Faute de débouchés pour leurs produits maraîchers, les agriculteurs, se sont convertis dans la culture de la verveine. Un retour aux sources.
Elle n’est plantée nulle part, à Jijel, mais à Chekfa, elle est dans son sol, sa terre ancestrale. La verveine de Chekfa, une plante herbacée de la famille des verbénacées aux vertus médicinales avérées, aurait pu avoir un destin plus conquérant si elle avait bénéficié de plus d’attention, d’outils et de moyens pour la promotion de sa culture.
Mais faute de tout cela, elle se contente de ce qu’elle a: le savoir-faire de ces paysans qui ne l’abandonnent pas. Contre vents et marées et en dépit du rétrécissement des surfaces cultivées, les champs de verveine se multiplient. Ils “poussent” un peu partout, à Boutaleb surtout, mais aussi à Sebt et ailleurs, sur les hauteurs de la région.
Son odeur aromatisée est la première trace de sa culture dans une région, heureusement, désenclavée, au grand bonheur de la population, par des projets de routes, qui ont rendu le déplacement plus facile. En ce vendredi d’un début d’octobre à la température encore relativement élevée, ce n’est pas la sieste de certains qui empêche d’autres de rallier leurs champs pour entretenir ou récolter leur plante “fétiche”.
Abdelhak est l’un de ces producteurs ayant pignon sur rue que nous rencontrons d’abord à Boutaleb, une localité à l’air aromatisé par le parfum de la verveine. S’affairant à effecteur des travaux à son domicile, il nous oriente à Sebt, l’autre localité cultivant cette plante.
“Vous allez rencontrer tout le monde sur place. Les agriculteurs sont sur les lieux, dans leurs champs”, nous lance-t-il avec assurance.
Du haut de ses 70 ans, notre interlocuteur n’omet, cependant, pas de nous avertir: “Faites en sorte d’écrire sur ces tentatives de certains qui veulent introduire la verveine marocaine en Algérie. Si cela se produit, cela finira par casser notre produit.”
Introduite frauduleusement ou légalement – car on n’en sait pas trop sur les dessous de cette marchandise qui viendrait des frontières hermétiquement fermées de l’ouest du pays –, la verveine marocaine est au cœur d’une appréhension des agriculteurs à Chekfa. Elle nourrit bruits et chuchotements au sein de la communauté des producteurs dans cette région, vivant quasiment de la culture de la verveine.
Youcef, un jeune et dynamique homme, rencontré plus tard, dans un champ à Sebt, qui s’est introduit avec engouement dans ce circuit, confirme que la verveine marocaine a bel et bien été introduite en Algérie.
“Comment et de quelle façon?” avons-nous interrogé. “Par des voies détournées”, rétorque-t-il.
Plus sûr encore, il confirme avoir aperçu la verveine tunisienne de piètre qualité, dit-il, par rapport à ce qui est produit dans les champs de Chekfa.
“Je l’ai vue, il y a quelques années, elle a été introduite par les réseaux de la contrebande”, soutient-il non sans affirmer que pour lui donner un goût plus aromatique, on la mélange à la verveine algérienne.
Qu’à cela ne tienne, puisque de Boutaleb, on se faufile à travers des routes soigneusement bitumées en traversant le cœur du chef-lieu de la commune de Chekfa. Le village est extrêmement pollué par un gigantesque dépôt d’ordures qui a pris forme au milieu d’une bâtisse en ruine. Plus loin, à la sortie de cette localité, c’est une retenue collinaire qui s’offre en premier au regard. Asséchée, elle attend le retour de la pluie pour retrouver son niveau d’eau d’avant.
En dépit des atouts hydriques de cette région regorgeant d’eau, de cette retenue collinaire et des oueds la traversant, l’activité agricole reste quasiment en berne. Quelques vaches paissent dans ces immenses pâturages, qui auraient pu avoir un autre destin agricole, voire de production laitière.
“Il n’y a rien dans ces pâturages.Tout le monde aurait pu profiter des vertus de cette nature verdoyante”, se désole Riad, notre accompagnateur.
Tout au long de ce parc naturel qui commence à retrouver sa verdure après les dernières précipitations, apparaissent quelques champs de culture sous serre. Certains sont abandonnés, mais la région reste extrêmement polluée par d’immenses décharges sauvages. Partout, cette pollution est de plus en plus au centre d’une grande préoccupation qui n’arrive pas à être maîtrisée par tant de rejets anarchiques d’ordures
. Au bout d’un itinéraire au milieu de ces contrées qui attendent de retrouver leur sublime éclat verdoyant au printemps, nous arrivons à notre destination : les champs de la verveine de Sebt, là où nous avons été orientés par Abdelhak, le producteur de la verveine de Boutaleb. Bachir nous reçoit avec le sourire et nous lance d’emblée que d’autres journalistes de la télévision sont venus avant nous. Sans trop tarder, il entre dans le vif du sujet de notre virée dans sa plantation.
