Algérie

«Je souhaite voir un musée de la vie coloniale et de la torture en Algérie» Salim Becha. Notaire, collectionneur d''uvres d'art


«Je souhaite voir un musée de la vie coloniale et de la torture en Algérie» Salim Becha. Notaire, collectionneur d''uvres d'art
Depuis plus d'un mois, le Musée des arts modernes d'Alger, MaMa, abrite une exposition des plus singulières et surprenantes. Transformé en cabinet de curiosité, le MaMa a ouvert ses espaces à une riche collection d'objets d'antiquité aussi rares que précieux. Il s'agit d'un don qu'un notaire, Salim Becha, a bien voulu faire aux musées d'Algérie en se séparant d'une collection qu'il a mis vingt longues années à rassembler comprenant des objets dont l'âge remonte pour certains à 2000 et 6000 ans, des tableaux de maîtres, des tapis du Dey Hocine et bien d'autres merveilles, à découvrir avant la fin de l'exposition fixée au 4 avril.
- Qui est donc Salim Becha, qui a fait don d'une magnifique collection d'objets rares aux musées d'Algérie '

Salim Becha est un citoyen algérien, notaire de profession. J'ai commencé cette collection il y a 22 ans. J'avais des pièces de peu de valeur, puis avec le temps, notamment depuis les six dernières années, j'ai pu acquérir des pièces plus importantes des antiquités de valeur. Nous avons voulu les exposer ici au Musée des arts modernes MaMa pêle-mêle, comme un cabinet de curiosités qui est pour rappel l'ancêtre des musées et dans lequel on expose toutes sortes de curiosités. Des peintures modernes et plus anciennes, des habits d'antiquité, des insectes, etc.

- Quelle est votre histoire avec la collection, comment êtes-vous venu à cette passion ou est-elle venue à vous '

Cela remonte à mes années de collège et de lycée. Je me rappelle, en 2e année moyenne, nous avions été initiés à la collection d'insectes. Notre enseignant, pour les besoins des cours de biologie, nous exigeait de ramasser toutes sortes d'insectes qu'on rencontrait sur notre chemin, avant l'arrivée de l'hiver. J'ai éprouvé une certaine fascination à le faire et depuis je me suis mis à collectionner des insectes, notamment des papillons. A l'époque, il n'y avait pas de SMS ni de réseaux sociaux, mais on avait les moyens de communiquer. J'avais donc des correspondants dans de nombreux pays avec lesquels j'échangeais des timbres algériens contre des papillons de leurs pays et régions. Et c'est ainsi qu'a commencé mon histoire avec la collection de toutes ces curiosités. Après ma retraite de l'administration, j'ai commencé une carrière de notaire. Et depuis quelques années, j'ai commencé à me déplacer de plus en plus à l'étranger et à me promener dans les salles de vente et chez les antiquaires, et donc à acquérir de plus en plus de pièces qui me plaisaient.

- Pourquoi avoir fait don de votre riche collection '

La principale raison est que ces pièces doivent être mises à la disposition du public. C'est cela l'intérêt.

- Vous aviez déjà eu, au départ, l'idée de les offrir ainsi au public '

J'avais l'idée de les mettre à la disposition du public, mais je ne savais pas encore comment. Il y avait quelques pièces qui traînaient dans mon bureau que seuls mes amis et clients pouvaient voir. Je me suis dit qu'un jour il faudra que le grand public puisse les découvrir. Ne sont exposés ici au musée que 60% de la collection qui, après les trente jours que dure l'exposition, seront répartis dans les différents musées d'Algérie selon leur spécialité. Je pense, par exemple, que les pièces sumériennes, les objets précolombiens et les pièces de monnaie en or, en argent ou en bronze peuvent aller au Musée des antiquités. Il y a une bonne partie de la collection d'arts modernes qui va rester ici au MaMa et une autre partie des tableaux ira au Musée des beaux-arts. Une partie des objets ira au Musée des arts populaires et traditionnels. Et une partie destinée au futur musée du tapis, il y aura à ma connaissance un musée du tapis à Alger et un autre à Babar. Nous sommes en train de constituer un fonds pour ce musée-là.

