Algérie

Jour de vote, côté plage



Désabusés et n'accordant presque aucun intérêt à ces élections, les habitants de la ville côtière de Staouéli, à l'ouest d'Alger, préfèrent, pour nombre d'entre eux, profiter d'une journée à la mer, le week-end, le soleil brûlant s'y prêtant...Habituellement grouillant de monde, la commune de Staouéli donne l'air, ce samedi matin du 12 juin, de se reposer de ses interminables bouchons et klaxons assourdissants. La circulation est fluide et les rues presque désertes.
Le week-end n'explique pas à lui seul ce calme réparateur pour les habitants de cette commune où l'air marin titille les narines à chaque coin de rue. Les élections législatives anticipées semblent profiter à plus d'un aujourd'hui. Beaucoup saisissent cette occasion pour profiter d'une journée à la mer, à deux kilomètres du chef-lieu, laissant les centres de vote tristement vides et silencieux.
À quelques mètres de l'école des Frères-Damerdji, ex-école de la Place, qui accueille un bureau de vote au centre de Staouéli, Ahmed, à la retraite, Réda, fonctionnaire de l'éducation, et Nadjib, commerçant, devisent à l'ombre d'un platane. L'élection n'est pas au centre de leurs échanges. Ils discutent de ces immeubles sans style et sans âme qui poussent comme des champignons et "défigurent la ville qui, pourtant, dans un passé pas très lointain, était une commune où il faisait bon vivre", dit Ahmed, le retraité. Et son ami Réda d'ajouter : "Nous étions heureux. C'était un petit village où les gens avaient le goût de vivre. Ce n'est plus le cas à présent." "Tout a changé, le village a grandi et est devenu méconnaissable", lâche-t-il, tristement.
Aux dernières statistiques de 2008, Staouéli accueillait près de 50 000 âmes. Un important gisement d'électeurs, dirions-nous.
"Oui, si les élections intéressaient les Algériens et avaient un semblant de crédibilité", commente Nadjib, le commerçant, avant que le retraité ne lâche : "Ulac el vote ulac" (pas de vote), provoquant le rire de ses amis. Plus sérieusement, explique-t-il, "ces élections, et celles d'avant d'ailleurs, ne sont d'aucun intérêt pour moi. Je ne dénie pas le droit à ceux qui veulent cautionner ces élections, chacun est libre, mais me concernant, je n'irai pas voter. Rien ne m'y encourage. Voyez-vous, on ne connaît même pas tous ces candidats qui se sont présentés à cette élection", affirme encore le retraité. Pour lui, comme pour Réda et Nadjib, la prochaine APN ne changera rien au quotidien des Algériens.
"Elle a de tout temps été une chambre d'enregistrement. Ce n'est pas que je ne crois pas à l'acte de vote qui reste un devoir citoyen, mais dans pareil contexte de crise politique et de répression, ces législatives n'apporteront aucune solution. Mais bien au contraire, elles peuvent exacerber la crise", explique, pour sa part, le fonctionnaire de l'éducation.
À 13h, au centre de vote (école des Frères Sabandji), rien n'indique que c'est un jour d'élections, si ce n'est les quelques surveillants du centre et les employés mobilisés pour assurer l'organisation du vote. À défaut d'électeurs, presque tous les employés sont regroupés sous l'ombre agréable des quelques arbres, au centre de la cour. Les salles de vote, elles, sont silencieuses. Pendant près d'une heure, un seul votant a franchi le seuil d'une classe, un peu gêné d'ailleurs, pour aller voter. "C'est comme ça depuis 8h du matin", affirme un des employés. Renseignement pris, sur 2 663 électeurs inscrits ici, jusqu'à 13h30, seuls 172 ont voté. Un taux très faible, affirme un autre employé. "J'ai toujours été mobilisé lors des élections, c'est peut-être la première fois que la participation stagne à un taux aussi faible", fait-il observer. Dans un autre centre de vote réservé aux femmes, à la sortie ouest de la ville, le nombre de votants n'est pas mieux. La cheffe du centre de vote, école Hassiba-Ben Bouali, nous affirme qu'aux environs de 14h, seulement 134 électrices, sur un total de 2 675, ont voté. Soit un taux de participation insignifiant.
Farniente
Lassés, désabusés, ne voyant pas dans ces élections une occasion de changer leur quotidien, les habitants de la ville côtière préfèrent vaquer à leurs occupations ou encore, pour nombre d'entre eux, profiter d'une journée à la mer, le week-end et le soleil brûlant s'y prêtant. En famille, en couple ou entre amis, ils choisissent Plage Ouest, à Sidi Fredj, à peine à deux kilomètres de Staouéli. Les pieds dans le sable chaud et doré, la tête sous le parasol, c'est presque un sacrilège que de demander aux estivants s'ils avaient voté avant de venir piquer une tête dans l'eau rafraîchissante ou encore se dorer la peau. Les Algérois, connus pour leur sens de la répartie, se prêtent cependant volontiers au jeu des questions. Avez-vous voté avant de venir ici ' Plusieurs fois, les jeunes notamment, en guise de réponse, interrogent à leur tour : "Pourquoi, il y a vote '", avant de faire remarquer que c'était juste de l'humour. Un humour non moins expressif ! "Je ne sais pas trop. Je vous avoue ne pas me sentir concerné", dit Amine, allongé sur le sable à côté de ses amis Rafik, Sofia et Nawel, tous des étudiants. "Franchement, qu'est-ce que ça changera '" demande Sofia qui dit n'avoir jamais voté.
"J'ai du mal à me projeter et à me convaincre d'un avenir comme je le souhaite dans ce pays. Pourquoi alors voter '" ajoute-t-elle, un tantinet désenchantée, après, explique-t-elle encore, la parenthèse du Hirak qui a permis de "ressusciter quelques espoirs avant son anéantissement". Si son ami Rafik conçoit bien et reconnaît que le vote est et reste le moyen le plus démocratique pour élire les représentants du peuple, le contexte, soutient-il, dans lequel sont organisées ces élections est loin d'encourager les citoyen d'aller aux urnes.
"Plus de 200 personnes, hommes, femmes, étudiants, jeunes activistes, croupissent en prison. Qui ira voter dans ces conditions ' Qui acceptera de cautionner ce système '", fulmine-t-il, en faisant remarquer que la plupart des candidats n'ont aucune "compétence ni expérience politique". "J'ai suivi un peu la campagne électorale sur Facebook. C'était un cinéma de mauvais goût. Rien n'incite franchement à aller voter pour eux", affirme-t-il.
Karim Benamar


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