Le cabinet KPMG Algérie, installé depuis
2002, détient un portefeuille clients d'environ 80 entreprises. Il a
aujourd'hui le recul suffisant pour parler du climat d'affaires dans le pays.
Son PDG, Jean-Marie Pinel commente pour nous les récentes modifications à la
législation relative au commerce extérieur et aux investissements étrangers.
Il nous explique que lorsque la
communication (officielle) fait défaut, les décisions de l'Algérie peuvent être
perçues de manière assez caricaturale.
Dans l'introduction du «Guide investir en
Algérie – 2010» de KPMG, il est écrit que vous ne pouvez garantir que les
informations fournies «seront toujours exactes à une date ultérieure». Cette
mise en garde est-elle due à l'instabilité de la législation algérienne ?
Jean-Marie Pinel : Pas du tout. Nous
disons cela dans tous nos guides, parce que le législateur, algérien ou autre,
adapte toujours ses lois au marché et aux besoins du pays. Le même guide que
vous pourriez lire en France est toujours à jour le 1er Mai. C'est-à-dire, qu'à
cette date, nous nous engageons que les informations sont exactes, mais nous ne
pouvons garantir qu'il n'y aura pas de modifications après cela. Donc, quel que
soit le pays, nous mettons toujours cette mention.
Comment percevez-vous les changements
apportés en matière d'investissements, depuis la LFC 2009, et qu'en disent
aussi vos clients ?
JMP : Franchement, concernant les raisons
avancées par les pouvoirs publics algériens pour expliquer ces changements, à
savoir que l'Etat veut réduire les dépenses d'importations, nous les partageons
à peu près à 100%. La réponse a été de rendre plus difficile le commerce pour
favoriser l'industrie. Cependant, ce n'est pas la faute aux commerçants. Le
montant des importations suit à peu près la rente pétrolière qui est mise sur
le circuit économique. Je comprends la logique qui veut réduire les importations
financées par les recettes pétrolières. Ce que je comprends moins, c'est que
75% du budget 2010 est financé par la rente pétrolière. C'est de l'argent qu'on
met sur la table, et si vous n'avez pas en face les entreprises, en raison des
contraintes qui empêchent la fluidité de création d'entités et leur
développement, la seule réponse reste l'importation.
Imposer le Credoc y compris pour les
entreprises de production était-ce la bonne réponse ?
JMP : En effet, l'entreprise algérienne
industrielle est assez fragile pour ne pas lui en rajouter encore.
Beaucoup pensent que l'exigence d'un
partenariat 51-49% en faveur de la partie algérienne dans tout projet
d'investissement étranger est un obstacle, notamment lorsqu'il s'agit d'un
apport de savoir-faire.
JMP : Si vous me demandez d'investir dans
une industrie qui utiliserait des produits pétroliers dont le coût est
inférieur aux cours mondiaux, je crois que personne ne refusera même à une
participation très minoritaire. Je pense qu'il faut essayer de trouver avec les
entreprises étrangères le moyen de leur faire partager le savoir-faire qu'ils
détiennent. Est-ce qu'il existe une solution unique qui serait le 51-49% ? Je
n'en suis pas sûr. Il y a peut-être des cas où l'Etat algérien devrait accepter
de donner plus au partenaire étranger qui ramènerait de la haute technologie
qui serait justement la plus-value dont bénéficierait l'Algérie. Mais il est
certain que la partie incorporelle (savoir-faire) est plus importante que la
partie matérielle (niveau d'actionnariat). Par contre, s'il s'agit d'une simple
chaîne de fabrication 51% (pour la partie algérienne) serait peut-être
insuffisant. En fait, tout dépend de la nature du projet.
Il y a, par contre, d'autres freins à l'investissement qui
tiennent plus aux formalités et lourdeurs administratives, ainsi que les
problèmes de relations avec les banques publiques. Il y a des pays qui ont
parfaitement réussi à instaurer une administration efficace tout en n'étant pas
pesante. La difficulté de la création industrielle vient peut-être de cela.
L'industrie algérienne se développera peut être plus dans les hautes
technologies et le savoir-faire que dans les métiers de base.
