Algérie

juste un mot : la bataille de Bordj



L'Algérie tout entière et Alger tout spécialement étaient devenus invivables en ces années 1990, terribles et meurtrières, où les terroristes frappaient, tuaient, et les hommes tombaient, pleuraient. Tout était bon pour les hordes sauvages pour atteindre leur objectif criminel. La tromperie, la ruse, la tricherie, la traîtrise, le guet-apens, le traquenard, les tirs dans le dos, en un mot, ils étaient insatiables, ils voulaient tout détruire. Le peuple se taisait, se terrait, la peur avançait et gagnait, et plus personne n'avait confiance en l'autre, ni aux amis, ni aux voisins, ni aux proches, et nos femmes et nos hommes se réfugiaient n'importe où, n'importe comment et nombreux étaient ceux des nôtres qui, paniqués et désorientés, prirent le chemin de l'exil. C'est en ces moments pénibles qu'une journaliste du quotidien français Le Monde débarqua à Alger, et fort étonnée de nous retrouver dans notre bureau, alors qu'elle nous croyait à l'étranger, nous amena à cette réplique, avouons-le, quelque peu prétentieuse, vue d'aujourd'hui : «Je reste ici, car je préfère avoir peur qu'avoir honte.»
Beaucoup des nôtres, déjà partis, nous reprochèrent à juste titre cette sortie téméraire, cette bravade, que le fameux journal parisien avait titrée à la une le lendemain. La journaliste n'était restée à Alger que quelques petites heures, elle avait débarqué par l'avion du matin pour embarquer dans celui du soir. En effet, il leur était interdit de passer une seule nuit à Alger, tant les dangers étaient grands et existaient en tout lieu et tout le temps. Pour notre part, nous venions de vivre des moments graves et dangereux, à Bordj Bou Arréridj, où les élus locaux, tous membres du parti de la destruction et de l'assassinat, l'ex-FIS, ignorants et violents, avaient fermé la petite salle de la cinémathèque de cette ville, sous le prétexte fallacieux, mensonger, d'atteinte à l'ordre public en diffusant un film pornographique, et c'était, tenons-nous bien, Les bonnes femmes de Claude Chabrol, film exquis et plein d'humour.
En réalité, les véritables raisons de cette fermeture sont que Djillali, l'animateur et programmateur inspiré de ce lieu, était très vite parvenu à mobiliser, autour du cinéma, les jeunes de sa ville natale, filles et garçons mêlés. Les images de notre manifestation à BBA, saisies par Ahmed Lallem, diffusées et rediffusées par les nombreuses télés, sont la preuve, aujourd'hui, des risques que nous avions fait courir à tous les hommes de cinéma, artistes, techniciens, journalistes, figurants et même amis, amoureux du septième art, qui avaient fait le déplacement avec nous, pour l'organisation d'une marche symbolique et naïve en vue d'obtenir la réouverture de cette salle par des moyens pacifiques, et par-là même de défendre notre culture.
Le traquenard dans lequel nous étions tombés, car des centaines de jeunes barbus en kamis nous ont accueillis armés de couteaux, d'épées, de haches, de barres de fer et même de faucilles, avec une police désorientée, incapable de nous protéger, nous permet de comprendre aujourd'hui combien nous l'avions échappé belle, et toute la naïveté et la bonne foi de notre démarche, est symbolisée et rendue par la course folle de cette jeune femme, belle et élégante, les cheveux libres et au vent, dans sa robe, plutôt mini-robe, sur laquelle était inscrit et à l'avant, et à l'arrière, et en gros caractères, le mot «cinéma», tentant de rejoindre une maison citoyenne, pour échapper aux sauvages déchaînés.
C'est suite à cet événement que nous nous sommes permis d'ajouter à la journaliste : «Ces gens-là vont bientôt tuer.» Malheureusement, nous ne nous étions pas trompés, puisque quelque temps plus tard, Tahar Djaout allait tomber sous leurs balles, inaugurant ainsi la funeste et longue liste des nôtres qui allaient tomber sous leurs balles assassines.
Tout notre désarroi et notre peine sont alors rendus par ces quelques vers de l'ami poète, Djamel Amrani, lorsqu'il écrivait : «Dire que des hommes tuent d'autres hommes, alors que le soleil existe, je l'ai vu ce matin.»




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