Algérie

Jour de fête


Jour de fête
«Je suis triste comme un lendemain de fête.» Alfred de Musset
Dans la tension qui a prévalu avant le match de coupe et après le deuil qui s'en est suivi, plongeant une bonne partie de la jeunesse algéroise dans une tristesse infinie (les mauvais perdants ayant affiché une gueule de bois pendant le reste de la semaine), il est rassurant de constater qu'il existe çà et là des oasis de bonheur pour des gens qui n'ont pas perdu le goût de vivre malgré les scandales qui tombent en cascade, les mauvaises nouvelles qui se profilent à l'horizon et les innombrables épées de Damoclès suspendues au-dessus de leurs pauvres têtes précocement dégarnies.
L'événement qui réunit le mieux les parents et les amis dans une ambiance de bonne humeur et de convivialité demeure sans conteste le mariage. D'habitude, les mariages (enfin les cérémonies avec leur éternel rituel fait de défilés impressionnants de tonitruantes voitures, d'agapes qui se prolongent tard dans la nuit et de concerts qui ne finissent qu'avec l'aube), se font en été quand le sang déjà chaud des Algériens se met en ébullition, monte à la tête comme dans une cafetière sous pression, sème la confusion dans toutes les prévisions dûment établies par des années de calcul... cependant, avec la cherté des salles des fêtes, on peut assister tout au long de l'année à la célébration de noces bruyantes. Il faut voir d'ailleurs avec quelle générosité sont distribuées les économies patiemment accumulées: juste pour montrer aux voisins, aux parents, aux amis que le fils ou la fille que l'on marie vaut tous les sacrifices du monde...C'est sous un doux crachin qui trempe sournoisement les imprévoyants que je suis convié à une telle fête où convergent des centaines de gens venus de tous les coins de l'Algérois. La rue est empêtrée dans des travaux qui ne finissent pas de transformer le paysage en une immense balafre qui saigne la chaussée bordée d'immeubles en ruine. Dans le quartier, on détruit et on reconstruit de nouveaux édifices qui vont servir à la nouvelle classe des heureux bénéficiaires de dividendes de la manne pétrolière. Les gens s'engouffrent dans le couloir, énorme boyau qui évacue la chaleur de la salle. On secoue les parapluies.
Les parents du marié accueillent les divers invités, en tentant de reconnaître et de distinguer les alliés, les amis ou les collègues. C'est l'occasion de contempler dans la salle où s'affaire une dizaine de jeunes qui servent et desservent les tables, la galerie de portraits: les humbles, les riches, ceux qui ont réussi et ceux qui s'accrochent à la vie, malgré tout. Dans le brouhaha général, les embrassades succèdent aux retrouvailles. On demande des nouvelles d'un tel, on évalue la santé des autres. Les flashs des appareils photo crépitent tandis que les mâchoires se mettent en roue libre. On pose pour l'éternité. Le père est aux anges, lui qui hier encore, affichait une pâleur inquiétante, arbore une mine réjouie. La rougeur du visage frise l'apoplexie.
Il est le centre de toutes les attentions. Ceux qui ont réussi sont plus sollicités que d'autres. Leur mine et leurs costumes attestent de leur rang dans la hiérarchie sociale. Mais la diversité des genres interdit toute discrimination: les imberbes et les barbus mangent à la même table et les discussions vont bon train. Tous les thèmes y sont abordés. Et les sujets de discussion ne manquent pas: la Coupe inévitablement, Sonatrach, l'autoroute Est-Ouest, le prix de la sardine ou de l'oignon et les salaires dérisoires... On essaie malgré tout d'éviter les sujets qui fâchent: c'est normal, c'est la fête. La douleur est taboue.
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