Algérie

Juste un mot : Sembène, un enfant du Sénégal



Juste un mot : Sembène, un enfant du Sénégal
Le Sénégal, ce pays qui n'est petit que par la superficie et le nombre d'habitants, nous donne espoir encore une fois et nous permet de croire en l'avenir, ce qui est important et vital de nos jours. Il y a seulement quelques mois, nous avions pensé que c'était la catastrophe dans ce pays, avec son vieux Président qui voulait un troisième mandat coûte que coûte, qui voulait imposer son fils comme son successeur, qui a manipulé et arrangé la Constitution, qui a tenté de ruser et de tricher pour arriver à ses sales fins. Heureusement, aujourd'hui, tout a changé, et le vieillard président a finalement accepté sa défaite, le résultat des urnes que lui a imposé ce merveilleux peuple sénégalais.
A notre avis, si la catastrophe n'est pas arrivée, si le drame ne s'est pas produit, c'est grâce à la vigilance, l'engagement, la lutte des enfants du Sénégal, de tous les enfants du Sénégal et il nous faut le dire, le redire et le souligner. A notre avis encore une fois, c'est grâce à l'histoire de ce pays, à l'histoire de ce peuple qui a donné et nous a donné des enfants, des citoyens qui ont semé depuis des années et même des décennies. Ils sont nombreux ces enfants du Sénégal, prodiges et prodigieux, mais en ce qui nous concerne, nous nous arrêterons à l'un d'entre eux qui, depuis un demi-siècle, cinquante ans au moins, a apporté à son peuple et à toute l'Afrique, par ses films et par ses livres, les mots justes, la parole courageuse, et nous pensons bien sûr à l'ami Sembène Ousmane.
Quelques événements vécus en sa présence et avec lui permettront à nos lecteurs de comprendre, de saisir le sens de notre propos et d'apprécier les nombreuses qualités d'un meneur d'hommes, d'un libre penseur, d'une lumière de chez nous. Le premier s'est tenu à Ouagadougou, fin des années 1970, à l'occasion du Festival panafricain du cinéma, le Fespaco , quand Thomas Sankara, président du Faso de l'époque, avait donné rendez-vous à tous les participants du festival pour la pose du premier rail de la ligne de chemin de fer Ouagadougou-Bobodilasso.
Une belle photo représentant Bouamari dans son bleu «shangaï» et sa coupe «banane», Sembène avec sa casquette de docker et sa légendaire pipe à la bouche, soulevant tous deux ce rail, était le symbole de cet immense événement. Elle devint par la suite un timbre-poste du Burkina Faso. Durant tout ce festival, nos deux amis passèrent toutes leurs journées et quelques-unes de leurs nuits à présenter des films, mener des débats, donner des conférences, sans aucun signe de fatigue, et Sembène n'arrêtait pas de répéter qu'il était bien entraîné, car il menait ce travail tout le temps au Sénégal pour les siens.
Le deuxième, est celui à l'occasion de la leçon de cinéma qu'il a donnée à Cannes, où, amusé et rieur, il introduisit son sujet de la façon suivante : «Lorsque j'ai reçu l'invitation pour dispenser une leçon de cinéma dans le plus grand festival du monde, j'ai vite accepté, car j'avais deux choses fondamentales à dire en ces lieux. La première est que je suis très content de donner enfin une leçon à nos cousins français qui nous en donnent depuis plus d'un siècle. La seconde est d'avertir encore une fois les critiques et les journalistes pour qu'ils n'écrivent plus que je suis auprès de mon peuple, moi qui suis à l'intérieur de mon peuple, qui vis sa vie, son rythme et ressens ses palpitations».
Le troisième événement nous le ramène à la Cinémathèque, à Alger, pour présenter son dernier film Moolaade, qui traite de l'excision, cette pratique des temps anciens, barbare, insupportable, qui cause encore tant de ravages sur notre continent. Il est vrai que notre ami aurait certainement préféré mettre en images l'épopée de Samory Touré, le héros, le Abdelkader des peuples de l'Afrique subsaharienne, lorsque celle-ci était unie. Malheureusement pour nous tous, ce projet n'a jamais abouti, donc le film n'a jamais vu le jour pour des raisons financières, donc sordides. Les chefs d'Etat africains n'ayant jamais voulu jouer le jeu et assumer leurs responsabilités. Disons tout de même à Sembène qu'en luttant contre l'excision, il lutte encore et aussi pour la libération et l'indépendance de notre continent.
Enfin, le dernier moment fort, vécu avec cet immense cinéaste et auteur, se rapporte à une scène, c'est le cas de le dire, que nous n'oublierons jamais. Il s'agit de sa rencontre à Alger dans un restaurant du bord de mer, le fameux «Sauveur» à La Madrague, avec un autre combattant malheureusement disparu, lui aussi, aujourd'hui, Arezki Bouzida, cet authentique fidaï et avocat courageux. Comme ils sont faits de la même pâte, ils se reconnurent, se jaugèrent, s'apprécièrent, et tous deux debout l'un face à l'autre, se lancèrent avec leurs voix fortes et puissantes dans un procès public du colonialisme, au nord et au sud du Sahara, qui nous impressionna fortement.
Pendant plus d'une demi-heure, les mots cognaient et disaient leur vérité. Tous les clients du restaurant, fort nombreux, cessèrent de manier fourchettes et couteaux pour suivre avec curiosité d'abord, intérêt ensuite, admiration enfin, cet échange pour leur adresser, tous heureux, applaudissements et remerciements. Nous regretterons toujours de n'avoir pas enregistré ce moment fabuleux entre le griot et le meddah, tant nous aurions aimé le publier aujourd'hui, alors que des voix révisionnistes et mensongères s'élèvent pour faire croire, on ne sait à qui, que la colonisation nous a apporté des bienfaits et aurait même soulagé nos peuples'




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