Algérie

Juifs et musulmans croient autant en ce qui les unit qu'en ce qui les sépareKarim Miské. Ecrivain et réalisateur français



Juifs et musulmans croient autant en ce qui les unit qu'en ce qui les sépareKarim Miské. Ecrivain et réalisateur français
Juifs et musulmans, l'important et passionnant travail documentaire de Karim Miské, au programme d'ARTE le mardi 22 et le mardi 29, à 22h35. El Watan Week-end revient sur le beau et intrigant rapport historique des juifs et des musulmans.-Depuis combien de temps travaillez-vous sur ce sujet '
J'ai travaillé plus de trois ans sur cette série documentaire dont l'idée est venue de Jean Labib, le fondateur de la société Phares et Balises. C'est à la suite du succès de Musulmans de France que j'avais réalisé pour cette même société, que Jean Labib et la productrice Anne Labro m'ont proposé de réaliser Juifs et musulmans si loin si proches. J'ai immédiatement accepté, car le sujet me tenait à c'ur depuis longtemps. Il me semblait important d'établir cette histoire dans la durée afin de se libérer, autant que possible, des croyances toutes faites qui l'encombrent.
-Avec Juifs et musulmans, vous vous intéressez à la notion filiale, à leur culture commune. Quelle en est la raison ' Quel lien avez-vous avec la place du musulman dans l'histoire, un sujet qui vous travaille depuis 5 ans.
Cette place «du musulman» dans l'histoire, j'en ai hérité sans trop savoir qu'en faire pendant longtemps. En réalisant Musulmans de France, j'ai dû m'y confronter plus consciemment. Pour pouvoir raconter valablement cette histoire, il fallait que je me situe par rapport à elle. Je dus trouver une nouvelle manière de réfléchir à la place qui était la mienne dans la société française, au regard que les autres portaient sur moi du simple fait de mon nom et de mon apparence. Mais en ce qui concerne Juifs et musulmans si loin si proches, j'espère avoir dépassé la seule question «du musulman», car il s'agit en réalité d'une histoire universelle qui concerne les trois monothéismes et au-delà. Une histoire qui parle de la difficulté de partager la filiation commune. Bien sûr, je la raconte avec ma sensibilité de «musulman d'apparence» - pour reprendre la délicieuse formule de l'ex-président français - qui a grandi dans un pays où, au travers des siècles, l'expérience minoritaire se confond largement avec l'histoire juive.
-La grande particularité de ce long est d'avoir créé des images d'animation pour illustrer différentes séquences historiques. A quelle étape du film songiez-vous à l'animation '
Dès que je suis arrivé dans le projet, j'ai senti qu'il était nécessaire de raconter cette histoire dans l'ordre chronologique. C'était à mes yeux le seul moyen de se libérer du poids du présent, cet interminable conflit israélo-arabe qui fait penser à tous que juifs et musulmans sont des ennemis par nature depuis l'origine des temps. Pour se donner les moyens de mener ce récit à bien, l'animation s'est imposée naturellement : filmer des reconstitutions aurait donné un résultat décevant, et retourner sur les lieux pour filmer de «vieilles pierres» aurait suscité un ennui profond.
-Toujours concernant l'animation, n'aviez-vous pas peur d'amener votre film vers une certaine naïveté, surtout quand l'animation est utilisée de façon grossière '
J'avais vu plusieurs documentaires historiques utilisant de l'animation. Certains m'avaient semblé en effet trop naïfs, mais d'autres étaient vraiment réussis. Il fallait avant tout trouver un réalisateur d'animation qui soit un véritable artiste, à même de donner un souffle à cette histoire, tout en intégrant les contraintes de production spécifiques à la télévision. Lorsque, après des mois de recherche, Anne Labro organisa un rendez-vous avec Jean-Jacques Prunès, je sus immédiatement que nous avions trouvé la bonne personne.
Là où, selon moi, le choix judicieux de l'animation est conséquent, c'est dans le trait fin des personnages, caractérisé par une émotion contenue. On les suit comme si nous étions face à des acteurs de théâtre.
