Algérie

Je veux avoir mes droits avant de mourir



«Qu'on me donne ce qu'on peut ! Je me contenterais du peu. Mais je veux toucher mon droit avant de mourir. Je ne suis pas opportuniste mais je veux juste savoir que mon droit ne s'est pas évaporé. J'étais blessé pour cette Algérie. Je suis victime civile de la Guerre de Libération nationale.»Salah Lounadi a, aujourd'hui un siècle et 7 mois. Il a soufflé sa centième bougie le 18 avril 2018. Il est encore lucide, conscient, sa mémoire est intacte. Mais surtout, sa déception est énorme. Il tenu à nous recevoir. Il est 11h. Nous arrivons chez lui, à Birkhadem (Alger). Assis sur son fauteuil, les yeux derrière des lunettes aux verres épais.
Mais son ouïe est peu performante. Il se presse de nous raconter avec des détails et des précisions comment il faisait passer des courriers entre les moudjahidine. Des détails bien précis, tout est encore intact dans sa mémoire. Avec des noms de personnes, des noms de lieux, il ne se lasse pas de dire et redire des phrases complètes, bien intactes, qui se disaient entre «compatriotes». Une fierté. Mais aujourd'hui, il est inapte, handicapé. Il a été blessé pendant la Guerre de Libération. Physiquement, lorsqu'il fait l'effort de se déplacer pour accomplir sa prière, dos incliné et jambe inapte.
Il raconte : «Mercredi 5 juillet 1961, sous l'ordre de la direction politique du FLN, un appel est lancé pour des manifestations. On nous disait si vous ne sortez pas manifester contre l'occupation française, si nous n'osez pas prendre entre vos mains le drapeau, ne vous considérez plus comme Algériens.» A cette époque, à 43 ans, il est employé à l'entreprise Ponts et Chaussées des travaux publics et déjà marié et père de Mohamed, qui l'interrompt pour nous raconter comment il a essayé de dissuader son père de ne pas participer à cette manifestation.
Souvenirs
«Ma mère avait le flair que ça allait dégénérer. Très tôt le matin, il a pris le drapeaux et a quitte la maison. C'est à ce moment-là que ma mère me demande de le suivre. En vain. Il était décidé et surtout convaincu», raconte Mohamed son fils. Ce jour-là, à Aïn Beïdha, sa ville natale, une foule sans précédent s'est regroupée pour répondre à l'appel du FLN. En 1955, il voulait rejoindre le maquis, mais le colonel Hadj Hamdi le refusa et lui demanda de s'occuper de ses enfants. «Tu es un moudjahid chez toi», se rappelle Salah Lounadi de la réponse du colonel du l'ALN. A cette époque, il avait déjà 8 enfants.
Il revient pour nous détailler la foule : «Nous avons marché, crié l'Algérie indépendante. Vivre l'Algérie? » Courageux, comme tout manifestant de l'époque, surtout que le couvre-feu était instauré à partir de 16h. Il se souvient encore : «A l'arrivée d'un harki, un capitaine commença à tirer sur la foule, sans interruption? des chouhada tombent.» Chaabane Chekaoui, Hadda, Aadjel Tahar, Allegue Fatma, Hadjab El Ouardi, que Salah Lounadi connaissait bien, décèdent sur place. De nombreux blessés sont aussi enregistrés. Une terrible répression. Toute la foule était prise au piège.
Et c'est à ce moment- là que Salah Lounadi reçoit des balles. Il est hospitalisé dans un premier temps à Aïn Beidha puis transféré à Constantine pour des actes chirurgicaux, pendant trois longs mois. Mais, difficile pour lui de se prendre en charge. Les frais d'hospitalisation était coûteux. Il ne réintègre pas son poste de travail pour «incapacité». Pendant des années et peu de temps avant l'indépendance, il vit avec l'aide octroyée par l'ALN. Depuis ' «Aucune ressource», dit-il.
Aujourd'hui, il nous montre tous ses certificats, documents attestant qu'il était réellement blessé pendant les manifestations alors qu'il n'était pas armé : hôpital de Constantine, mairie de Aïn Beïdha, son employeur, médecin de l'ALN qui l'a secouru, attestation du juge. En 1970, toutes les démarches sont entamées auprès du ministère des Moudjahidine. Il demande à être classé dans la catégorie «victime civile de guerre», en vain. Le ministère lui notifie un refus. Car il ne répond pas aux conditions suite à un contrôle médical. «Ils m'ont expliqué que j'ai une incapacité de 45% seulement. Mais jamais je n'étais avisé pour faire recours», se désole-t-il.
Ce n'est qu'en 1978 qu'il introduit une demande à la Caisse nationale d'assurance vieillesse. Il perçoit 15 000 DA par mois. Et il touche le même montant jusqu'à ce jour. «C'est aberrant», lance Salah Lounadi. Aujourd'hui, suite à l'annonce de l'Etat français, plusieurs victimes civiles veulent se constituer en collectif pour former une force et faire une demande groupée. Lui, Salah Lounadi, entame déjà les démarches pour répondre à toutes les demandes administratives pour faire valoir ses droits.


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