Algérie

Jugurtha Abbou, écrivain, à l'expression «Tout commence par un rêve»



Publié le 15.08.2024 dans le Quotidien l’Expression

Jugurtha Abbou est écrivain et poète. Il est né en 1984 à Tizi Ouzou. Spécialiste en psychologie sociale, il a publié des romans, des essais et des recueils de poésie. Son nouveau roman intitulé Au-delà de mes rêves vient de paraître aux éditions Dalimen.

L'Expression: Vous alternez allègrement entre le roman, l'essai et la poésie, d'où vous vient toute cette inspiration?

Jugurtha Abbou: Un écrivain ne peut vivre en dehors de sa société. Du matin jusqu'au soir, il est embarqué dans le train-train quotidien. Mais il vit les yeux ouverts, il observe, il remarque, il constate...Son regard sur la société constitue la matière pour sa production littéraire. Dans l'euphorie populaire de 2019, je me suis mis à la poésie, avant d'opter pour l'essai au lendemain de l'épidémie mondiale du Covid-19, une épidémie qui nous a fait réfléchir sur plusieurs questions.
Le magma des expériences vécues et la réalité faite de nombreux faits sociaux a imposé l'écriture de mon premier roman Les maux conjugués. Après un retour à l'essai, à travers La pensée d'Ait Ahmed, un livre qui se veut une réflexion sur le parcours et les idées d'un homme historique, me voilà de retour vers le roman. Il est d'abord question de conjonctures. Je trouve que chaque situation implique l'investissement dans un genre littéraire. Il me revient à l'esprit une citation d'Ahlam Mosteghanemi qui disait «Lorsqu'on quitte un amour, on écrit un poème. Lorsqu'on quitte un pays, on écrit un roman». D'ailleurs, à juste titre, lorsqu'ont commencé les événements de Ghaza, j'étais tellement bouleversé que j'ai composé une vingtaine de poèmes dont le recueil est en cours d'édition. Il sera publié, si tout va bien, à l'occasion du SilaLÍ. Tout comme je travaille sur d'autres genres tels le portrait et le recueil des mémoires.

«Au-delà de mes rêves» est un titre évocateur et prégnant, comment s'est-il imposé à vous?

Le thème central du roman est le rêve. C'est en quelque sorte une suite du roman «Les maux conjugués» dans lequel j'ai mis en reflet la place de la lecture et l'écriture.
Les projets les plus réussis ont, pour la plupart d'entre eux, commencé par des rêves.
Un rêve, il se vit, il s'exauce, il se réalise, en dépit des obstacles et des difficultés que nous devons franchir. Tout cela, le personnage principal du roman l'a bien compris, puisqu'il a vécu toutes les péripéties et réalisé tous les défis qui lui ont été imposés par le cours des événements.
Au final, lorsqu'on lui dit que le rêve s'était enfin réalisé, il réplique sagement, mais fièrement: Hissons-nous plus haut. Regardons au-delà du rêve! Le titre s'est imposé de lui-même, bien qu'avec l'éditrice, on a dû procéder à un petit arrangement.

Est-ce un roman autobiographique?

Il y a dans les écrits de chaque auteur une part de sa vie. Certaines trames sont inspirées de faits réels que j'ai vécus sans toutefois que le roman soit autobiographique. Cependant, étant un lecteur assidu, j'ai formé l'intrigue puis la clé de l'énigme à partir de mes différentes lectures, en travaillant sur les citations des grands auteurs tels Céline, Camus, Kafka et d'autres...

Dans la préface du roman, signée par Ali Aberkane, ce dernier fait sienne une citation de Sigmund Freud: «Le rêve ne pense ni ne calcule; d'une manière générale, il ne juge pas: il se contente de transformer». Que vous inspire-t-elle, cette citation?

Etudiant en psychologie, j'ai lu Freud, notamment sa théorie du rêve qui demeure, je trouve, d'actualité. La tradition orale ainsi que les religions ont, elles aussi, abordé la thématique sous divers angles. Freud voit le travail du rêve comme une forme de pensée qui a la fonction de transformer les contenus psychiques.
J'ai évoqué ce point de vue de manière romanesque en racontant notamment le rêve fait par Tarik la veille de son départ du village.

A-t-on recours au rêve quand la réalité est tellement amère et très peu supportable, voire insupportable? Est-ce l'un des messages de votre roman?

Absolument. J'illustrerai d'ailleurs votre question par ce passage tiré de mon roman «Ma vie vacillait entre mes rêves fous et ma réalité pâteuse». Le tableau que je dresse de la société en général, à travers l'échantillon qu'est le village Amdoun, n'est guère reluisant. Je confronte à cette réalité triste et amère les ambitions d'un jeune, Tarik pour ne pas le nommer.

