Algérie

Journal de guerre de Khaled Nezzar, (Témoignage) - Éditions Publisud, Paris 2004



Journal de guerre de Khaled Nezzar, (Témoignage) - Éditions Publisud, Paris 2004
Entre Histoire et histoires

Le témoignage des protagonistes que l’auteur a recueilli à cette occasion, et ce, des deux côtés de la ligne de feu, constitue sans conteste une contribution tangible à ce qu’on appelle parfois pompeusement «l’écriture de l’histoire». A ce titre, Khaled Nezzar est, reconnaissons-le, l’un des rares à avoir participé d’une manière aussi régulière à ce que la nation devrait considérer à jamais comme une œuvre exaltante.
Mais d’où vient cette vocation pour le général à la retraite Khaled Nezzar à vouloir écrire à tout prix une partie de l’histoire récente de l’Algérie ? Et en l’occurrence pour la période comprise entre 1954 et 1962 ? Des questions auxquelles l’ancien ministre de la Défense n’a pas suffisamment répondu, à notre connaissance. S’agissant pour l’heure de rédiger une note de lecture de son dernier opus Journal de guerre paru aux éditions de l’ANEP, on ne prétendra pas cette fois esquisser à nos lecteurs une quelconque réponse au pourquoi. Car, quand bien même nous aurions une petite idée sur la question, nous préférerions plutôt que ce soit l’auteur qui y réponde lui-même une autre fois. Une chose est néanmoins sûre : une formule est déjà éprouvée : «Le journalisme mène à tout…» Et pour cause ! On a été amené un jour de mai 1998 à traiter un sujet délicat se rapportant à un épisode douloureux de la lutte de Libération nationale : «La bataille de Souk Ahras» (27 avril-3 mai 1958) dont Khaled Nezzar consacre incidemment dans cette nouvelle parution un long chapitre, apportant un nouvel éclairage à cet évènement marquant qui a vu le 4e bataillon de l’ALN, surnommé depuis El Faïlek Chahid, complètement décimé par l’armée coloniale. Le témoignage des protagonistes que l’auteur a recueilli à cette occasion et ce, des deux côtés de la ligne de feu, constitue sans conteste une contribution tangible à ce qu’on appelle parfois pompeusement «l’écriture de l’Histoire». Dans une récente intervention au sujet de la bataille de Souk Ahras, Dahou Ould Kablia, ancien responsable du DDR, le département du renseignement de l’ALN, avouera dubitatif «ne pas être certain qu’il y ait eu, dans le cas d’espèce, une erreur tactique !». De quoi s’agit -il donc ? D’une trahison ? Le président de la puissante association des «Malgaches» n’en dira pas plus.
Quant à Khaled Nezzar, qui n’a pas participé lui non plus à la bataille, il impute dans cet ouvrage l’hécatombe à «ce chef, aux connaissances très en deçà de ses responsabilités, mais que nous respectons pour sa sincérité et sa piété, et aussi parce que c’est un maquisard de la première heure». Et qui d’ailleurs «n’en est pas à sa première erreur…» Sa description de Mohamedi Saïd dit colonel Si Nacer est, disons-le, assez conforme aux nombreux témoignages des moudjahidine qui ont côtoyé ce chef de guerre souvent controversé. C’est donc sans ambages que Khaled Nezzar fera ressortir le caractère ombrageux de l’ancien officier SS, «un ukase politique comminatoire». Cela dit, l’auteur aura fait œuvre utile en recueillant pour la postérité le récit des moudjahidine rescapés, comme Mohamed Maârfia, Salem Giuliano, Aït Mehdi dit Si Mokrane. Du côté français, il puisera dans le livre La Saga des paras du général Robert Gaget et dans le témoignage de Patrick Charles Renaud relatif au dispositif de l’aviation envoyée en appui dans la terrible bataille de Souk Ahras. «La situation dans laquelle nous sommes placés illustre tragiquement la contradiction fondamentale entre les réalités du terrain et les illusions d’un lointain commandement concoctant des scénarios théoriques dans la quiétude