L’odeur parfumée de cette plante va nous accompagner tout au long de notre tournée dans ces champs verdoyants et soigneusement entretenus. Au bout de quelques minutes de discussion, on finira par comprendre que la verveine, contrairement à sa culture à Boutaleb, s’est invitée dans cette localité de Sebt, après l’abandon total de la culture maraîchère.
“C’est plus facile de cultiver la verveine, elle n’est pas coûteuse, je n’ai pas besoin de crédit bancaire, contrairement à la culture de la tomate, qui nous coûtait beaucoup d’argent et d’efforts sans nous rapporter de bénéfices, nous travaillions à perte dans cette filière”, confie notre interlocuteur.
La production maraîchère dans cette localité semble avoir subi le sort réservé à la filière dans toute la région.
. Adieu la tomate !
La tomate industrielle et son usine de transformation ne sont plus qu’un souvenir dans cette région, qui a fini par abandonner cette culture. Heureusement que certains l’ont vite remplacée par la culture de la verveine. À 73 ans, et en sautant sur cette aubaine, Bachir ne regrette pas de s’être orienté vers ce circuit rentable pour lui. Il revient cependant sur ses péripéties avec la tomate qu’il cultivait dans ses champs avant de changer son fusil d’épaule et s’orienter vers la culture de la verveine.
“Je passais de longs jours devant l’usine de transformation de la tomate de Taher pour décharger mon produit. Je me souviens être resté dans mon tracteur trois semaines à attendre mon tour, ma marchandise a fini par pourrir, et j’ai fini par jeter tout le chargement de ma remorque”, regrette-t-il.
C’est à partir de ce moment que Bachir a décidé d’opérer le changement pour se spécialiser dans la culture de la verveine.
“Je ne regrette pas, je suis bien dans mes champs avec cette plante”, se réjouit-il.
Le seul hic est qu’il fait face à un manque cruel de main-d’œuvre.
“Je ne trouve pas de travailleurs, et s’ils viennent c’est pour travailler pas plus de 4 heures à 1.000 DA. Je les paie et ils s’en vont, me laissant me débrouiller seul dans ces champs”, se désole-t-il.
Le manque de main-d’œuvre dans le secteur agricole est un phénomène rencontré par tous les agriculteurs, et voilà qu’il vient rendre incertaine la récolte de la verveine à Chekfa. Au-delà de cette contrainte, Bachir dit s’en sortir plutôt bien par rapport à son passé avec la culture de la tomate. Il est là dans ses champs depuis plus de trente ans à faire pousser un produit, devenu la spécialité phare de cette région de Chekfa. Une spécialité qui remonte à l’ère coloniale où ce produit s’exportait à partir de Jijel vers l’Europe.
Si elle n’est plus expédiée vers le vieux continent, la verveine de Chekfa trouve cependant son marché en Algérie, où elle est facilement écoulée à 300 DA le kilo si elle est cédée avec sa tige. Le kilo de feuilles de verveine sans mélange peut atteindre 1.650 DA.
Pour donner plus de consistance à cette filière, le jeune et dynamique Youcef tente de se lancer dans la transformation du produit. Il se plaint de multiples difficultés qui entravent son projet. Se débattant contre ces contraintes, il arrive tant bien que mal à ramasser des quantités de verveine produites dans ces champs pour les transformer dans sa petite unité implantée à Tlata, près de Taher. Il se plaint cependant dans sa démanche de la faiblesse de la tension électrique nécessaire pour faire tourner ses machines.
“On m’a demandé de payer pour la ligne électrique (380 volts)”, déplore-t-il.
Au-delà de ces contraintes, la production de la verveine reste une spécialité locale par excellence. Elle compte de nombreux producteurs, dont les champs s’étendent sur des dizaines d’hectares. En difficulté pour subvenir à leurs besoins, certains petits producteurs subsistent avec ce produit qu’ils cultivent en petite quantité.
“Ils viennent me solliciter pour me vendre leurs maigres récoltes, juste, disent-ils, pour acheter le pain”, indique avec regret Youcef.
Reportage réalisé par : ZOUIKRI AMOR
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Posté Le : 09/10/2020
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Reportage réalisé par : ZOUIKRI AMOR
Source : liberte-algerie.com du jeudi 8 octobre 2020