- Des risques de détérioration ou de disparition de certains objets peuvent exister. Avez-vous reçu des garanties concernant leur préservation '

Les risques sont très limités à mon avis. Dans l'acte de donation, le ministère de la Culture s'engage à prendre toutes les mesures pour leur préservation, leur entretien, leur gardiennage et leur présentation au public. Ces pièces font désormais partie du patrimoine national, ceux qui veillent sur ce patrimoine sont tenus de veiller sur elles. Il est vrai que nous ne sommes pas à l'abri d'un petit accident, c'est la vie (sourire). L'exposition compte des pièces qui remontent à 2000 et 3000 ans, j'espère qu'avec les moyens modernes de conservation on pourra les avoir encore pour longtemps. En fait, les musées ont plus de moyens que les particuliers concernant la préservation des objets et c'est pour cela que je demande aux particuliers de mettre leurs objets de collection à la disposition des musées même à titre de prêt s'ils ne veulent pas en faire une donation.
S'ils mettent en dépôt ces objets, la loi les autorise à les récupérer quand ils le veulent. Evidemment, je regrette que nos musées ne disposent pas encore de tous les moyens adéquats tels que les armoires de présentation qui sont contrôlées sur le plan humidité, température, etc. Mais ça viendra.

- Il est vrai que l'art et la culture n'ont pas de prix. Mais peut-on tout de même avoir une idée sur la valeur financière de toute cette donation '

Il existe une réglementation qui exige que tous les objets qui se trouvent dans nos musées doivent avoir une valeur financière. Une des conditions de l'acte de donation est d'appliquer la procédure légale, c'est-à-dire qu'une fois la donation faite et que le directeur du musée a enregistré l'acte de donation, il le remet à la ministre de la Culture qui va saisir à son tour la Commission nationale des biens culturels, qui elle-même va nommer des experts dans chaque catégorie d'objet, selon la liste des experts publiée dans le Journal officiel. Et c'est sur cette base que ces experts vont proposer une valeur.
Cette dernière sera approuvée par la Commission nationale d'acquisition des biens culturels. J'ai précisé dans l'acte que cette valeur-là n'est qu'indicative et que le donateur, qui est moi-même, ne demandera aucune compensation quelle que soit cette valeur.

- Vous avez tout de même une estimation puisque vous avez acheté ces objets'

J'ai une idée sur la base de ce que j'ai déboursé. Mais c'est un peu difficile de donner un chiffre exact, car ces achats s'étalent sur vingt ans. Ce que j'ai payé il y a 15 ans n'a pas la même valeur financière aujourd'hui, et puis il y a des pièces que j'ai payées pas cher mais qui ont une valeur beaucoup plus importante, et le contraire est exact aussi. L'expert peut me dire sur la valeur d'une pièce par exemple que j'ai payé le prix fort qu'elle ne valait pas grand-chose et qu'elle ne présente pas un grand intérêt muséal. Et dans ce cas, s'il y a des objets sans intérêt muséal, on me les rendra et je vais les mettre dans mon bureau (rire).

- Quelle est la pièce la plus chère que vous ayez payée '

Je crois que ce sont des tapis du Dey d'Alger, des pièces sumériennes et des objets de la dynastie des Han en Chine. Nous possédons pas moins de 25 pièces de la dynastie des Han. Cette dynastie s'étale sur une période de deux siècles avant JC et deux siècles après. J'y tiens beaucoup parce qu'elles vont atteindre des prix inimaginables sur le marché.
Ce sont des pièces funéraires qui sont enterrées avec les morts et jusque il y a quelques années, les Chinois refusaient de faire rentrer de telles pièces chez eux. Vous imaginez nos grands-mères accepter qu'on fasse d'un cercueil un objet d'ornement ! C'est la même chose avec ces pièces de la dynastie des Han.
Mais il se trouve que depuis quelque temps, les jeunes Chinois, comme les nôtres d'ailleurs, sont de moins en moins superstitieux et ils voient dans ces choses-là des objets de décor. Donc ils commencent à venir les demander et faire pression avec beaucoup d'argent sur le marché de l'art en Europe, car en Chine, ceux qui commercialisent ou touchent à ces objets sont condamnés à mort. Sur cette base-là, je prévois, d'ici quatre à cinq ans, que leur prix va atteindre des seuils inabordables.

