Benjamin Stora continue de scruter la mémoire algérienne, les mémoires algériennes. Relations complexes, ambiguës entre les anciens « indigènes », juifs et musulmans. A découvrir.
C’était la grande méfiance. On se côtoyait mais chacun restait chez soi. Il y avait bien des orchestres de musique « mixtes », des rapprochements idéologiques, des tentatives pour dépasser les préjugés mais l’incompréhension était toujours présente. Parce que les juifs d’Algérie étaient aussi, puis ne l’étaient plus avant de le redevenir pour ensuite ne plus l’être définitivement. Le malentendu remonte à 1870. « Profondément enraciné, le destin maghrébin des juifs va pourtant basculer avec l’arrivée des Français. Par le décret Crémieux de septembre 1870 leur donnant automatiquement la nationalité française, les juifs d’Algérie ont connu un premier exil, celui qui les a séparés des autres ‘’indigènes’’, les musulmans. Cette rupture d’une vieille tradition liée à la terre d’Algérie s’est traduite par une perte progressive de la langue arabe. Ils apprennent le français et l’histoire de France en tenant graduellement à l’écart leur héritage hébraïque et arabe, et sont entraînés sur la voie de l’assimilation républicaine », explique Benjamin Stora. Au fait, le grand malentendu viendra de la position des juifs d’Algérie durant la guerre de libération. Les Algériens ont été surpris par la neutralité de la communauté juive, quand elle ne prenait pas fait et cause avec le colon. « Lors de l’insurrection algérienne de novembre 1954 décidée par le FLN, seul un groupe de ‘’juifs algériens’’ (…) préconisera le retour à leur communauté d’origine. Mais, pour l’immense majorité des juifs d’Algérie, le temps de l’assimilation a fait son œuvre, le retour en arrière est désormais impossible. Le judaïsme d’Algérie reste certes ancré dans sa tradition religieuse mais exprime son attachement indéfectible à la République française devenue une véritable ‘’Terre promise’’. Une terre promise qui va se révéler ‘’terre marâtre’’ », souligne Benjamin Stora. « Le régime de Vichy qui abolit dès octobre 1940 le décret Crémieux conduit les juifs d’Algérie vers un deuxième exil, cette fois hors de la communauté française. Cette exclusion va les marquer profondément. » Pas au point de rejoindre le FLN. Plutôt le contraire. Cette exclusion va les pousser à se jeter encore plus dans les bras de la France. « Le troisième exil commence à l’été 1962. La ‘’sortie’’ d’Algérie, qui les arrache définitivement à une longue histoire, n’est ni une fuite honteuse hors de la terre des ancêtres ni une migration sans projet défini. Français depuis près d’un siècle, ils vivent leur citoyenneté comme une émancipation. Les Algériens musulmans en guerre pour leur indépendance, en appelant ces autres ‘’indigènes’’ à les rejoindre ne l’ont pas compris. Leur surprise sera grande (…) au moment du départ massif des juifs en 1962 », explique l’historien. C’est donc une histoire d’incompréhension et de malentendus. Une histoire de méfiance. « En moins d’un siècle, de 1870 à 1962, les juifs d’Algérie se sont donc déplacés trois fois : hors de la tradition juive en terre d’Islam, hors de la communauté française de 1940 à 1943, hors de la terre algérienne en 1962 », résume Benjamin Stora. Il faut, cependant, croire que l’histoire entre les juifs d’Algérie et leur pays d’origine n’est pas finie. Jamais l’Algérie n’a été aussi présente, aussi bien dans la mémoire que dans la littérature. Les juifs d’Algérie se réapproprient leur Algérie.
Les Trois exils, Benjamin Stora, Stock, 2006
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Posté Le : 30/10/2006
Posté par : hichem
Ecrit par : Rémi Yacine
Source : www.elwatan.com