Justement, Tarik est le personnage principal de votre roman. Le choix de ce prénom est-il accidentel ou bien a été fait sciemment et symbolise-t-il quelque chose?

Quasiment tous les prénoms collés à mes personnages renvoient à des personnalités qui ont marqué notre histoire; à l'image de Larbi le porteur de couffin, Ramdane l'architecte, et bien évidemment, Tarik. Il est fait sans doute référence à Tarik Ibn Ziad, le conquérant de l'Andalousie.

Il y a de l'histoire dans votre roman, peut-on en savoir plus?

Effectivement, «Au-delà de mes rêves» est une photographie de l'Algérie. Il est question de la guerre de libération et des lendemains de l'indépendance. Il est question des événements de 1980, de 1988, de la décennie noire et de 2001.
Un clin d'oeil est adressé au hirak et un hommage est rendu à feu Djamel Bensmain. Aussi, à travers les crimes que j'ai cités et les citations des auteurs, j'ai touché à d'autres parties de notre riche histoire. J'ai rendu un hommage appuyé à nos valeureux écrivains mais aussi à nos artistes Matoub et Ait Menguellet. Il y va également de l'histoire du monde, notamment la guerre du Liban de 2006. Est-ce l'effet du hasard que cette guerre soit déclenchée le lendemain du coup de tête de Zizou, ou est-ce la théorie du papillon? J'ai ironiquement abordé cette question en glissant toutefois et de manière subtile, des messages pleins de sens.

Vous faites un clin d'oeil à Mouloud Feraoun, notamment dans l'extrait que vous avez publié sur Facebook, notamment aux Chemins qui montent, pourquoi?

Il y va de l'hommage à nos ainés qui, à travers leur parcours, nous ont montré la voie à suivre. Dans un passage du roman Les maux conjugués, j'ai rendu un hommage à Dib, Yacine, Mammeri, Merahi, Chouiten...Je reviens ici pour m'incliner devant la mémoire de ces géants de notre culture.

Il y est également question de nombreux autres écrivains illustres, pourquoi ce besoin de les citer, de les encenser et de les intégrer dans la trame de votre récit?

Je voulais, à travers leurs citations, faire passer des messages; notamment la paix, l'espoir et l'amour, face à la haine, la guerre, la violence... J'ai construit des énigmes autour des citations de grands auteurs, leur entremêlement en a fait la clé. C'est aussi ma manière d'inciter à lire, de retrouver cette habitude que beaucoup ont perdue. Je ne vous cache pas qu'avant d'inclure une citation d'un auteur, je me suis attelé à lire sa biographie. L'auteur par lequel j'ai été le plus fasciné est Isabelle Eberhardt. La vie qu'elle a menée et le sens de ses oeuvres m'a profondément marqué.

Votre livre est aussi un roman sur l'exil, pouvez-vous nous éclairer là-dessus?

Toute personne qui aspire au changement, qui affronte les us et les coutumes et qui s'oppose à l'ordre établi est persécutée. Les prophôtes, les sages et les leaders ont tous connu cette persécution, dont l'exil est une forme bien fréquente. C'est le cas de Tarik aussi qui, dépité par le fait qu'une femme de son village soit délestée de sa part d'héritage, a décidé de se révolter. Il l'a payé cash. Excommunié, il a vécu d'exil en exil, jusqu'à traverser la mer. Là aussi, j'aborde la question lancinante de la harga, ce phénomène qui continue de faire des ravages. Tout comme j'ai abordé l'exil sous un autre regard, en mettant l'accent sur les soucis que rencontre l'exilé; dépaysement, décalage culturel, racisme...etc.

Le fait que vous soyez spécialiste en psychologie sociale a-t-il pesé d'une manière ou d'une autre dans l'écriture de ce roman à caractère onirique?

Absolument. Je n'ai de cesse étudié les comportements des individus dans les groupes auxquels ils appartiennent et avec lesquels ils interagissent. De mes études et observations ont découlé plusieurs trames que j'ai exploitées dans mes romans, notamment Au-delà de mes rêves qui, effectivement, est un roman onirique.
àvoir de près, la personnalité de Tarik est celle que peut avoir n'importe quel jeune parmi nous qui aspire à une vie meilleure.

Vous avez été édité par une importante maison d'édition, Dalimen, Pouvez-vous nous mettre un peu au parfum des tractations» ayant eu lieu avant que votre manuscrit ne soit validé à l'édition?

On peut dire que les bons vents m'ont mené à bon port. C'est un honneur pour moi d'être édité par une aussi grande maison d'édition que je tiens à saluer pour le professionnalisme et le travail sérieux que son personnel a mené.
Le gros des «tractations» comme vous tenez à l'appeler s'est fait par mail, si bien que nous avons tenu des séances de travail en présentiel, dans un cadre convivial et sérieux à la fois.
Aomar MOHELLEBI




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