ALGÉRIE - Plusieurs célébrations permettent de lever le voile, cinquante ans après, sur l'histoire des juifs d'Algérie, les blessures infligées, et l'injustice qui leur a été faite. Colloques, conférences et concerts se succèdent, mais il ne semble pas que ce cinquantenaire-là ait trouvé beaucoup d'écho dans les grands médias.
Il y a cinquante ans cette année, les juifs d'Algérie ont quitté leur terre. Contrairement aux pieds noirs, descendants de colons et d'immigrés italiens ou espagnols, ils étaient installés sur cette terre d'Algérie depuis 2000 ans. Pour ces communautés ancestrales de Constantine, de Henchir Fouara, de la région de Tebessa ou de Setif, ce départ vers la métropole, maquillé en "retour", fut un cruel déracinement et un déni, un exil.
En 1962, 800.000 "rapatriés" quittent l'Algérie précipitamment. Parmi eux, des "Européens", des harkis, et 150.000 juifs adoubés d'une pseudo-identité d'Européens, alors qu'ils étaient parmi les plus anciennes populations indigènes. Ni "rapatriés", ni "pieds noirs", ni colons, leurs racines étaient en Algérie, et plus largement en Afrique du Nord. De Palestine, de Rome, d'Egypte ou de Cyrénaïque, leur venue était liée à la destruction du Temple par Titus et à la déportation des premiers juifs en Afrique comme esclaves et prisonniers de guerre. Autrement dit, avant l'arrivée du christianisme, qui s'est répandu dans l'Empire romain par le biais des synagogues. Et, a fortiori, longtemps avant l'islam.
Plusieurs célébrations permettent de lever le voile, cinquante ans après, sur quelques pans de leur histoire, les blessures infligées, et l'injustice qui leur a été faite. Colloques, conférences et concerts se succèdent, mais il ne semble pas que ce cinquantenaire-là ait trouvé beaucoup d'écho dans les grands médias. "Qu'on reconnaisse la responsabilité de la France dans le drame du 7 octobre 1961, pourquoi pas ? remarque Raphaël Draï (1), originaire de Constantine. Mais qu'au moins, on respecte un principe de réciprocité. Par exemple, qu'on facilite les choses pour que les juifs d'Algérie puissent se rendre sur la tombe de leurs pères dans les cimetières. Ces sont des lieux de mémoire. Sans parler des synagogues et des églises..."
Une passionnante exposition intitulée Juifs d'Algérie se tient jusqu'au 27 janvier au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme (2). Partant d'une représentation de l'Afrique du Nord dans l'Antiquité pour s'achever avec l'exode qui marque l'indépendance de l'Algérie, elle mérite qu'on y envoie ses amis et ses enfants. Elle illustre de façon vivante et pédagogique, grâce à des panneaux très clairs, le parcours mal connu de cette communauté qui a opté pour la France en raison de ses valeurs et en a payé le prix. En outre, un excellent catalogue (3), riche et complet, élargit le champ.
La mémoire juive de l'Algérie
"On aura beau faire, affirme Raphaël Draï, la mémoire de l'Algérie est une mémoire juive." Mais les amitiés individuelles n'empêchent pas les épreuves collectives et une mémoire douloureuse, comme en témoignent l'expulsion des juifs d'Oran en 1666, le massacre d'Alger en 1805, ou la décapitation du grand rabbin d'Alger, Isaac Aboulker, dix ans plus tard. Beaucoup se plaisent à dater du décret Crémieux la mésentente entre les populations, mais c'est faire peu de cas de la dhimma, qui régissait les non-musulmans dans la loi coranique. En effet, la conquête de l'Algérie, en 1830, mettait fin à trois siècles de domination ottomane.
Le décret Crémieux, qui accorde, en 1870, la nationalité française aux populations indigènes, offre aux juifs le moyen de se libérer enfin du statut de dhimmis, de "protégés". Cet affranchissement déclenche autant le ressentiment des musulmans, attachés à leur propre statut, que la fureur des populations "européennes" foncièrement antisémites, qui exigent son abrogation ou du moins, le retrait du droit de vote aux juifs. "La hiérarchie des racismes organisait la société," résume Jacques Tarnero, originaire d'Oran (4) . Au tournant du siècle, l'affaire Dreyfus et la publication du J'accuse d'Emile Zola se traduisent, en Algérie, par une violence inouïe : meurtres, viols, assassinats de nourrissons... Une projection de photos au MAHJ donne la mesure de la liesse populaire lors de la visite de Drumont, un des pères fondateurs de l'antisémitisme à la française et élu député d'Alger. La haine des uns nourrit la rancœur des autres. Même si, au moment de la Grande Guerre, 14.000 juifs d'Algérie, mobilisés dans les régiments de zouaves, se distinguent au combat (plus de 1700 morts, un millier de veuves et 560 orphelins) certains à Alger nient l'existence du sacrifice, faisant du négationnisme avant la lettre.
Dans les années trente, la crise économique aidant, ce sont les juifs que les colons chargent de tous les maux, y compris des revendications nationalistes des musulmans. Des heurts violents éclatent à Alger, Constantine, Oran et Sétif. Et le 5 août 1934, c'est le pogrom de Constantine : les musulmans se ruent dans le quartier juif et assassinent, pillent, mutilent, saccagent, comme l'illustrent les documents de l'exposition. Enfin, en 1940, Vichy décide l'abrogation du décret Crémieux, dépouillant les juifs d'Algérie de tout statut officiel jusqu'en 1943. Ils ne se remettront jamais tout à fait de cette trahison.
En 1962, c'était la grande époque du photo-journalisme. Michel Salomon, le rédacteur en chef de L'Arche, le mensuel du FSJU qui a cessé de paraître en 2011, avait compris que c'était la photo qui faisait la force du témoignage dans des hebdomadaires comme le Nouvel Observateur et l'Express, sans parler de Paris-Match. Il envoya Bernard Nantet, un jeune reporter photographe, à Marseille et à Orly pour photographier l'arrivée des nouveaux immigrants, les juifs d'Algérie. Les photos ci-dessous, à Marseille dans le camp de transit du Nouvel Arenas, inédites, attestent de leur désarroi et des conditions de leur accueil. Sur la photo n°4, il est écrit en hébreu : Broukhim Habahim, "bénis ceux qui viennent", autrement dit : soyez les bienvenus. Il s'agit probablement de la salle de prières.
À suivre...
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(1) Raphaël Draï, Les Pays d'en haut Ed. Michalon.
(2) MAHJ, Hôtel de St-Aignan, 71 rue du Temple, 75003. M° Rambuteau. Ouvert du lun. au ven. 11h-18h (dim. 10h-18h)
(3) Juifs d'Algérie, sous la direction d'A.H. Hoog et une vingtaine d'auteurs. Ed. Skira-Flammarion/MAHJ.
(4) Jacques Tanero, Le Nom de trop : Israël illégitime ? Ed. Armand Colin
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Posté Le : 04/02/2019
Posté par : nemours13
Ecrit par : Edith Ochs
Source : huffingtonpost.fr