Quelles sont les plus fréquentes
questions que vous posent vos clients qui souhaitent s'installer en Algérie ?
JMP : Les investisseurs potentiels
veulent êtres sûrs qu'ils pourront rapatrier leurs dividendes. L'Algérie est
parfaitement claire là-dessus, il y a des contrôles, il y a des difficultés,
mais il n'y aura pas d'opposition pour le rapatriement. Il y a aussi les
questions relatives au foncier, à l'informel, à la formation, et le secteur
bancaire.
Quelle est la nature des difficultés pour
le rapatriement ?
JMP : Quand il y a une communication
assez sommaire, ce qui arrive souvent, à l'étranger c'est perçu de manière très
caricaturale. Souvent à l'étranger on dit qu'on ne peut pas rapatrier les
dividendes. Même à l'intérieur de notre Groupe j'ai entendu dire cela. Je leur
dis non, il y a certes des formalités de contrôle qui sont lentes, mais les dividendes
légitimes peuvent êtres rapatriés. Il n'y aucune opposition de principe.
Cette lenteur n'est-elle pas
préjudiciable aussi ?
JMP : Tout ce qui ralentit est
préjudiciable, mais vous avez quand même un marché qui est porteur. Mais la
question qu'il faut se poser c'est qu'en Algérie n'est-il pas plus facile de
vendre que de créer une entreprise industrielle ?
Est-ce le cas ?
JMP : Dans un passé récent ça l'était.
Mais, aujourd'hui, nous manquons de recul pour le constater depuis les
nouvelles mesures introduites par la LFC 2009. Quand vous voyez que les droits
de douane diminuaient continuellement, pourquoi venir investir dans la
production, former du personnel, affronter les difficultés liées à toute
industrie, alors qu'il est plus facile de vendre. Donc les restrictions à
l'importation ont au moins permis de se poser des questions. Je pense que
l'effort à faire c'est de faciliter l'installation des industries.
La difficulté de trouver des compétences
algériennes n'est pas posée ?
JMP : Si on veut trouver des gens formés
aux méthodes occidentales et qui ont 35 ans, je dirais que c'est un peu
difficile. Mais si l'entreprise accepte de former, elle n'aura pas de
difficultés parce que les jeunes diplômés algériens ne demandent qu'une chose,
c'est d'apprendre.
Y a-t-il des questions d'ordre
sécuritaire ?
JMP : Très franchement je n'entends plus
parler de cela. Il y a quand même des pays bien plus risqués. Regardez la ligne
aérienne ouverte récemment par Aigle Azur entre Paris-Baghdad, il y avait quand
même 110 personnes à bord dont une cinquantaine de chefs d'entreprises.
Comment évolue KPMG Algérie depuis sa
création en 2002 ?
JMP : En fait, notre premier contrat a
été signé en 1998 avec une holding mécanique, dans lequel nous nous étions
également engagés à créer KPMG Algérie. Ce qui a été fait en 2002. Nous avons
eu un départ difficile. Mais à partir de 2004 qui correspondait aussi à une
embellie économique de l'Algérie, nous avions mis le paquet et KPMG s'est bien
développée. Il y a eu un ralentissement avec la crise économique mondiale, mais
je pense que ça va repartir. On sait aussi que les lois sont mises en place et
auxquelles nous nous adaptons parfaitement. On sait aussi que ça n'ira pas plus
loin.
Vous comptez combien d'Algériens parmi
vos effectifs ?
JMP : Nous avons démarré avec 75%
d'étrangers, et nous sommes actuellement plus de 90% d'effectifs algériens. Ces
professionnels sont appréciés puisque nous faisons maintenant régulièrement des
missions en Afrique sub-saharienne à partir d'Alger malgré la présence dans ces
pays de bureaux KPMG. Franchement, on n'avait pas espéré aller aussi loin,
aussi rapidement. Et au printemps prochain, on sera probablement deux étrangers
sur une centaine de personnes. On avait également décidé, au lancement du
cabinet, donc bien avant la LFC 2009 prévoyant les 51-49%, que les
collaborateurs algériens seront associés au capital de KPMG Algérie à hauteur
de 50%, pas parce qu'ils sont algériens, mais parce que ça se passe comme ça
chez KPMG partout dans le monde. Pour l'instant il n'y a que trois associés
algériens, alors qu'à terme nous prévoyons qu'il y en ait 25 ou 30. Pour être
associé au capital il faut avoir au moins 10 ans chez KPMG. Un associé c'est
quelqu'un qui dirige tout un portefeuille. Tout ça va se faire dans le temps,
avec la montée en puissance de l'expérience et de la compétence. Chaque année
il y aura 2 ou 3 associés qui seront nommés, parce qu'ils ont des
responsabilités auxquelles doit correspondre une association.
