Algérie

Juste un mot : éloge du citoyenCulture : les autres articles



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Cette histoire, bien de chez nous, illustre parfaitement la profonde connaissance que notre peuple a des réalités nationales. Cela se passe au début des années 1970. A cette époque, le président Boumediene, un nationaliste pur et dur, dirigeait le pays d'une main de fer. Il voulait tout orienter et tout contrôler, y compris notre bonheur. Il aimait particulièrement inaugurer les projets réalisés dans divers domaines : industrie, éducation, santé, etc. Mais malgré ces réalisations, les langues allaient bon train. Les blagues et anecdotes négatives sur son régime se répandaient, contredisant les rapports officiels qu'on lui présentait. Cela finit par l'agacer au point de décider d'aller lui-même vérifier la situation sur le terrain.Un matin, alors qu'il se trouvait dans la région de Tiaret pour plusieurs inaugurations, dont celle d'un village socialiste, il s'isola de son imposante suite pour 24 heures. Déguisé en paysan, il se fit déposer par un taxi clandestin sur la rue commerçante d'un bourg proche du village socialiste. Après avoir déambulé le long de cette rue, observant et les lieux et les gens, il alla s'asseoir dans un petit café, le temps d'avaler un thé brûlant au milieu d'un groupe de joueurs de dominos. Ensuite, il se dirigea vers une échoppe qui faisait fonction à la fois d'épicerie et de droguerie et qui, en plus du pain et du lait, vendait aussi quelques fruits et légumes. Notre faux paysan acheta des légumes secs, de la semoule, du café, du sucre, du pain et des patates. Pour finir, il prit une pastèque, la palpa et, en fin connaisseur, la percuta du doigt pour en vérifier la consistance et le degré de maturité.
A cet instant, le marchand lui dit : «Cette pastèque n'est pas bonne. Je ne vous la vends pas. » Une conversation s'engagea alors entre l'acheteur et le vendeur. Le premier, après avoir déclaré qu'il ne connaissait pas la région, voulut savoir si la révolution agraire avait amélioré les choses. Le second, qui semblait attendre cette question, lui asséna cette réponse : «De quelle révolution parlez-vous ' Depuis qu'on a donné gratuitement les terres à ces fainéants de paysans, tout est à l'abandon. Ils ne cultivent plus rien. Ils passent leur temps au café à jouer aux dominos, à fumer et à chiquer. Les quelques légumes que vous voyez là viennent d'ailleurs, y compris cette mauvaise pastèque que vous vouliez acheter.»
Après avoir écouté patiemment, l'acheteur osa une autre question : «Et la révolution industrielle, est-ce qu'elle vous aide un peu '». Notre vendeur, qui reçut cette question comme un cadeau du ciel, repartit de plus belle : «C'est pire. Elle a mis tous les artisans au chômage. Plus de plombiers, plus de menuisiers, plus de ferronniers. Même notre petite forge n'existe plus. Une vraie catastrophe !». Ne s'avouant pas vaincu, notre visiteur posa une question sur les effets de la révolution culturelle. La réponse qu'il reçut était encore plus désespérante. L'air peiné et abasourdi, l'acheteur prit congé du marchand sans emporter la pastèque bien sûr.
Le lendemain, le président de la République sillonna la région, accompagné de sa forte délégation. Les nouvelles réalisations, dont le village socialiste, furent inaugurées en grande pompe. Après les cérémonies, le président demanda à faire une halte dans le petit village où il s'était rendu la veille incognito. Il alla directement à notre fameuse boutique multifonctions et posa ces questions à son propriétaire : «Est-ce que la révolution agraire a amélioré votre situation' Et la révolution industrielle vous a-t-elle apporté quelque chose' Et la révolution culturelle '» Nullement impressionné et tout souriant, le marchand répondit à toute allure : «Toutes les trois vont changer notre vie. Avec la première, nous aurons bientôt des légumes et des fruits gratuitement. D'ailleurs, depuis hier, grâce à la baguette magique de notre maire, nos palmiers ont grandi et sont couverts de dattes. Avec la deuxième, la plus grande usine de voitures d'Afrique et du monde arabe verra le jour dans un avenir proche. Quant à la troisième, elle permettra de réaliser une immense université, la plus grande au monde, qui recevra des centaines de milliers d'étudiants. Nous aurons, très bientôt aussi, mille salles de cinéma, deux mille librairies et autant de théâtres et de musées.»
Après l'avoir écouté, avec un léger sourire au coin des lèvres, le président le remercia et dit : «Avant de partir, j'aimerais acheter cette pastèque.» Le brave marchand lui répondit alors sur un ton grave et sérieux : «Nous avons bien rigolé tous les deux, hier et aujourd'hui, mais quand il s'agit de vendre, je ne triche pas. Je vous répète donc ce que je vous ai dit hier : cette mauvaise pastèque, je ne vous la vendrai pas !» .




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