Algérie

Jean Massebeouf, médecin du corps et du coeur



Tout le monde médical le qualifie de visionnaire de la santé publique. Le docteur Masseboeuf, Jean pour les intimes, s'est voué corps et âme pour instaurer la médecine sociale et du travail en Algérie.Cet Algérien de coeur et d'adoption a pris un engagement envers la guerre de Libération, puis pour l'Algérie post-indépendante. Un hommage lui a été rendu récemment, coïncidant avec le trente-et-unième anniversaire de sa mort, par la communauté médicale de Constantine au siège de la CNAS. Cette «1re Journée Masseboeuf» n'était en réalité qu'une succession de témoignages apportés par les amis et les collègues du médecin. «Avec le temps, je réalise qu'il était un penseur et qui nous incitait à la réflexion sur notre pays, c'est ce qui nous rattachait à lui», a confié le Pr Djamel Zoughaileche.De l'avis général, son engagement révolutionnaire n'a d'égal que son investissement professionnel. «Son empreinte est indélébile sur la santé en Algérie», confie le Pr Salima Nezzal. Né le 14 décembre 1908 à la Rochelle (France), Jean Masseboeuf aurait pu faire sa médecine dans son pays natal. La vie qui lui réservait un grand destin le conduit en Algérie pour intégrer la Faculté d'Alger et décrocher un diplôme en bactériologie-hygiène en 1933. Après son service militaire, il aurait pu choisir de rentrer en métropole et y exercer sa profession.Mais non ! Il s'installera en tant que médecin privé à Ténès dans l'Algérois. «Un homme de conscience, de convictions, d'engagements, de très grande culture? un humaniste», témoignera le Pr Aberkane qui l'a connu en 1968. Un engagement qui prendra effet dans la politique quand il adhéra au Parti communiste algérien (PCA) en 1994, à la veille du débarquement des Alliés sur les côtes de la Normandie en France. Débarquement qui mettra fin aux velléités nazies de mettre un joug sur l'Europe et le reste du monde et auquel il participera.La médaille d'argent du service de santé de l'armée lui sera décernée. Là encore, son attachement à cette terre sur l'autre rive de la Méditerranée prendra le dessus. Il y reviendra pour accomplir d'autres missions. Son mérite lui a ainsi valu la vice-présidence du Front démocratique algérien, composé du MTLD-Ouléma-UDMA et PCA. «Mon engagement révolutionnaire a découlé de la logique de mon engagement professionnel», s'est-il défini, selon son confrère Zoughaïleche.Quand le PCA fut interdit, Jean Masseboeuf, avec ses camarades, entra dans la clandestinité. Ce fervent partisan de l'Algérie indépendante sera arrêté en 1956 et condamné à 20 ans de prison. Il sera libéré en 1962. Dans sa cellule à la prison d'Orléansville, il croisa le chemin de l'un des plus authentiques militants de la cause nationale, Mohamed Saïd Mazouzi.Le plus ancien détenu (condamné à la perpétuité par la justice coloniale, il passa 17 ans en geôle) aura une influence non négligeable sur Jean Masseboeuf. Selon les témoignages, cette rencontre, même dans des conditions peu réjouissantes comme peuvent l'être celles de toute détention, était déterminante dans la suite du combat du Dr Masseboeuf. Croyant ferme en la justesse de la cause algérienne, il ira jusqu'à refuser de faire appel de sa condamnation. «Il n'a pas voulu faire cassation quand il a écopé d'une condamnation à 20 ans de travaux forcés, parce qu'il se considérait à part égale avec tout autre militant du FLN... Il en était tout heureux», selon Mohamed Saïd Mazouzi, rapportera-t-on.Un visionnaireIl obtiendra la nationalité algérienne à la fin de l'année 1963 et sera nommé à la tête de la Direction de la santé (DDS). Dès lors, ses priorités prendront une autre tournure, celle de mettre à exécution sa vision de la santé. «Mon effort ne sera pas vain», avait-il déclaré. A l'aune de l'indépendance, le système de santé en Algérie n'est pas efficient ni sur la bonne trajectoire.Le nombre de médecins algériens se comptait sur les doigts d'une seule main. Pour faire fonctionner les hôpitaux et les polycliniques, il y a recours aux accords de coopération pour bénéficier des services de médecins occidentaux. Face aux idéaux, la réalité s'impose. Convaincu que la santé est un accompagnement de l'être