Algérie

JO 2024: 46 médailles d'honneur déjà pour l'Algérie!


Paris, 17 octobre 1961: Elie Kagan, un jeune paparazzi de 33 ans, prévenu par des amis algériens dont il a épousé la cause, enfourche sa Vespa et se dirige vers la Place de la Concorde où il voit «des Algériens plaqués mains au mur et des policiers armés de mitraillettes». Il hésite à prendre des photos, peur de se faire matraquer et que l'on saisisse sa pellicule. Il gare son scooter et descend dans la station de métro Concorde. Sur le quai, des Algériens sont parqués, mains au-dessus de la tête. Elie Kagan, politiquement pour l'Algérie indépendante, s'est toujours senti solidaire du peuple algérien. Il comprend alors que c'est le moment de prendre ses responsabilités: il «vole» sa première photo politique.
Toute la nuit, Kagan arpentera la ligne 1 du métro, se risquant à sortir de certaines stations, de temps à autre, pour prendre des photos de cette rafle sanglante. À la station Solférino, le photographe repère, sur un banc, un Algérien blessé par balles. Arrive la poinçonneuse de tickets de métro: - «Mais vous savez Monsieur que c'est interdit de prendre des photos sur le quai du métro»?
- Et ce n'est pas interdit de tuer les gens, Madame?
Hervé Bourges, qui dirigeait alors l'hebdo Témoignage Chrétien, s'appuiera sur le reportage-photos de Kagan pour sortir, le 27 octobre de cette même année, un numéro spécial sur le massacre des Algériens en plein coeur de Paris. «Une malheureuse soirée», concédera Papon lors du procès pour «complicité de diffamation» intenté à Jean-Luc Einaudi, un «historien amateur», comme aimait-il à se définir, un «héros moral», appuiera l'historien Mohamed Harbi. «Elie Kagan a donc vu et photographié des morts qui n'existent pas», dira plus tard, avec une pointe d'humour (jaune) Jean-Luc Einaudi, l'auteur de La Bataille de Paris, 17 octobre 1961 (Seuil, 1991), «dont les écrits ont mis en lumière, de façon magistrale, le rôle de l'État français dans la répression des luttes pour l'indépendance algérienne», écrira Le Monde, à sa mort, en mars 2014. «Les photographies d'Elie Kagan prises pendant la manifestation? Je n'y crois pas du tout, c'est du montage!» lancera, avec dédain, Papon lors de ce même procès en diffamation. Précisons que l'ancien préfet de police de Paris et du temps où il était secrétaire général de la Préfecture de la Gironde (1947) avait fait ses classes sous les ordres de l'homme de main de Hitler Klaus Barbie. Auparavant, il fit un court séjour à Constantine (septembre 1949) où il reviendra en 1956. «Puisque personne ne veut aller en Algérie, j'y retournerai, Inch Allah!» confiera-t-il dans une lettre à un proche. «Maurice Papon a joué un grand rôle dans l'Est algérien de 1956 à 1958», révélera, à ce sujet, Jean-Luc Einaudi.
Paris, 16 juin 1979: au terme des États généraux de la philosophie qui s'étaient tenus à la Sorbonne, et grâce à la bienveillante entremise de l'enfant du pays Jacques Derrida, présent autour de ce «volcan de la pensée», rendez-vous est pris avec Vladimir Jankélévitch. Ce sera chez lui au 1, rue du Quai aux Fleurs, plus exactement au premier étage, dans le salon, entre un piano et un énorme bureau dont on devinait la boiserie, malgré l'amas de livres, échappés sans doute de la bibliothèque déjà surchargée qui occupe tout un mur, voire plus. L'entretien tournera autour de cette «adresse aux non-philosophes» lancée au cours de ces États généraux et où l'on peut lire qu'«il n'y a pas de démocratie sans philosophie». Et de la démocratie, en France, le philosophe embraya sur cette «sale guerre qui a été imposée au peuple français, et encore plus au peuple algérien, par le pouvoir politique et le lobby des gros colons d'Algérie».
Plus tard, une autre philosophe, Catherine Clément, se rappellera qu'en 1959 «quand j'ai suivi ses cours, Jankélévitch était vent debout contre la guerre d'Algérie, contre l'État policier. (...) Tel que je le connus, dans cette mauvaise période de complots assassins et d'autoritarisme policier, Janké incarnait toute la liberté. Il avait pris parti contre le général». Et du coup, le nom de Malek Haddad est évoqué, à cause, justement, de l'adresse domiciliaire du maître de la Sorbonne, rue du Quai aux Fleurs. C'est alors qu'il «avouera» avoir lu le roman de Malek Haddad, Le quai aux fleurs ne répond plus, d'abord à cause du titre et puis parce qu'à Alger c'est là qu'il a épousé, en 1947, Lucienne, sa femme. On rappellera à Vladimir Jankélévitch, au risque de malmener sa pudeur, qu'il a été aussi signataire de ce fameux «Manifeste des 121, Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie»: un brûlot signé par des intellectuels et des artistes. (...) «Nous respectons et jugeons justifiée la conduite des Français qui estiment de leur devoir d'apporter aide et protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français. La cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres.». Catherine Clément, sa disciple, aimait aussi à rappeler que «Janké était de loin la plus brillante figure, celle qui attira tout de suite la jeunesse».
Paris 26 juillet 2024: ouverture des Jeux olympiques. Sur la Seine, 85 bateaux transportant 205 délégations, remontent, dans une ambiance festive, le cours de ce fleuve historique à plus d'un égard. Parmi ces «Olympiens» venus des quatre coins du monde, 46 athlètes d'Algérie, vent debout, qui, en hommage aux dizaines d'Algériennes et d'Algériens précipités dans la Seine, cette nuit du 17 octobre 1961, vont jeter, soixante-quatre ans après, des roses rouges qui iront caresser la peau de la Seine. Un geste qui a fait, de la plus belle et de la plus pacifique façon, le lien entre les générations. Et cela ne va pas passer inaperçu sur les berges de la Seine où s'étaient massées des milliers de personnes venues assister à cette cérémonie inaugurale des Jeux olympiques. «Une image politique très forte.» «Un geste mémoriel rare dans une cérémonie d'ouverture des JO», ainsi fut relayée l'info, par la majorité des médias de l'Hexagone.
«Nous avons atteint un stade de maturité qui nous permet de voir les choses comme nous devrions les voir, sans émotion», avait déclaré Abdelmadjid Tebboune, auparavant, relevant à cette occasion que «l'Assemblée nationale française a fait un geste positif en reconnaissant (au mois de mars dernier, ndlr) le crime commis par Papon en 1961. C'est une étape positive». «Nous avons atteint un stade de maturité qui nous permet de voir les choses comme nous devrions les voir, sans émotion».(...) «Toutefois, le dossier de la mémoire ne saurait faire l'objet de concessions, ni de compromis, et devra bénéficier d'un traitement objectif, audacieux et équitable envers la vérité historique», ajoutera le chef de l'État, augurant d'un traitement de l'Histoire sans passion tout en rappelant que «la crédibilité et le sérieux sont une exigence fondamentale pour compléter les mesures et les efforts liés à ce dossier délicat et sensible».
Ainsi, la génération actuelle qui reste encore plus à l'écoute est plus attentive à tout ce qui pourrait renforcer sa citoyenneté et son sens de la responsabilité.
Pour leur part, les quarante-six athlètes présents à Paris pour ces JO 2024, ont d'ores et déjà inscrit à leur palmarès 46 médailles d'honneur. Elles ont la couleur du message qu'elles véhiculent, celui de la dignité et de la paix.
Saïd OULD KHELIFA

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