Algérie

Journée particulière à Abane-Ramdane



C'est dans une salle surchauffée et pleine à craquer que le juge a annoncé hier sa décision de reporter à ce mercredi 4 décembre le procès durant lequel doivent être jugés Ouyahia, Sellal, mais aussi d'autres anciens ministres, hommes d'affaires, P-dg de banques et cadres. Ce report de 48 heures n'a pas été du goût des avocats.Ces derniers qualifient la décision de «simple ajournement» davantage lié aux conditions dans lesquelles a été organisé ce procès et qui reflète «l'intention ferme de juger ces prévenus dans un contexte qui ne leur est pas favorable».
Cette déclaration a été faite par deux avocats chargés de la défense d'Ahmed Ouyahia, mais elle est partagée par leurs collègues qui se disaient, hier encore, prêts à quitter la salle d'audience en cas de maintien du procès. Ils n'ont pas eu à le faire. Environ trente minutes après l'ouverture de la séance, et après la prise de parole de quelques avocats, le juge décide d'annoncer le report du procès. L'un des intervenants n'est autre que le bâtonnier d'Alger, constitué pour la défense de l'homme d'affaires Ahmed Mazouz.
S'adressant au magistrat, il déclare : «Il est impossible de juger ces prévenus pour plusieurs raisons : les conditions que vous voyez ici au tribunal, mais aussi les derniers propos tenus publiquement par le ministre de la Justice et qui indiquent qu'il y a d'ores et déjà un parti-pris dans ces affaires.»
Les avocats qui défilent au barreau développent les mêmes arguments. Le juge leur répond alors et tente de les rassurer : «Faites confiance, personne ne me dicte de décisions ou la conduite à tenir, les décisions nous reviennent?» Ses assurances demeurent cependant vaines.
La défense insiste et maintient sa position. Un moment de flottement s'ensuit. Puis la sentence : «Le procès est reporté au 4 décembre.» Avant de clore la séance, le juge prononce la jonction entre tous les dossiers. Explication des avocats : «La jonction veut dire que toutes les différentes affaires contenues dans ces dossiers seront jugées ensemble.» Ces dossiers sont au nombre de quatre.
L'un émanant de la Cour suprême, et comportant les noms des deux anciens chefs de gouvernement, et trois autres sont issus du tribunal de Sidi-M'hamed où ont été inculpés les ministres, hommes d'affaires et cadres. Cette jonction est critiquée par les avocats dans la mesure où, disent-ils, «cette procédure risque de léser certains prévenus qui ne sont pas impliqués dans des affaires jugées en même temps».
En tout, près d'une quarantaine d'accusés étaient présents hier dans la salle d'audience. Outre les principaux concernés, se trouvaient également une quinzaine de personnes citées dans les dossiers. Parmi elles, plusieurs ont été placées sous contrôle judiciaire. Ouyahia, Sellal, Youcef Yousfi, Zaâlane, Mahdjoub Bedda, Ali Haddad, Ahmed Mazouz, Larbaoui, Baïri, le P-dg de la BNA et des cadres emprisonnés sont entrés vers 10h45 dans la salle d'audience. Mais ni la foule, qui s'est déplacée nombreuse pour assister au procès, ni les journalistes n'ont pu entrer dans la salle exiguë désignée pour le déroulement de ce jugement.
Le fait est dû à l'anarchie totale qui régnait au niveau de l'étage où tous ont attendu de longues heures l'ouverture des portes de la salle en question. Ici, de très nombreux citoyens ont été autorisés à entrer pour assister à cette journée hors du commun, selon leurs propos. «Zeghmati nous a invités à venir, alors nous sommes là», lançaient frontalement aux policiers les personnes invitées à se retirer en raison de la densité de la foule. Cette dernière était composée de plusieurs personnes âgées, des hommes, des femmes, des jeunes.
Une jeune femme s'est même risquée à effectuer le déplacement avec un bébé qu'elle portait endormi dans ses bras. «Je suis venue voir Ouyahia, c'est lui que je veux voir», lance-t-elle lorsque des policiers lui demandent de se mettre à l'abri des incroyables bousculades qui survenaient à l'arrivée de nouveaux groupes de citoyens.
Deux personnes, des hommes âgés ont perdu connaissance et ont dû être évacués lors d'un mouvement qui s'est déclenché à la suite de l'arrivée d'un important renfort policier sur les lieux. Débordés, les policiers en civil, qui gèrent habituellement les lieux, ont dû faire appel à leurs collègues de l'intervention pour tenter de rétablir l'ordre. Le dispositif était en fait davantage destiné à empêcher les citoyens de forcer la salle d'audience. En colère, un jeune s'en est pris verbalement à un policier qui l'a évacué par la force.
Frustrées, les personnes présentes ont tenté de se rabattre sur les quatre écrans télé spécialement mis en place dans le hall pour permettre de suivre le procès en direct. Pour des raisons inconnues, les images retransmises étaient chahutées ou brisées en mosaïques. Les avocats constitués dans ces affaires sont restés un long moment présents au sein de la foule. «Par où entrer '» «Comment faire ' C'est un scandale, du jamais vu !» commentaient ces derniers avant d'être invités à pénétrer la salle du procès en empruntant une autre chambre mitoyenne. Il est 11 h lorsqu'une sonnerie actionnée par la cour chargée de juger les prévenus résonne. Elle indique que la séance débute.
Les journalistes haussent le ton et réclament le droit d'effectuer leur travail. Une dizaine d'entre eux s'attroupe devant la porte du procureur général. Ils manifestent en scandant : «Presse libre et démocratique.» La scène se déroule au niveau inférieur. Mais un étage plus haut, des cris sont fortement audibles. Des avocats qui sortent de la salle du procès sont bousculés. Ils se disent consternés par le chaos qui règne.
«Du jamais vu.» De bouche à oreille, la nouvelle du report circule. Les robes noires confirment. Plusieurs avocats décident de reprendre leur souffle à l'extérieur du tribunal. Ici, une foule importante, qui s'était déplacée pour assister à l'évènement, n'a pas été autorisée à entrer. Un cordon de sécurité a été spécialement dressé pour les contenir. Les lieux ont été placés sous haute surveillance. Il est bientôt 12h, les trois fourgons cellulaires transportant les prévenus s'apprêtent à retourner à El-Harrach. Ils seront de retour dans quarante-huit heures.
A. C.


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