Algérie

Juste un mot : éloge de la littératureCulture : les autres articles


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Ils étaient jeunes et beaux, ces deux écrivains algériens qui publièrent leur premier livre en 1957. Déjà au lycée, AD au centre du pays et MH à l'est, ils étaient si brillants que leurs professeurs lisaient leurs dissertations à haute voix aux autres élèves. Leur éditeur parisien, le même pour les deux, avait organisé une vente-signature commune, le même jour dans le même lieu. C'était l'époque où les responsables politiques français commençaient à comprendre qu'il fallait agir autrement dans ce pays qu'ils occupaient et exploitaient de façon inhumaine et abusive depuis presque 130 ans. Cette nouvelle orientation arrivait trop tard bien sûr, car notre peuple était déjà engagé dans sa lutte de libération. Nos deux jeunes écrivains eux-mêmes, au-delà de la littérature, ne pensaient qu'à rejoindre le combat auprès des leurs.Au cours de cette vente-signature dans un salon parisien, AD et MH, assis à des tables séparées, recevaient leurs lecteurs dans une ambiance calme et sereine. Profitant d'un petit vide, MH se tourna vers sa voisine et collègue pour la regarder plus attentivement. Il s'aperçut, avec un sentiment d'intense émotion, combien elle était belle et élégante dans son maintien. Il remarqua combien les traits de son visage étaient nets et harmonieux. Dès lors, il en oublia presque sa vente-signature, et fit tout pour attirer l'attention d'AD. Se rendant compte du manège, celle-ci se braqua et ignora totalement son voisin. Il avait beau faire des réflexions à haute voix, laisser tomber son stylo à plusieurs reprises, utiliser tous les stratagèmes possibles pour attirer son regard et son intérêt, elle fit comme s'il n'existait pas.
La vente-signature terminée, AD trouva même une astuce pour quitter les lieux en douce, sans que MH s'en aperçoive. Le temps passa et leurs vies, telles deux parallèles, ne se croisèrent pas. Pendant la guerre de libération, ils étaient séparés géographiquement : AD rejoignit l'organisation du FLN au Maroc, tandis que MH intégra les rangs de la Fédération de France à Paris. A l'occasion d'une mission en Suisse, pour une conférence d'information sur notre guerre de libération, il fit d'ailleurs preuve de grande intelligence en commençant ses propos ainsi : «Je suis fier et honoré de me trouver aujourd'hui dans le pays qui a donné naissance au premier rebelle, selon les autres, et au premier résistant, selon nous, le pays de Guillaume Tell.»
L'ovation qui suivit le mit dans un tel état de confiance qu'il put donner libre cours à son talent. Son intervention fut brillante. L'ami qui nous a rapporté ce fait en était encore tout admiratif ! Après l'indépendance, AD et MH vinrent vivre et travailler à Alger, mais toujours dans des voies parallèles : l'une à l'université, l'autre au ministère de la Culture. Pour tous les deux, il s'agissait de postes alimentaires, car leur passion restait la littérature. Il faut reconnaître ici qu'AD avait le souffle plus long, car non seulement elle ne cessa jamais d'écrire, mais elle le fit de façon de plus en plus magistrale. Elle se passionna également pour le cinéma et signa, avant de quitter Alger au début des années quatre-vingt, deux films magnifiques.
Récemment, rendant hommage à notre profession, si abimée aujourd'hui, elle a déclaré : «Je regretterai toute ma vie de n'avoir pas fait plus de films et tout spécialement de n'avoir pas réalisé celui que j'avais pourtant bien préparé, La vie de Fadhma Marguerite Amrouche ; la bureaucratie et les médiocres étaient là pour me barrer le chemin.» Alors que pour Godard, deux droites parallèles ne se rencontrent jamais' sauf au commissariat, pour nos deux amis, leurs vies parallèles finirent par se croiser un jour' devant un lit d'hôpital, malheureusement. C'était à Mustapha Bacha, en 1978, vingt et un ans après leur première et unique rencontre. La scène est poignante : AD est seule, debout devant MH dans son lit, vivant ses derniers jours. Comme elle nous le raconta par la suite, elle ne sut combien dura ce moment. Le silence ne fut rompu que par cette phrase murmurée par MH : «Est-ce que tu t'en souviens '» Elle répondit par un «oui» chuchoté, un «oui» bien triste. Puis, elle quitta les lieux, sur la pointe des pieds, comme elle était arrivée. Heureusement pour nous, pour les nôtres et aussi nos amis, les livres d'Assia Djebar et de Malek Haddad sont toujours là, et ils sont bien souvent ouverts, ce qui nous permet de nous sentir auprès d'eux de temps à autre.
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