soit le prix». Enfin, à signaler que dans cette œuvre si intéressante en plus de cette étude, l’auteur à assuré une traduction réfléchie du français en tamazight et de tamazight en français. Il a aussi consacré des bibliographies et tous les poètes kabyles reproduits dans ce livre.
En un mot, l’œuvre qui doit paraître très prochainement en Algérie est une belle fenêtre d’un pan entier de la culture et de la vie de la Kabylie que Yalla Seddiki vient d’ouvrir sur le monde.


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