Algérie

Jérôme Ferrari. prix Goncourt 2012 : une saga corse Arts et lettres : les autres articles



Jérôme Ferrari. prix Goncourt 2012 : une saga corse                                    Arts et lettres : les autres articles
Comme dans son premier roman, une présence marquée de l'Algérie.
Jérôme Ferrari vient d'obtenir le prix Goncourt, la plus grande des distinctions littéraires en France. C'est un auteur qui s'est fait remarquer, il y a deux ans, pour son excellent roman, Où j'ai laissé mon âme, qui racontait notamment l'exécution de Larbi Ben M'hidi. Sa rencontre avec la terre algérienne, à travers son expérience de professeur de philosophie au lycée international d'Alger, lui a laissé des souvenirs impérissables. Il y a animé des ateliers d'écriture, pour permettre à des jeunes Algériens de pénétrer les arcanes du monde de l'écrit. Cette aventure enrichissante lui fait dire : «A la vérité, ils ont fait plus que m'apprendre quelque chose, ils m'ont offert ce que je n'aurais jamais pu désirer, ils m'ont transformé et rien de ce que j'ai écrit plus tard n'aurait pu l'être sans eux». L'influence de la terre algérienne et de sa longue histoire apparaissent dans son nouveau roman, Le Sermon sur la chute de Rome*.
Ce sermon qui s'apparente à une oraison funèbre, sonnant le glas de l'Empire romain, a été prononcé par Saint Augustin dans l'église d'Hippone, l'antique Annaba. L'Algérie est donc omniprésente comme source de l'Histoire de la Méditerranée, et comme lieu où se jouent des intrigues amoureuses passées à la postérité. Aurélie, qui appartient à la grande famille corse des Antonetti, va l'apprendre à ses dépens. Elle devient, sous la plume de Jérôme Ferrari, une sorte de réincarnation moderne de la figure tragique de Sophonisbe, aimée du roi Massinissa. En accompagnant une mission archéologique à Annaba, Aurélie tombe sous le charme de Massinissa Guermat, nom de personnage identique, à une lettre près, à celui de Massinisa Guermah, dont la mort en 2001 mit le feu aux poudres en Kabylie.
Le charme opère entre eux, mais leur amour se heurte à l'incompréhension d'un pays qui vit alors sous couvre-feu et une diplomatie française tatillonne, refusant un visa d'entrée en France à l'Algérien. Aurélie interprète ce refus avec colère et ironie : «Il était docteur en archéologie, il était titulaire d'un poste à l'université d'Alger, croyait-on que sa situation était insatisfaisante au point qu'il rêvât de l'abandonner pour avoir l'honneur de travailler au noir sur un chantier français '»
Cet extrait exprime bien l'état d'esprit consulaire qui préside aux traitements des demandes de visa. Aurélie, qui descend de la lignée de Marcel Antonetti, un patriarche qui a travaillé dans les colonies en Afrique de l'Ouest et en Algérie, a été de toutes les aventures et des vicissitudes du XXe siècle. Sa santé fragile ne lui a jamais permis d'aller au bout de ses rêves et d'entrer à l'Ecole normale supérieure. Mais, il trouve satisfaction à sa vocation à travers ses petits-enfants avec une préférence pour Aurélie. Sa relation avec son petit fils, Matthieu, était par contre tumultueuse et celui-ci ne trouvera grâce à ses yeux que le jour où il décidera de reprendre la gérance du bar du village.
En effet, Matthieu et son ami Libero étaient destinés à une carrière de philosophes après de brillantes études à Paris. Mais les atavismes de l'île de la Beauté prennent le dessus sur la rationalité des penseurs allemands. Le bar de Marie-Angèle ne trouvant pas un gérant à la hauteur, capable de maintenir une activité d'utilité sociale dans le village ancestral, les deux amis décident de le faire renaître et de mettre entre parenthèses une carrière philosophique incertaine. Les parents de Matthieu refusent catégoriquement de lui avancer la somme nécessaire à l'achat de sa part de bail. C'est son grand père Marcel qui le financera, contre toute attente, au vu des relations déplorables qu'ils entretenaient.
En une saison, le bar renaît de ses cendres en devenant, un haut lieu de socialisation et un repère très couru par les chasseurs et les touristes. Ceux qui aiment l'histoire littéraire peuvent supposer que Mathieu et Libero sont des sortes de Bouvard et Pécuchet, personnages de Flaubert qui ont presque réussi. L'engagement de quatre serveuses très affables optimise les recettes du bar pour le rendre florissant. Mais, comme dans l'histoire de l'Empire Romain, la décadence guette, tapie dans l'ombre des travers humains. Annie, caissière attitrée du bar, est confondue, piochant dans les recettes.
Renvoyée, elle entraîne dans sa déchéance la chute du commerce. Mathieu avait trouvé du réconfort dans les bras de l'une des serveuses, la basque Izaskun, mais elle le quitte pour Pierre Emmanuel, musicien fétiche du bar et ancien amant d'Annie. Libero qui s'ennuyait dans le bar, s'enlise dans une sorte d'impasse épistémologique, commet l'irréparable en voulant sauver ce musicien des mains d'un homme humilié. La venue de Judith Haller, agrégée de philosophie et premier amour de Mathieu sur l'île de Beauté, n'arrange pas les choses pour lui. Cette rencontre le replonge dans les méandres de l'aridité de certains concepts philosophiques que Jérôme Ferrari maîtrise parfaitement pour les avoir étudiés et enseignés.
Mathieu comprend rapidement que la rupture avec cet univers de réflexion est définitivement consommée. Ce spleen insulaire est aggravé par la maladie de son père et de son grand-père. A travers cette histoire familiale corse, Jérôme Ferrari a réussi un roman méditerranéen, dans lequel tous les peuples riverains vont se reconnaître. Il prouve ainsi que l'ailleurs n'est pas dépaysant mais juste universel.
Jérôme Ferrari, Le sermon sur la chute de Rome, Actes Sud, 2012.


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