Algérie

Jean Sénac, l’homme-charnière



Jean Sénac, l’homme-charnière
L’Algérie et la France redécouvrent aujourd’hui cet homme de liberté qu’elles ont l’une et l’autre renié au moment de la décolonisation. Les Marseillais pourront voir le 6 novembre, en avant–première, le film qu’Abdelkrim Bahloul vient de lui consacrer.

En 1973, peu de temps après avoir pris, officiellement, la nationalité algérienne, le poète Jean Sénac a été assassiné dans des circonstances restées mystérieuses. Un crime “ à la Pasolini ”, qu’on a essayé de faire passer pour une affaire de mœurs, mais qui avait en réalité une forte coloration politique. Car l’homme était gênant. Les Français ne lui pardonnaient pas d’avoir été membre du FLN pendant la guerre d’indépendance. Et les Algériens supportaient mal ses positions très critiques à l’égard du système bureautique en place. On enterra son œuvre et ses idées presque aussi vite que son corps.
Trente ans plus tard, on s’aperçoit que cet homme qui garda jusqu’à la fin l’Algérie au cœur, constitue - tout comme Taos Amrouche- une indispensable charnière dans les rapports intellectuels franco–algériens. Grâce aux éditions Actes Sud, ses œuvres sont aujourd’hui rééditées. Et tandis que le cinéaste algérien Abdelkrim Bahloul lui consacre un film - présenté en avant-première, le 6 novembre, à Marseille - Emile Témime et Nicole Tucelli viennent pour leur part de publier une biographie intitulée Jean Sénac, l’Algérien.
L’historien, qui sera présent au cours de cette soirée, explique ainsi son intérêt : “ Je ne connaissais pas le personnage avant de plonger dans les archives déposées par son fils adoptif à Marseille. Il m’a tout de suite accroché. ” Les rapports de Sénac avec Camus, considéré comme un père spirituel, ont particulièrement frappé Emile Témime, d’autant qu’ils se terminent par une rupture douloureuse, provoquée par des prises de position divergentes au moment du conflit.
Pour Abdelkrim Bahloul, le personnage de Sénac a une autre résonance : “Dix ans après l’indépendance, on pouvait penser que tout était possible en Algérie.” explique-t-il “On croyait encore, du moins dans la jeunesse, que la liberté serait totale dans un pays neuf. L’assassinat de Sénac a été un signal d’alarme. ”
“Cette histoire, poursuit-il, contient en elle tous les signes avant-coureurs de ce qui se passe aujourd’hui en Algérie. Sénac qui défendait sa différence d’Algérien d’origine européenne, catholique, ne parlant que le français, et sa dignité d’homosexuel, savait qu’en agissant ainsi, il aidait les Algériens à préserver leurs propres différences, leur propre liberté. ”
“Une nuit d’août 1973, conclut Bahloul, Sénac a été assassiné. J’étais jeune à l’époque, étudiant à Paris, avec une bourse française, et j’ai été submergé par la honte de ce qui se faisait dans mon pays, comme je suis effaré et endeuillé par la lutte fratricide qui y dure depuis 1991. De cette honte et de cette impuissance, j’ai essayé de faire un film. Un film où l’humour de la jeunesse affronte la tragédie. Un film ensoleillé. Parce qu’on ne peut pas assassiner le soleil. ”


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