Comment a évolué votre portefeuille
clients ?
JMP : Il faut savoir qu'aucune des
grandes entreprises du monde n'est auditée par un autre cabinet que les «big
four» (les 4 grands cabinets d'audit : KPMG, Ernst & Young, Deloitte, Price
Water House Coopers). Tout simplement parce que ces entreprises ont besoin
d'argent, que leurs actions en Bourse soient de mieux en mieux cotées, et que
malgré tous les défauts que nous pouvons avoir, la communauté internationale
nous fait confiance.
Ensuite il y a un problème technique. Quand vous avez des sociétés
qui sont présentes dans 90 pays, et qu'elles doivent, pour montrer la maitrise
de l'information financière, publier leurs comptes très rapidement,
c'est-à-dire un mois et demi après la date de clôture. Et les «big four»
répondent parfaitement à ces exigences.
Pour revenir à votre question, nos premiers clients ont été les
compagnies internationales présentes en Algérie (qui représentent 90%), et des
entreprises privées algériennes (tous secteurs confondus) dont le capital n'est
pas détenu par des étrangers. En tout, ça donne environ 80 entreprises. Nous
avons aussi participé à des études d'évaluation d'entreprises publiques, dans
le cadre des privatisations. Avec les entreprises publiques, dont les banques,
nous travaillons aussi dans le cadre des appels d'offres.
Les sociétés privées algériennes
ont-elles peur d'entrer en Bourse ?
JMP : L'entrée en Bourse c'est pour avoir
des capitaux. Mais jusqu'à maintenant, y a-t-il tellement d'entreprises qui ont
besoin d'entrer en Bourse ? D'autant qu'il faut qu'elles soient de tailles
suffisantes, sinon elles sont vulnérables et ça devient risqué pour les
souscripteurs. Ensuite il faut qu'elles aient besoins de financement, et il y a
d'autres solutions pour cela que la Bourse, notamment le recours au marché
obligataire. Le choix de l'une ou de l'autre des solutions dépend de la
rentabilité financière, car une fois en Bourse, une entreprise est obligée de
distribuer des dividendes. Je pense que la règle des 51-49% de participation
des étrangers va aider l'introduction en Bourse des entreprises de droit
algérien.
La nature familiale de l'entreprise
privée est-elle un frein à l'entrée en Bourse ?
JMP : Je ne pense pas. Parce que dans
tous les pays du monde les entreprises ont été, à leur début, des entités
familiales. Il y a beaucoup d'entreprises familiales en Europe qui sont en
Bourse. En France, les sociétés qui appliquent strictement les règles de la
«corporate gouvernance» sont toutes cotées en Bourse (CAC 40). Les sociétés qui
appliquent plus ou moins bien ces règles, sont ceux dont la partie en Bourse
est proche des 50%. Et puis vous avez des entreprises qui n'appliquent pas ces
règles parce qu'elles ont en Bourse 15 à 20% uniquement de leur capital, parce
qu'elles font moins appel au marché financier et, donc, elles subissent moins
son influence. Appliquer les règles de corporate gouvernance veut dire mettre
dans le conseil d'administration des gens de divers horizons en tant
qu'actionnaires, assurer un minimum d'information détaillées, nommer un comité
pour nommer les administrateurs, ou fixer la rémunération du PDG… etc.
On peut comprendre qu'un patron qui
détient la totalité du pouvoir ne veuille pas en déléguer une partie. Mais
d'autres le font et leurs entreprises se portent très bien.
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Posté Le : 09/11/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abdelkader Zahar
Source : www.lequotidien-oran.com