d’un bureau.» Khaled Nezzar enfoncera alors le clou en évoquant la rivalité permanente au sein des instances suprêmes de la révolution qui se traduira, d’après lui, par de nombreuses pertes sur le terrain. Il faudra tout de même reconnaître ici que ce ne sont pas les descriptions des hauts faits d’armes qui pourront refléter les véritables rapports de forces en présence. Car au-delà de l’aspect militaire, il va bien falloir s’attaquer un jour ou l’autre à l’écriture de l’histoire politique et idéologique de l’Algérie contemporaine. Et ce ne sera qu’à ce moment-là que l’on pourra faire, le ton héroïque de côté, les recoupements révélateurs non seulement des enjeux, mais aussi des victoires et surtout des défaites…
Concernant son engagement dans l’ALN, Khaled Nezzar ne citera pas de date précise quant à son premier contact avec «les représentants du FLN activant au 13e régiment de tirailleurs algériens» en Allemagne. Il ne mentionne pas non plus de date d’arrivée au 26, rue Sadikia, le siège du FLN à Tunis. Il suggère, en revanche, avoir été surpris par son affectation à la Wilaya I, décidée semble-t-il en fonction de son lieu de naissance, les Aurès. Grâce à un concours de circonstances, il ne rejoindra pas, à sa grande satisfaction, cette affectation initiale. Il s’en trouve réjoui. «J’ai rejoint l’ALN pour combattre sous la bannière de l’Algérie et non pas sous celle de mon village», s’écrie-t-il. A l’école des cadres d’El Kef, son premier point de chute, il retrouve d’anciens camarades d’école. Là, Amara Laskri dit Bouglez le désigne comme instructeur à l’école des artificiers, près de Sakiet Sidi Youssef, où il commence à former un premier peloton. Ensuite, à l’école des cadres, le déserteur de l’armée française dispensera «du mieux qu’il peut» les connaissances acquises dans l’armée coloniale et ce, notamment aux futurs éléments du MALG. «Certains feront une longue et utile carrière au service de l’Algérie. Ils y sont encore ! …», précise-t-il dans un passage faisant allusion, d’après nos sources, au général-major Mohamed Mediène dit Toufik, l’actuel patron du DRS qui a suivi ladite formation. Illustré par des photos et des croquis, le Journal de guerre de Khaled Nezzar montre celui-ci en compagnie de son chef, Chadli Bendjedid, du défunt commandant Abderrahmane Bensalem et d’un grand nombre de moudjahidine connus, comme Ahmed Djenouhat, Abdelkader Kara, Boutarfa El Fadhel ou encore le défunt Kaddour Bouhrara dit Sancho… Le mérite de Khaled Nezzar, dont il convient de faire la promotion du livre, vient du fait que chacun sait en Algérie et même ailleurs que les nombreux moudjahidine encore en vie préfèrent pour la plupart se taire… Car, voilà belle lurette que nos aînés se sont donné le mot de ne rien dire sur cette période décidément trouble de leur histoire. En évitant ainsi de «faire des vagues», ces derniers passent plutôt pour être les fossoyeurs d’un passé, pourtant des plus glorieux. Pendant ce temps, les plus téméraires, voire les plus consciencieux s’évertuent, malgré les risques multiples de controverses, d’apporter un tant soit peu leur témoignage, leur pierre à l’édifice. «El ikhtilaf rahma», dit l’adage que certains veulent obstinément oublier à l’ère du pluralisme et de l’internet. Au moment où nombre de moudjahidine (et non des moindres) n’ont pas la chance de se faire éditer, on apprend que le général Khaled Nezzar a décidé d’offrir gracieusement 600 exemplaires de son Journal de guerre aux moudjahidine de la base de l’est à qui il dédie entièrement son livre. Enfin, du moins à ceux de laquelle il en reste. Les autres ayant emporté tous leurs secrets, nous sommes tentés d’encourager aujourd’hui encore Khaled Nezzar à persévérer : «Témoignez, témoignez, il en restera quelque chose !».