- Vous avez donc fait, permettez-nous l'expression, de bonnes affaires '

Je pense que le musée a fait de bonnes affaires. Nous sommes d'ailleurs, plusieurs particuliers algérois, en négociation avec un antiquaire français qui s'appelle Bacstreet, qui est spécialiste de l'art chinois pour l'acquisition d'une collection plus importante et la mettre à la disposition du Musée des antiquités ici à Alger et pourquoi pas créer une aile asiatique au musée. Je voudrais souligner aussi qu'il y a certaines pièces que seuls les particuliers peuvent acheter, les structures étatiques ne pouvant pas les acquérir. Comme les fausses pièces en or qui coûtent beaucoup plus cher que les vraies pièces. Je ne vois pas un cadre aller acheter une fausse pièce dix fois plus cher qu'une vraie pièce.
Il y a une initiative louable du ministère qui a chargé un cadre pour créer une sorte de cellule de veille pour détecter où se trouvent les pièces qui intéressent les musées nationaux et particulièrement des objets du patrimoine national en vente au niveau international, et faire participer des collectionneurs pour l'acquisition de ces pièces.

- Ce qui est un peu intrigant quand on voit tous ces objets, c'est de nous dire d'où peuvent-ils bien provenir, le circuit par lequel ils sont passés. Etes-vous très regardant sur l'origine des pièces que vous achetez '

Je suis juriste, et il y a un marché de l'art qui est encadré par des lois internationales et chaque pays a sa propre réglementation. Je vous donne un exemple, tout ce qui est égyptologie est libre de commerce en Suisse, à condition de prouver que les objets sont rentrés en Suisse avant 2005. Pour notre part, nous ne prenons aucun risque, on achète les pièces chez des marchands et antiquaires connus sur la place et qui prennent l'engagement de nous donner des certificats d'authentification pour tous les objets et leur provenance selon ce que prévoit la loi du pays où on l'achète. La législation algérienne est très claire là-dessus.
L'entrée de ces objets est libre comme le dit l'article 65 de la loi 98 sur la protection du patrimoine national. Ce patrimoine est interdit à la sortie, mais est libre à l'entrée avec cette condition qu'il soit acquis légalement dans le pays où il a été acheté. Lorsqu'on achète des pièces en France ou en Suisse, nous avons les certificats qu'il faut. Parfois ce qui m'étonne dans certaines ventes aux enchères par exemple, c'est que vous pouvez trouver des pièces précolombiennes qui ont des milliers d'années coûtant dix fois moins cher qu'une tasse ou sous-tasse de porcelaine de Limoges du XVIIIe siècle. Pour ma part, ma préférence va directement aux pièces d'antiquité et pas à la tasse ou la sous-tasse.

- Le plus ancien manuscrit que vous ayez remonte à quand '

C'est un manuscrit arabe qui remonte au XIIIe siècle. Mais j'ai beaucoup de manuscrits venant d'Europe et de France particulièrement. J'ai des lettres de Napoléon, des lettres des rois de France. Et même une partition musicale inédite de Charles Gounaud à laquelle je tiens beaucoup et je pense qu'elle finira à la Bibliothèque nationale.

- On a entendu dire que vous étiez intéressé par l'achat d'instruments de torture utilisés par l'armée coloniale ici en Algérie. Est-ce vrai '

Concernant ces instruments, j'ai regretté que la presse en ait parlé. Dès que la presse française et algérienne ont en parlé, les prix ont commencé à augmenter et je pense que pour des considérations peut-être d'ordre diplomatique ils ont été retirés de la vente. J'aurais souhaité qu'on les laisse en vente et qu'on puisse les acheter discrètement. Je souhaite qu'un jour on construise deux musées en Algérie. Un musée de la vie colonial et un musée de la torture et des mauvais traitements. Et c'est pour cette raison que je suis à la recherche de ces pièces-là. Je pense à la villa Susini pour le musée de la torture et des mauvais traitements. Et pour la vie coloniale, ça nécessite un espace beaucoup plus important, et pour ça, je pense la résidence Bouchaoui qui sera un exemple sur la colonisation et la vie coloniale, montrer que c'était un véritable système d'apartheid.
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