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Juste un mot : l'homme qui créa des films Culture : les autres articles


Tout Luis Bunuel se retrouve dans Terre sans pain. Le contenu et la vie de ce film documentaire réalisé en 1925 nous indiquent avec clarté et courage le cheminement et l'itinéraire de ce grand cinéaste. Nous retrouvons dans ce film, tourné dans la partie de l'Espagne la plus pauvre et la plus misérable, à la frontière du Portugal, des éléments importants et une démarche de ce maître. Nous retrouvons, en effet, l'âme de l'Espagne profonde, celle de Goya et de Velasquez, comme le disait à juste titre un grand cinéphile de l'époque. Nous retrouvons enfin la démarche significative de Bunuel, passant d'une mise en scène surréaliste à une transcription directe de la réalité, sans qu'il y ait la moindre rupture ni dans l'esprit ni dans le style de son 'uvre.
C'est parce que la censure bête et méchante interdit son film que Bunuel quitta l'Espagne pour se retrouver à Paris. Il baigna immédiatement dans le milieu surréaliste et retrouva vite ses marques. Il devint critique pour joindre les deux bouts. Dans un texte, qu'il publia en 1927 dans une revue littéraire, il nous dit déjà tout ce qu'était et sera le cinéma : Octavio Paz a dit : «Il suffit à un homme enchaîné de fermer les yeux pour qu'il ait le pouvoir de faire éclater le monde» ; j'ajoute moi, en le paraphrasant, «qu'il suffirait que la paupière blanche de l'écran puisse refléter la lumière qui lui est propre pour faire sauter l'univers, mais pour le moment nous pouvons rester tranquilles, car la lumière cinématographique est soigneusement dosée et enchaînée».
Aucun des arts traditionnels ne manifeste une disproportion aussi grande entre les possibilités qu'il offre et ses réalisations. Parce qu'il agit de façon directe sur le spectateur en lui présentant êtres et choses concrètes, parce qu'il l'isole grâce au silence et à l'obscurité de ce qu'on pourrait appeler «son habitat psychique». Le cinéma est capable de le mettre en extase mieux qu'aucune autre expression humaine, mais mieux qu'aucun autre il est capable de l'abêtir, et malheureusement, la grande majorité de la production cinématographique actuelle semble ne pas avoir d'autre mission. Les écrans font étalage du vide moral et intellectuel dans lequel se vautre le cinéma.
En effet, il se borne à imiter le roman ou le théâtre avec la différence que ses moyens sont moins riches pour exprimer la psychologie ; il répète jusqu'à satiété les mêmes histoires que déjà le XIXe siècle s'est fatigué de raconter et qui se continuent encore dans des romans contemporains' Le cinéma est une âme magnifique et dangereuse si c'est un esprit libre qui le manie. C'est le meilleur instrument pour exprimer le monde des songes, des émotions et de l'instinct. Le mécanisme créateur des images cinématographiques est, de par son fonctionnement, celui qui parmi tous les moyens d'expression humaine rappelle le mieux le travail de l'esprit pendant le sommeil.
Le film semble une imitation involontaire du rêve. B. Brunius fait observer que la nuit qui envahit peu à peu la salle équivaut à l'action de fermer les yeux, c'est alors que commence sur l'écran et fond de l'homme l'incursion nocturne dans l'inconscient ; les images, comme dans le rêve, apparaissent et disparaissent au moyen des «fondues», le temps et l'espace deviennent flexibles, se rétrécissent ou s'étirent à volonté : l'ordre chronologique et les valeurs relatives de durée ne correspondent plus à la réalité, l'action cyclique doit s'accomplir en quelques minutes ou en plusieurs siècles, les mouvements accélèrent les retards'
Le cinéma paraît avoir été inventé pour exprimer la vie du subconscient dont les racines pénètrent si profondément dans la poésie, cependant presque jamais on n'en use à cette fin. C'est par admiration et humilité que nous osons publier ce texte. Y a-t-il meilleur moyen de rendre Bunuel, cet ennemi intransigeant de toutes les aliénations, de toutes les censures d'une part, et d'autre part, nous sommes certains que nos amis lecteurs éprouveront avec nous ce sentiment rare qu'est celui de se sentir intelligent. Si les films de Bunuel portent des titres aussi beaux que Cela s'appelle l'aurore, La mort en ce jardin, Le journal d'une femme de chambre, La voie lactée, Tristana, Belle de jour, Le chien andalou, Viridiana, etc.
Si l'intelligence de ce créateur lui permet de tourner des séquences supplémentaires et inutiles pour donner à bouffer à la censure, si son humour lui permet de commander un verre d'un demi-litre, alors que son médecin lui avait prescrit un seul pastis par jour, alors il est des nôtres et nous l'aimons.
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