La bataille de Souk Ahras, dont on célèbre le 53ème anniversaire de son déroulement, est l’une de ces épopées héroïques qui parsèment les sept années et demie de la glorieuse Révolution de Novembre. Les faits de cette bataille, qui dura toute une semaine à partir du 26 avril 1958, avaient commencé à Ouilène, près de Souk Ahras, pour s’étendre jusqu’aux hauteurs de Hammam N’bails, non loin de Guelma, sur un rayon de plus de 50 km. Les survivants de cet engagement de l’Armée de libération nationale (ALN), aujourd’hui organisés en association, font état de la mort au champ d’honneur de 639 moudjahidine, tandis que les pertes ennemies avaient été estimées à 300 soldats tués et 700 blessés. Selon le président de cette association, M. Hamana Boularès, l’accrochage initial a eu lieu dans la région de Zaarouria, alors que le commandement de l’ALN avait donné l’ordre d’éviter, autant que faire se peut, tout engagement contre l’ennemi, afin de faciliter le passage des armes sous les lignes électrifiées Challe et Morice. Le convoi acheminant les armes était protégé par le 4ème bataillon commandé par le defunt Mohamed-Lakhdar Sirine, deux compagnies de la wilaya II et une compagnie de la wilaya I. C’est au moment du passage du quatrième bataillon et des trois compagnies venant de Tunisie, près de Djebel Salah, que l’accrochage a eu lieu. Hamma Chouchène qui était adjoint du chef du 3ème bataillon, se rappelle que la bataille a été dirigée par Mohamed-Lakhdar Sirine, Youcef Latreche et Ali Aboud. Selon l’universitaire Abdelhamid Aouadi, cette bataille s’est déroulée dans le cadre et les circonstances décrites par le général Vanuxem, commandant de la région de Constantine. M. Aouadi rapporte que Vanuxem considérait que les guerres révolutionnaires ne consistent pas seulement à neutraliser les rebelles à l’intérieur, mais également à faire face à l’aide qu’ils reçoivent de l’extérieur, comme ce fut le cas en Indochine et en Algérie. Après la construction de la ligne Morice, en juin 1957, sur le territoire de la base de l’Est, puis son achèvement en octobre de la même année, d’importantes quantités d’armes et de munitions avaient été introduites en Algérie, mais l’ennemi allait considérablement renforcer la surveillance des frontières Ouest, mais surtout Est. Le commandement de la Révolution ayant constaté que la base de l’Est s’est trouvée " séparée d’une portion importante de son territoire ", a mobilisé des forces pour protéger les convois d’armement, ce qui a été découvert par l’ennemi qui, à son tour, à mis sur place un puissant arsenal, aviation, blindés, artillerie, fantassins et parachutistes, entraînant de violentes batailles et de lourdes pertes des deux côtés. Dans la nuit du 26 au 27 avril 1958, toutes les unités se mettent en mouvement. Le 28 au matin, la bataille eut lieu et devant l’inégalité des forces en présence, l’ennemi était contraint de reconnaître la supériorité morale des moudjahidines, rapportent des témoins. Selon M. Djamel Ouarti, professeur d’histoire au centre universitaire de Souk Ahras, les forces engagées par l’armée française dans la bataille de Souk Ahras étaient " considérables ", l’engagement était même comparé à une bataille de la Deuxième guerre mondiale. Ce chercheur affirme qu’aucun moudjahid ne s’est rendu à l’ennemi sur le champ de bataille. "Même les unités encerclées s’étaient battues jusqu’au bout de leurs forces et de leurs munitions ", précise-t-il, faisant référence à de nombreux témoignages de survivants. Citant " La Dépêche de Constantine et de l’Est algérien ", M. Ouarti signale que les combats se sont poursuivis sans relâche, parfois au corps à corps. Le point fort des moudjahidines était la connaissance du terrain, note-t-il, relevant également que les pertes ennemies ont été sous-estimées par les sources françaises..
sirine taoufik - liberale - soukahras, Algérie

14/12/2011 - 23665

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