humain depuis sa naissance jusqu'à sa mort, avec la meilleure prise en charge, le Dr Masseboeuf comblera les failles de ce secteur.Avec son équipe réduite, il mettra en place le système de la sécurité sociale, puis la médecine du travail. Ses valeurs d'avant-gardiste l'incitent à accorder un intérêt majeur à l'être humain. «Une approche qui correspond au besoin de l'humain et des systèmes qui le prennent en charge. Il parlait énormément de médecine sociale, préventive ou médecine intégrée et comment il fallait améliorer la santé publique», selon le Pr Zoughaïleche. La santé, selon Masseboeuf, «est une occupation quotidienne et continue». Au préalable, il instaura l'éthique de la santé.Un projet né au forceps puisque dans toute entreprise innovante, susceptible de bouleverser les habitudes, il y a eu une levée de boucliers. Mais il fallait compter sans la ténacité, la persévérance et surtout la croyance en la justesse de ses actions. Ses premiers exploits interviendront dans le sillage de la réforme de l'enseignement supérieur, département tenu en ce début de 1971 par le défunt Mohamed Seddik Benyahia, mort dans un accident d'avion en 1982. La création du département de médecine du travail et département de santé sociale se fera en 1975. Une consécration de son dévouement, mais pas une fin en soi.Le Dr Massebeouf continuera d'assurer son sacerdoce jusqu'au bout. «En dépit de ses soucis de santé, il continuait à travailler, c'était le premier venu et le dernier parti», témoignera, très émue, le Pr Nezzal. Il était précurseur. «Jean a cherché des moyens pour une meilleure prise en charge. Selon lui, l'innovation des pratiques induit l'amélioration de la santé». Et de joindre le geste à la parole en mettant en place un service épidémiologique de la médecine préventive. «C'est un visionnaire qui a compris que nous ne devions pas nous contenter d'un rôle technique, mais nous ouvrir à la discipline de santé publique.J'insiste sur le fait qu'il était un érudit, très cultivé, on ne peut pas lui rendre hommage sans parler de ce qui définit le médecin, c'est-à-dire l'éthique. Rendre hommage à l'humaniste au sens profond et noble. Sa compassion et son abnégation, on les retrouve dans ses écrits, dans ses faits et gestes et dans son attachement à notre pays et sa révolution, et il nous les a transmis par la pratique. Etre médecin dans son cas, c'est donner de son temps et de sa personne, médecin du corps et du coeur», affirme Zoughaïleche.Foncièrement humainLa municipalité du Khroub a baptisé le centre communautaire de santé du nom de Masseboeuf. Un geste de reconnaissance de son dévouement que le maire et ami, Abdelhamid Aberkane, a voulu immortaliser. «C'était un homme de rupture, de convictions et un symbole d'exemplarité», soutiendra-t-il.Et de revenir sur leur rencontre en 1968 au niveau du service de la médecine interne de l'hôpital de Constantine. Le jeune praticien finira, au bout d'une semaine, par laisser tomber son poste à la Casorec (actuelle Casnos) pour rejoindre l'équipe du Dr Masseboeuf. Et ce fut une longue vie d'amitié et de collégialité. «Accepter cette mission correspond à son histoire et ses engagements, on se souvient de cette époque avec émotion où les idéaux dépassaient la réalité.L'époque était favorable et propice aux réformes. Même des praticiens privés sont venus lui prêter main forte. Il était dans une trajectoire que l'on appelle de nos jours un projet. C'était un esprit révolutionnaire, il aspirait à un système de protection et de solidarité», se remémore le Pr Aberkane, qui reviendra sur les innombrables anicroches qui ont jalonné l'introduction de la sécurité sociale. «J'ai été formé à la lutte», dira le concerné, comme pour afficher sa détermination à mener ce projet à terme.Jean Masseboeuf s'est éteint le 24 avril 1985. «J'ai accouru à son chevet dans son dernier souffle et je l'ai trouvé entouré de tous ses amis», indique sa fille, Amel, médecin de son état, à travers une projection vidéo de 30 mn, diffusée en la circonstance. Le Dr Masseboeuf, cet Algérien, repose au cimetière de Constantine, dans cette terre qu'il a tant aimée et qui le lui rend bien.




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