Publié le 31.10.2024 dans le Quotidien l’Expression
Participer à des faits d'armes en pleine révolution et alors que l'on a tout juste quinze ans, c'est là le fabuleux destin de Rachid Ferrahi, acteur et témoin de la bataille d'Alger.
Né à Kouba, Alger, un 12 décembre 1941, il était déjà dans le feu de l'action en 1956-57. À peine sorti de l'enfance, il s'enrôla naturellement dans les rangs des combattants de la Zone autonome, entouré qu'il était par des moudjahidine de la première heure mais, et surtout, par ses proches parents dont son propre père, avec qui il partagera plus tard les affres de la détention. C'est au coeur même du quartier européen, dans la proche banlieue est de la capitale, que tout a commencé pour le jeune fidai. Le domicile familial, sis au 23, rue Jean-Jaurès, actuellement rue Rabah-Bahidj, à Hussein Dey, était l'écrin de son éveil patriotique. «Notre maison faisait office de PC de la 1re RM, avec à sa tête Bencherif Omar (El Hadj Omar). À cet endroit, nous étions les seuls ‘'Arabes'' à habiter ce quartier français par excellence», rappelle-t-il en ajoutant: «J'avais l'avantage d'avoir un cousin, Benchiha Ahmed, un grand fidai puis martyr de la Zone autonome. Il était l'auteur du grand attentat de la rue des Fusillés et du nom duquel la place de Chéraga a été baptisée. C'est grâce à lui que j'ai pu intégrer l'ALN-FLN. Tout a commencé à la maison qui servait de refuge et de siège aux responsables, à l'instar d'El Hadj Omar, Khelifa Boukhalfa, Dahmane Touimer, Said Bakel et Ali Moulai. Tous étaient réfugiés chez nous, au tout début de la grève des huit jours» évoque-t-il en poursuivant: «C'est à la faveur de ce concours de circonstances que j'ai pu activer.» C'est donc nourri à la source et inspiré par ces hommes de grande valeur qu'il porta sur ses frêles épaules de lourdes responsabilités.
Contrairement à ses camarades, il participa très tôt à des actions militaires et à des opérations commandos dans l'Algérois, alors Zone autonome sous la direction de Yacef Saadi, auquel il voue un grand respect: «Yacef Saadi était le grand paron. C'était un chef, un grand Monsieur», déclare-t-il. À écouter le récit de Rachid Ferrahi, «les évènements» n'ont pas pris une ride. Il s'en souvient comme si cela datait d'hier. Son champs d'action était la Zone autonome d'Alger, dont quelques lieux, notamment le Commissariat central et autres ruelles racontent des face-à-face mémorables avec l'ennemi. Il raconte comment il a pu déjouer la vigilance d'un officier dans un barrage alors qu'il était à bord de son scooter avec une passagère du nom de Ghania Belkaid.
«Alors, les amoureux on part à la plage?» questionnait l'officier qui reçut comme seule réponse «Oui!» laissant ainsi passer le véhicule à deux roues qui transportait pourtant une bombe. «J'ai pu déposer l'engin explosif en face du Commissariat central», relate Rachid Ferrahi qui précise que son intention première était de déposer le scooter piégé sur le parvis du même commissariat. Dans tous les cas, sa mission fut accomplie avec succès. À la grande surprise des Français et au coeur même du beau quartier colonial, Rachid Ferrahi et son père furent tous deux arrêtés, en plein été, un 6 août 1957. Si Ferrahi père n'a écopé que de six mois d'emprisonnement, Ferrahi fils a été déféré devant le juge en 1959 et frappé de trois condamnations. La première pour association de malfaiteurs, avec une peine de 10 ans de prison, la deuxième pour tentative d'assassinat avec une peine de 20 ans de prison et la troisième pour tentative d'assassinat avec une peine de 20 ans de prison, suite à sa première action à l'explosif. Ces lourdes condamnations tombaient alors qu'il n'avait que quinze ans et demi. Un record à l'époque, ce qui fit de Rachid Ferrahi le plus jeune fidai arrêté en Algérie, alors qu'il était à peine sorti de l'école primaire d'Hussein Dey. Notons que le juge avait au préalable demandé lors du procès: «Quelle peine encourt-il pour ce qu'il a fait?» Et le procureur de répondre sur un air sarcastique: «Il ne peut échapper à la guillotine.» Et Rachid Ferrahi de commenter cet épisode en relatant: «J'ai été arrêté à l'âge de quinze ans, j'étais alors mineur de moins de seize ans. J'ai échappé à la peine capitale par rapport à mon âge.» Rachid Ferrahi a été jugé, puis condamné pour ensuite être convoyé à la prison de Maison Carrée (El-Harrach) où il a rencontré nombre de compatriotes. «Dans cette prison, nous étions près de 3 000 détenus», rappelle-t-il, en renvoyant également à son séjour à Barberousse (Serkadji) dont les geôles comptaient une cellule spéciale mineurs ou «salle des gosses».
À l'évocation de cette ancienne prison de haute sécurité, construite à Alger durant la colonisation française, Rachid Ferrahi ne peut occulter des noms mythiques qui en ont hanté l'enceinte. Il citera Boudjemâa Saadi, El Badji, Grid Boualem dit Boualem Miki, Said Messakh, Madjid Bounefouf ou Mouloud Bouriche qui «étaient condamnés à mort et faisaient tous partie du même groupe. Les six étaient isolés dans des cellules spéciales, en bas», se remémore-t-il tout en rendant hommage à son père qui écopa de six ans de prison tout en étant victime de la torture dans le secret des murs de l'école Sarrouy, à Soustara, celle-là même qui vit mourir sous la même ignoble pratique la chahida Ourida Meddad. «Mon père a été relâché au bout de six mois de prison», fait-il savoir, non sans s'arrêter sur les atrocités de l'ère coloniale: «Des choses inimaginables ont été commises contre le peuple algérien. «Des choses qui dépassent l'entendement», et d'invoquer une citation du moudjahid
Ali Moulay: «L'histoire est un plat qui se mange cru.» Le 2 mai 1962, Rachid Ferrahi était libre. Il respirait à pleins poumons l'air de la liberté immédiatement après le 19 mars.
«J'avais la vingtaine à peine dépassée. J'étais empli d'une joie et d'une fierté infinies, alors que la liesse populaire était aux portes.» «Mes parents étaient à Larbâa; en me voyant arriver, ma mère qui m'ouvrit la porte, tout en m'appelant haletante Rachid! Rachid! s'est évanouie au seuil de la porte.». Invité à s'exprimer sur le legs révolutionnaire et le message de Novembre, Rachid Ferrahi dit ressentir un grand espoir, surtout que «la relève est là». «Il n'y a pas que laâraya et la drogue dans la société, bien au contraire, car il y a une génération montante, valeureuse et porteuse d'espoir.
La relève est bien là. Il y a de l'espoir.» L'avenir lui appartient pourvu qu'elle s'arme de l'esprit de sacrifice qui a été à l'origine de l'épopée révolutionnaire, conclut, modeste, Rachid Ferrahi qui insiste sur l'indispensable rigueur et objectivité dans la narration des faits historiques relatifs à la guerre de Libération nationale, tout en faisant preuve de retenue et en s'écartant des dérives de l'exagération fantaisiste.
Salim BENALIA
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Posté Le : 02/11/2024
Posté par : rachids