Algérie - Revue de Presse

Jeux Olympiques de Pékin : Dongtan, la cité fantôme


Les travaux de construction d'une ville écologique seraient sur le point de débuter sur l'île de Chongming, à proximité de Shanghai. Le projet Dongtan, qui a fait le tour du monde en tant que vitrine de la Chine moderne, demeure méconnu en Chine et surtout auprès des habitants de l'île même. Les autorités locales refusent désormais de parler du dossier et ses rares opposants se sont étonnamment tus. Protection de l'environnement à la sauce aigre-douce.

Le ferry, une embarcation pas vraiment moderne mais en relativement bon état, avance à un rythme soutenu vers l'île de Chongming. Quasiment la totalité des quelque cent cinquante sièges est occupée; comme tous les matins, il emmène depuis l'embarcadère de Baoyang des Shanghaiens, visiblement d'origine plutôt modeste, au travail et ramène des insulaires partis écouler les produits de leur récolte ou de leur pêche sur les marchés de la métropole. Une poignée d'entre eux arpentent la proue, préférant l'air marin à l'odeur de renfermé de la salle principale. Un air marin qui leur rappelle inévitablement leur vie quotidienne. Chongming, la deuxième île de Chine en superficie après la méridionale Hainan, est réputée pour la beauté de ses paysages, de son cadre naturel. Plus grande île alluviale au monde avec une superficie de plus de 1.200 km (environ 15 km sur 80 km), sa partie sud-est (la zone humide de Xisha) est devenue une escale majeure des oiseaux migrateurs. La zone humide de Dongtan, à l'est, est quant à elle entièrement classée en réserve naturelle. Malgré cette appellation, censée la protéger, Dongtan est actuellement au centre d'un vaste projet urbaniste, l'un des projets censés servir de vitrine à la Chine moderne. «Nous avons été chargés par les autorités de Shanghai de la création de la première ville écologique chinoise», explique Dong Shanfeng, l'architecte en charge du projet Dongtan chez le groupe britannique Arup. «Nous voulons dire par là une ville dont le développement limitera les dégâts sur l'environnement, où nous utiliserons un minimum d'énergie et un minimum d'eau. Au stade actuel, il est notamment prévu que 100 % de l'énergie utilisée sera renouvelable, que la dépense énergétique des bâtiments sera le tiers de celui des édifices normaux.»

Dongtan prévoit ainsi d'être autosuffisante en matière d'énergie, de n'autoriser que les véhicules électriques dans son enceinte (les automobilistes devront garer leur voiture à l'entrée de la ville pour utiliser les transports en commun), de recycler la plupart de ses déchets. En 2010, sept à huit mille personnes vivront sur un espace de soixante-dix hectares, tandis que fin 2020, l'espace et le nombre d'habitants auront été multipliés par dix. Le projet prévoit également, sans que cela ait encore été approuvé par le gouvernement de Pékin, l'installation d'un demi-million de personnes sur 3.000 hectares d'ici à 2050. Les espaces naturels du reste de la zone de Dongtan (5.600 hectares) seront préservés.

La municipalité de Shanghai, dont Chongming est le seul district non urbain, a décidé ce plan d'aménagement afin, officiellement, de protéger la région contre l'imminent développement urbain: les autorités centrales ont en effet décidé la construction d'un pont de dix kilomètres et d'un tunnel de neuf kilomètres qui traverseront l'île afin de permettre aux automobilistes et aux camionneurs de circuler du nord au sud de la côte orientale du pays tout en évitant à la fois les villes de Hangzhou, de Nankin et de Shanghai.

Dès lors, les adeptes du tourisme vert se rendront avec leur propre véhicule en 1h30 sur l'île, alors que la longueur du trajet actuel - au moins 2h30 via un ferry, puis un taxi ou un bus - la maintient relativement à l'abri des flux de visiteurs.

Chose étrange, si ce dossier, destiné à la préservation de l'environnement et de la qualité de vie des riverains, a énormément fait parler de lui au niveau international, il semble demeurer totalement méconnu auprès des principaux intéressés. «Ah non, pas du tout, je n'ai jamais entendu parler de ce projet de ville ici», assure une jeune femme, qui se promène avec une de ses amies au milieu des roseaux et des marais, à la recherche de grues sauvages. Son de cloche identique auprès d'un chauffeur de taxi, totalement éberlué par cette nouvelle. «Comment ça des dizaines de milliers de personnes devraient vivre ici ? Ah non, personne ne m'a jamais parlé de ce projet !» Bizarre lorsque l'on sait que les chauffeurs de taxi récupèrent et répercutent bien souvent toutes les rumeurs locales... La réaction la plus surprenante provient sans doute des fonctionnaires de l'accueil du village touristique et écologique de Yindong, situé sur l'île elle-même et à quelques encablures du site de Dongtan. Eux non plus ne connaissent rien de cette future ville écologique. «Peut-être est-elle prévue à côté, dans la zone de développement. Cela ne nous concerne donc pas, notre village ne bougera pas.» Erreur: vu son emplacement, celui-ci sera soit intégré au projet global, soit sacrifié.

