Algérie

Juste une histoire



Juste une histoire
L'histoire de Farid aurait pu être banale. Des sportifs ratés qui terminent dans des boulots minables, ce n'est pas ce qui doit manquer. A Alger, dans toute l'Algérie et partout dans le monde. Des histoires du genre, il y en a même à profusion. Il y en a tellement que les plus illustres parmi elles ont suscité quelques productions cinématographiques ou littéraires qui n'ont jamais manqué d'intérêt.Dans une autre vie, Farid a donc été judoka. Dans la vraie vie, il est aujourd'hui videur dans un bar-restaurant des hauteurs d'Alger, qui a pignon sur rue.«Un rendez-vous pour branchés», comme on dit chez les? branchés. Oh, si vous comptez arracher à Farid le moindre mot de dépit, vous avez perdu d'avance, soyez-en sûr. Il est trop fort, et pas seulement au physique pour se plaindre sur son sort. S'il y a une grosse part de résignation dans sa vie présente, il n'en demeure pas moins qu'il lui reste assez de cran pour rester en son fort intérieur, le battant qu'il a été sur les tatamis.Ceux des combats victorieux, ceux de quelques défaites amères où simplement ceux de l'entraînement de tous les jours. Farid est né bagarreur. Et paradoxalement, le sport a tempéré ses ardeurs plus qu'il ne les a stimulées. Quand son grand frère l'avait inscrit au judo, la mode était au karaté et quasiment tous ses copains de jeu et d'école se sont «naturellement» dirigés vers ce sport. Personne parmi ceux de son âge qui étaient dans son entourage direct n'avait compris d'ailleurs.Pour eux, Farid était la terreur des petites bagarres de quartier, il devrait spontanément prolonger ça dans une salle de karaté. Le sport en vogue du moment, qui plus est semblait être créé spécialement pour lui. Mais il y a des certitudes que la réalité infirme en leur tordant le cou. Farid ne fera pas de karaté. Et ce qui ne gâte rien, il ne se bagarrera plus, jusqu'au «jour d'aujourd'hui», comme on dit dans le français nouveau. Il paraît que le judo absorbe l'agressivité qu'il y a chez les bagarreurs comme lui. Et c'est en entendant cela chez l'un de ses amis, à qui on ne peut rien cacher en matière de sport, que l'aîné de la famille a pensé à inscrire ce dernier au judo. Enfin, «penser» est une façon de parler. Parce qu'en fait, il a décidé, comme il décide de tout depuis qu'il a pris la place du paternel décédé depuis quelques années. Et Farid n'avait pas d'autre choix que de s'y soumettre. Et? d'aimer le judo. N'est-ce pas que «quand on n'a pas ce qu'on aime, il faut aimer ce qu'on a» ' Farid a tout de suite révélé l'immensité de son talent. Et de grade en grade, il a gravi tous les échelons, et bientôt il se distinguera en compétition nationale. Presque plus personne ne triomphera de lui, dans sa catégorie. Bien parti pour être un grand champion. Jusqu'à cette méchante blessure qui l'éloignera des mois et des mois du tapis. Et quand il est revenu, il avait tout de suite compris que rien ne sera plus comme avant, pour lui. Rechute, nouvelles absences prolongées puis l'évidence : Farid ne pouvait rien donner au sport de haut niveau. Puis, l'oubli et l'anonymat qui l'ont poussé à sauver le minimum : faire bouillir la marmite. Un ami, ancien sportif comme lui, lui propose de bosser avec lui dans un cabaret. S'installe l'habitude. Aujourd'hui, il raconte son parcours, sans jamais pleurnicher. Juste une histoire, comme une autre. Videur ' «Un métier comme un autre», dit Farid, comme pour se convaincre lui-même.




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