Algérie

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Ce jeudi 6 décembre 2012 marque la sixième année de la disparition du cinéaste, l'artiste Mohamed Bouamari. Pour lui rendre hommage, nous offrons aux lecteurs de notre journal un extrait qui ouvre le livre que nous lui avons consacré et qui a pour titre, L'héritage du charbonnier. C'est dans ce cimetière, qui a pour nom Sidi Merzouk, situé à Ben Aknoun, que Mohamed Bouamari repose depuis le début de ce malheureux mois de décembre 2006, au pied d'un olivier majestueux et centenaire. L'angoisse du coup de téléphone matinal s'est répétée encore ce jour-là, lorsque Rachid Farès, l'acteur, l'ami, nous appela vers huit heures pour nous annoncer le décès de Mohamed, sa voix était grave et pleine de tristesse.
La confirmation de cette nouvelle auprès de Djazia, fille aînée de Bouamari, avec une voix envahie de larmes et de sanglots, nous troubla et nous perturba, et comme dirait Kateb Yacine, nous esquinta. Deux jours auparavant, Mohamed Bouamari était passé à la maison, îlot que nous ne quittions plus depuis notre mise à la retraite, pèlerinage habituel à chacun de ses séjours à Alger, pour nous saluer et, cette fois, pour nous dire combien il était décidé et déterminé à porter à l'écran son dernier scénario ayant pour titre Le mouton. Il avait pour cela, nous disait-il avec beaucoup de confiance, rendez-vous avec les responsables de la culture de notre pays pour la concrétisation de ce projet.
Entre autres arguments chocs, il avait en poche une photo et une déclaration signée d'Eric Cantona, par laquelle celui-ci s'engageait à accepter le rôle principal du film. Nos deux bières vite consommées, Mohamed, qui tenait la forme, nous proposa une virée dans l'un de nos bars-restaurants préférés, situé à quelques pas de chez nous, «Le Yasmina». Quel ne fut son étonnement quand nous déclinâmes son invitation. Toutes nos excuses n'aboutirent point, ni la fatigue, ni la nuit proche, ni même l'hypertension. Son beau visage d'enfant naïf et crédule ne reprit son aspect normal et souriant que lorsque nous lui annonçâmes qu'il était notre invité, en ce même lieu, pour le lendemain, pour le déjeuner. Nous nous retrouvâmes donc, en tête-à-tête, en pleine terrasse et en plein soleil de ce début d'hiver, à discuter avec enthousiasme et volubilité.
Les images de son futur nouveau film défilaient devant nos yeux, aussi vite que nos consommations. Bouamari ne parle en effet de cinéma et de films qu'en images, plans séquences, gros plans, intérieur ou extérieur, travelling, panoramique. En un mot, tout le jargon propre au métier, par respect et amour du cinéma, lui qui n'avait pas tourné depuis très longtemps. Après un magnifique repas de poisson frais, qui nous ruina d'ailleurs, notre ami Belkacem, enfant spirituel d'Ali Zammoum, nous rejoignit pour quelques autres -verres. Le souvenir d'Ali Zammoum rappelait sans cesse à Bouamari ce film pourtant si désiré, engagé avec le vieux maquisard, mais qu'il ne réalisa malheureusement jamais. Il était déjà seize heures, et le cinéaste se remit à raconter, toujours aussi volubile, son futur film à Belkacem, qui l'écouta de longues heures avec une attention soutenue, totalement subjugué, et par le récit et par le personnage.
Et c'est ainsi que vingt heures sonnèrent. Quelques instants plus tard, un autre ami, qui reconnut immédiatement Bouamari, prit place à notre table et le même scénario se déroula une nouvelle fois. Nous profitâmes de cet interlude pour rentrer chez nous, prétextant fatigue et conseils médicaux, et de toute façon tranquilles, car nous savions l'ami cinéaste entre de bonnes mains. Nous apprîmes, le lendemain, que la fête dura jusqu'à minuit. C'est ainsi que Bouamari, comme l'appelle si affectueusement Fetouma son épouse, vécut sans le savoir son dernier midi-minuit qu'il aimait tant à l'Alhambra, restaurant-terrasse, authentique jardin suspendu, beau et proche de la Cinémathèque algérienne des belles années. Mohamed décida de se reposer ce jour-là afin d'engager d'un bon pied toutes ses démarches professionnelles. Malheureusement, ces démarches n'eurent pas lieu, car le lendemain survint le tragique événement.
A notre arrivée aux Asphodèles, juste après le terrible et insupportable coup de fil de Djazia, celle-ci nous décrivit, en ces mots, les derniers moments de son père : «Tôt le matin, j'entendis des bruits dans le salon et comme ça durait, je me suis levée pour voir ce qui se passait. Mohamed, moitié assis, moitié allongé sur un fauteuil, et vêtu de sa légendaire âbaya, respirait difficilement. Il me demanda un verre d'eau et ensuite me prit la main. Sentant qu'il allait de mal en pis, je lui proposais d'appeler une ambulance, un médecin, le SAMU, un voisin, un ami. Il me serra la main et me répondit calmement, trop calmement : Non, ne fais rien, car je vais mourir et je te demande une chose, c'est de rester calme et lucide, d'appeler ta mère et ta s'ur Moufida,' ces dernières étant à Paris ', pour leur dire à elles aussi de rester calmes et lucides, de continuer de travailler et d uvrer pour le cinéma. Et, le plus simplement du monde, il ferma les yeux et cessa de vivre'».


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