SIIC (Shanghai Industrial Investment Company), l'entité responsable du développement du dossier, détenue en majorité par la municipalité de Shanghai, ne semble pas réellement tenir à faire de publicité auprès des médias locaux, et donc de la population locale. Après avoir reçu les journalistes étrangers par dizaines à la fin de l'année dernière, elle a désormais décidé de fermer ses portes. «Nous ne donnerons pas d'entretien et vous devez donc prendre un taxi pour reprendre le ferry en direction de Shanghai immédiatement», affirme l'un de ses responsables, installé au Dongtan Business Center.

L'impression que quelque chose semble ne pas tourner rond dans cette affaire est confirmée par une brève discussion téléphonique avec le professeur Zhao Min, directeur de l'Institut d'urbanisme de l'université de Tongji, à Shanghai. Il avait déclaré à l'Agence France-Presse: «Je suis contre ce projet comme la plupart de mes collègues ici. Chongming a toujours été une île écologique, naturellement. Elle n'a pas besoin d'intervention humaine et de développement. Pourquoi avons-nous besoin de développer cette île quand il reste des terres à développer dans les districts de Pudong ou de Nanhui ?» Aujourd'hui, il se veut bien moins loquace: «Je n'accorde plus d'interview sur ce sujet et je ne connais personne qui peut en donner à l'université de Tongji.» Visiblement, les autorités ont fait pression sur l'urbaniste pour qu'il mette un terme à ses critiques. Serait-ce dû à l'état d'avancée des travaux ? En dehors de trois éoliennes, rien n'est en effet sorti de terre. Or, dans deux ans, sept à huit mille personnes sont censées y vivre. A moins que leur réaction et leur silence soient dus à des craintes que l'opinion publique, et en l'occurrence les riverains, s'y oppose ? Un tel cadre de vie, une cité propre et verte -à peu près l'opposé des adjectifs assimilables aux villes du pays-devrait en effet plaire aux plus riches Chinois. Et du coup empêcher les insulaires d'y vivre. «Pour éviter qu'une telle situation ne se réalise, nous avons prévu la construction de 30 % de logements abordables, dont le prix n'a pas encore été décidé», assure l'architecte d'Arup, Dong Shanfeng. «De toute manière, toutes les classes sociales devront être représentées afin de faire fonctionner l'île: il ne pourra y avoir que des cadres supérieurs !»

Reste à comprendre la signification de «logements abordables» lorsque l'on sait que, malgré sa connotation écologique, Dongtan demeure un projet immobilier ayant pour but de gagner de l'argent. Or, vu les investissements requis - le représentant d'Arup a juste précisé que la construction d'une telle ville coûterait plus cher qu'une ville normale -, il sera compliqué d'atteindre cet objectif avec des Chinois lambdas, le salaire mensuel moyen des Chinois urbains lors du premier trimestre 2007 atteignant 1.310 yuans (11.824 dinars).

Ce silence et ce refus de transparence demeurent quoi qu'il en soit l'un des usages des autorités locales en matière de gouvernance, notamment dans les questions environnementales. Il empêche Pékin de faire appliquer ses normes écologiques, de réagir rapidement face aux accidents, et de manière générale d'agir concrètement face à la désagrégation de l'environnement.

En effet, selon Pan Yue, l'un des vice-ministres de l'Administration d'Etat de protection de l'environnement, «il faudrait dépenser 79 milliards de francs pour nettoyer la pollution causée en 2004, soit 3 % du PIB de cette année. Mais des estimations plus réalistes placent ces dégâts environnementaux entre 8 % et 13 % du PIB chaque année, ce qui signifie que la Chine a quasiment perdu tout ce qu'elle a gagné depuis la fin des années 70 à cause de la pollution». Pour preuve, à défaut d'atteindre les objectifs nationaux - une réduction de 4 % de l'énergie utilisée par unité de PIB et de 2 % des émissions de polluants tous les ans -, les autorités de Shanghai ont voulu prouver leurs aspirations écologiques par la création de ce village Potemkine.

Dix autres petits frères sont d'ailleurs planifiés dans le reste du pays, dont quatre sont également développés par Arup. De jolies vitrines qui, à défaut d'aider la Chine à réduire ses dépenses énergétiques, devraient rapporter beaucoup à leurs promoteurs et développeurs.




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