Oui, il était important que cette histoire soit incarnée, que des personnages comme Kaab Al Ahbar, Maïmonide, Saladin, Saadia Gaon, Rachid Rida ou Adolphe Crémieux puissent devenir vivants, nous faire vibrer et rêver. Ce sont eux que le spectateur suit d'époque en époque.
-A mes yeux, l'histoire est d'abord faite par des individus. Ce sont eux qui portent les idées de leur temps et les mettent en 'uvre.
Comment s'est déroulé le choix des intervenants '
Ce film était très différent de Musulmans de France, en ce sens qu'il commence au septième siècle, il n'était donc pas possible de recourir à des personnalités pouvant témoigner de temps qu'ils avaient connu ou que leurs parents ou grands-parents avaient pu leur raconter. Avec Marc Ball, mon assistant, nous avons donc cherché les meilleurs spécialistes dans des universités d'Europe, d'Amérique du Nord et du pourtour méditerranéen. Mais le point commun avec Musulmans de France est qu'ils sont héritiers de l'histoire qu'ils nous racontent, étant pour la plupart d'entre eux de filiation musulmane ou juive. Cette implication personnelle confère un ton particulier au récit.
-Ce qui donne une certaine force au film, c'est sa propension pédagogique. Comment tisser un récit aussi long'
Il faut passer beaucoup de temps en écriture. J'ai travaillé durant deux ans avec deux coauteurs, Emmanuel Blanchard, qui écrit pour le documentaire comme pour la fiction, et Nathalie Mars, qui écrit pour l'animation. Nous avons effectué sans cesse la navette entre nous jusqu'à ce que le récit soit aussi efficace que possible. Notre objectif était d'arriver à une narration fluide et plaisante, afin que le spectateur ne se perde à aucun moment.
Il y a une phrase terrible prononcée par l'un de vos intervenants. «Comment deux communautés aussi proches aient pu s'éloigner ' Telle est cette grande énigme de la condition humaine.» Je trouve que l'idée du film pourrait être «la fatalité sur 1400 ans».
Je ne crois pas à la fatalité. Je crois que les hommes fabriquent leur destin et que parfois ils choisissent le pire. Ce qui se passe entre juifs et musulmans est d'autant plus triste que l'histoire n'a pas toujours été aussi sombre. Durant douze ou treize siècles, c'est juste une histoire humaine, avec des hauts et des bas, du désir, de la violence et de l'indifférence. Jamais rien d'irrémédiable. L'histoire de deux groupes humains qui croient autant en ce qui les unit qu'en ce qui les sépare.
La tragédie contemporaine se noue lorsque cette histoire croise celle de l'Europe qui est alors celle du nationalisme. C'est l'heure des identités uniques, de l'impossibilité du partage. Il faut alors choisir son camp et accepter la perte. Ceux qui veulent continuer à surfer sur la limite se font broyer. Beaucoup d'histoires du XXe siècle ressemblent à celle-là. Pour ne citer que ceux-là, les Indiens et les Pakistanais, les Irlandais catholiques et protestants, les Bosniaques, les Croates et les Serbes, les Tutsis et les Hutus se déchirent de la sorte. Mais la tragédie des juifs et des musulmans frappe plus les esprits, car elle est plus universelle, elle entraîne avec elle les trois monothéismes et leurs lieux saints' Mais non, on ne peut pas parler d'une fatalité sur 1400 ans, ce serait une vision téléologique, apocalyptique.
Concernant les 4 parties, on sent que les première et deuxième parties sont lentement disséquées, que vous preniez le temps de poser les bases, alors que pour la troisième et surtout la quatrième partie, tout va très vite, comme si l'histoire avalait tout sur son passage.
Plus on se rapproche du présent, plus on a le sentiment que l'histoire s'accélère, car on arrive en eaux plus familières. C'est un peu comme une série policière dont on connaîtrait déjà la fin. Tous les éléments s'emboîtent pour rendre le dénouement inéluctable.
-Quel est votre prochain projet '
Je développe un projet de documentaire qui me tient à c'ur, une autre fresque historique de grande ampleur dont il est prématuré de parler, car rien n'est encore signé'


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