Algérie

Juste un mot



Juste un mot
Pour la nouvelle année, Azzedine Mabrouki nous a offert une sympathique petite anecdote tirée des mémoires de John Ford, le cinéaste américain totalement géant. Avant de raconter cette petite histoire, une autre nous revient en tête et elle concerneAzzedine. L'ami Azzedine est un grand critique de cinéma, grand lecteur et surtout grand voyageur. Un beau jour où Tahar Djaout le croisa dans les locaux de leur journal Algérie Actualités, il l'interpella en des termes parfaitement appropriés : «Azzedine, je suis content de te saluer chaleureusement à chaque fois que tu fais escale à Alger». Pour la petite histoire de John Ford, sympathique certes mais quelque peu émouvante, la voici : «Quand John Ford était petit, vivant dans un tout petit village en Irlande, sa mère l'envoyait faire des courses dans la seule épicerie du coin. Chaque fois on lui rendait la monnaie en bonbons. 60 ans plus tard, il est reparti dans ce même village et retrouve la même épicerie, entrant pour acheter des cigares, l'épicière lui rend la monnaie en bonbons !»Concernant cet immense cinéaste, nous n'oublierons jamais l'un de ses films majeur Le Mouchard en 1935, auquel de mauvais distributeurs en donné comme titre L'Informateur. La deuxième histoire que nous tenons à reprendre aujourd'hui est tirée des mémoires orales d'un vieux commissaire de Tizi Ouzou au lendemain de notre indépendance. Loin de nous, bien sûr, la tentation et encore moins l'envie d'évoquer ici ces nombreux et inutiles nouveaux commissaires qui organisent tout et n'importe quoi dans le monde de la culture, les festivals, les expositions, les productions et même les voyages à coups de gros sous et zéro résultat. Ils n'ont jusqu'à ce jour réussi qu'à créer un monopole strict dans les domaines de la création, en pratiquant sans vergogne un ratissage culturel. Notre vieux et sympathique commissaire, quant à lui, était central et avait en main l'organisation de la police de toute la wilaya de Tizi Ouzou.A sa nomination en 1963, la Kabylie était complètement détruite et entièrement ravagée. La guerre coloniale féroce contre notre peuple, les bombardements à répétition, y compris au napalm contre notre pays n'ont rien laissé. Une tâche immense attendait notre commissaire.Sa modeste instruction, certificat d'études primaires en 1943, son expérience en tant que travailleur émigré à Paris de 1952 à 1962, sa participation à notre lutte de libération au sein de Fédération de France du FLN, l'éducation austère de ses parents et les souvenirs de son petit village kabyle l'aidèrent beaucoup, l'aidèrent énormément pour faire face à sa nouvelle situation et surtout pour comprendre les hommes. Il était fier d'avoir pris en main dès le début la formation des policiers, pratiquement tous nouveaux et en majorité analphabètes, en organisant des cours du soir quotidiens. Ces cours lui ont permis d'apprendre à ses hommes non seulement de lire et écrire, mais aussi le respect de la loi et des droits de l'homme.La plus belle leçon qu'il leurs donna, leçon dont il est fier 50 ans après est la suivante : «Je travaillais 12 heures par jour et je ne prenais qu'un jour de repos le dimanche, ce jour me permettais de faire la grasse matinée et de passer la soirée dans un restaurant de la ville, où je mangeais bien et buvais bien aussi. En général, j'arrivais toujours à trouver un taxi pour rentrer tard dans la nuit. Voilà qu'une fois ne trouvant pas de taxi, je décidais de rejoindre mon domicile à pied. Après quelques pas, me rendant compte que je titubais, j'ai ralenti ma marche. Un instant plus tard, un véhicule me dépassa et au bruit de son moteur j'ai reconnu notre voiture de police qui faisait sa ronde, et toujours au bruit de son moteur j'ai compris qu'elle avait ralenti et qu'elle ne s'était pas arrêtée.Lentement et difficilement aussi, j'ai finalement regagné ma maison. Le lendemain dès la première heure, et après avoir consulté la main courante, j'ai convoqué les deux policiers qui avaient effectué la ronde. Après leur avoir expliqué qu'ils n'avaient pas premièrement respecté la loi en ne m'arrêtant pas pour ivresse publique, deuxièmement mis ma vie en danger car ils avaient constaté que ma démarche n'était pas assurée et pour ces deux raisons j'aurais dû passer la nuit au cachot, et en conclusion je vous inflige à tous les deux un avertissement.» Pour notre part, nous apprécions beaucoup le sens du droit et de la rigueur de notre commissaire. Nos deux histoires, apparemment différentes, reposent en réalité sur un même fond et elles nous permettent ainsi de comprendre aujourd'hui pourquoi des amis qui ont habité Londres ou Paris nous ont souvent dit qu'entre les Kabyles et les Irlandais il y a toujours de la complicité.




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