Algérie

"Je ne suis pas dans le racolage..."YASMINA KHADRA À L'EXPRESSION



Ecrire pour Yasmina Khadra est «un acte d'amour» tel qu'il se plaît à le répéter. L'auteur de Les hirondelles de Kaboul qui était l'invité du Sila et demain pour une vente-dédicace au stand Casbah Edition n'a pas voulu trop s'attarder sur son dernier roman Les anges meurent de nos blessures dont la trame se situe vers les années 1920 entre Sidi bel Abbès et Oran. La ville étant un personnage à part entière dans ses romans a-t-il fait remarquer, vendredi dernier au Sila. Un livre tout autant «visuel» et très imagé comme l'est toute son oeuvre. Un choix qu'il revendique et qu'il impute à son adoration pour la BD depuis son jeune âge. Car en plus de la situation, «j'y mets dans mes livres, de la philosophie et de la poésie» dira-t-il. Et d'estimer qu'Alger est «comme une femme snobe qui se croit plus belle que la poésie, que Paris ne m'a pas parlé, pas calculé..». L'écrivain fera savoir aussi qu'il vient de finir un nouveau polar fin juin, qui pourrait même être adapté au cinéma. Abordant son rapport à l'Autre dans l'écriture' il dira qu'il écrit pour que la femme se soulève contre l'homme et l'assujettit à son tour. Celui qui ne se considère ni comme expatrié, ni exilé fera remarquer néanmoins à propos de Les anges meurent de nos blessures que la cause coloniale est loin d'être à la périphérie mais bel et bien au coeur de Histoire pour celui qui sait bien lire. Yasmina Khadra qui soulignera le fait que ce sont plus les Algériens qui sont le plus agressifs à son égard (une minorité tient-il à préciser) expliquera cela par le fait que parfois «c'est le rapport à l'écrivain qui empêche de voir la beauté ou la grandeur de l'oeuvre». Et d'ajouter: «Je ne suis pas dans le racolage quand j'écris mais toujours dans la justesse. Comment expliquer alors que je suis lu et plus apprécié ailleurs et ce dans des pays qui ne savent même pas situer l'Algérie dans une carte' Je souhaiterai, qu'un jour on puisse accéder à la solidarité ce qui manque entre nous..» a t-il déclaré en substance à l'assistance avant de répondre aux questions de L'Expression, relatifs à l'adaptation cinématographique de ces deux romans Ce que le jour doit à la nuit et surtout l'Attentat par le célèbre réalisateur Zied Doueri (West Beyrouth notamment) qui a fait polémique lors de sa sortie..L'Expression: Les adaptations de vos deux livres Ce que le jour doit à la nuit et L'attentat en l'occurrence n'ont pas fait l'unanimité surtout le dernier qui a fait l'objet de controverse...
Yasmina Khadra: Ce sont les personnages que j'ai créés qui étaient importants pour moi. Ils ont été disqualifiés. Le réalisateur Arcady a même mis quelques fois deux personnages en un pour l'aspect technique. Moi j'ai trouvé le film assez raisonnable. Et puis j'ai beaucoup de respect pour les réalisateurs. Je comprends les situations auxquelles sont confrontés les réalisateurs. S'il avait été tourné en Algérie sans doute que je serai venu pour superviser le travail. Mais ça a été tourné en Tunisie. J'ai trouvé ça effarant pour un Algérien d'aller voir son pays tourner dans un autre pays. Ce sont des choses qui me dépassent. Je n'arrive pas non pas à l'expliquer mais à le concevoir. Pour L'attentat, Zied Doueri l'a dit lui-même que je n'étais pas satisfait de son travail malgré qu'il ait reçu des prix, parce que tout simplement il n'est pas allé dans mon livre. Il est parti dans une partie de mon livre. Autrement l'enquête que menait ce docteur pour comprendre le geste de sa femme qui s'était suicidée. Mais la partie israélienne a été complètement occultée. Je le comprends mais je ne suis pas d'accord. Je peux comprendre quelqu'un mais je peux ne pas être d'accord avec lui. Il ne faut pas oublier que les droits de L'attentat ont été achetés le même jour à New York dans le même bureau, par le patron de Focus Feature qui détenait les droits avec Paradise Now. Une année après Paradise now était sur tous les écrans du monde. Un succès foudroyant. L'attentat était dans le tiroir. Il y avait un lobby qui s'opposait à ce que le film se fasse. Des gens ont chahuté ce projet. Il a fallu se battre à maintes reprises. Ils ont choisi trois scénaristes dont le dernier était Jonhatan Brook qui avait signé le fameux Le dernier roi d'Ecosse comme comédien notamment, avec comme par hasard Forest Withaker. Il avait fait un super premier scénario qui était très proche de la réalité du film. Il a été refusé. Un deuxième aussi a été refusé et le troisième a été très loin. Ils l'ont obligé à trouver pour expliquer le geste de Sihem, un problème conjugal et son mari médecin qui, en rentrant le soir et ne trouvant pas sa femme en soulevant son oreiller, trouve un sex toy comme si sa femme était malheureuse en tant qu'épouse... cela n'a rien à voir. Il a fallu se battre car on allait complètement charcuter ce projet et après deux ans de combat, grâce à Tarek Ben Ammar qui avait ses rentrées, on a réussi quand même à faire le film. Mais Zied Doueri a été traumatisé par tout ça. Il a attendu 7 ans avant de faire le film. Les droits ont été choisis en 2006 et le tournage n'a commencé qu'à la fin de 2011. Zied Doueri avait même peur que ce même lobby assassine son film. Mais c'est quelque chose que je ne peux pas cautionner. Il faut avoir le courage de ses convictions sinon ce n'est pas la peine de se lancer car il y a d'autres projets, d'autres scénarios réalisables sans tomber dans le conflit..
On a dit que le film tronqué comme vous dites d'une bonne partie, ne reflète pas vraiment le livre mais défend la cause israélienne...
C'est faux car le film était raté. Il est partout, vous pouvez le voir. Vous pouvez le trouver à Alger, à Oran, partout.
Il a été interdit par la Ligue arabe et au Liban notamment, la projection a été annulée...
Oui, la Ligue arabe on connaît. Au lieu de s'occuper de ce qui se passe en Syrie, en Libye ou en Irak, elle s'attaque à un artiste. C'est pour cela que je suis venu le défendre. J'étais contre la censure. Un réalisateur ça se respecte, un artiste ça se respecte. Un écrivain ça se respecte. On peut ne pas être d'accord avec lui mais il faut permettre à son esprit, au génie d'exister. Il faut dépasser cette censure, elle n'est pas efficace. Elle se retourne contre le censeur.. En France par exemple, malgré qu'il était arrivé avec sept prix internationaux dont trois au USA il a été boudé par les télés. Il n'a pas eu de promo. il y a eu d'excellents papiers dans la presse. La télé out! Et pas d'affichage, c'était la première fois que je voyais ça en France! Le livre C'est 750.000 exemplaires vendus en France et il est sorti dans 40 salles dans toute la France. En Allemagne, j'ai été il y a deux semaines à Frankfurt, le livre a obtenu le Prix de la foire internationale du livre. Il est sorti en dvd en allemand, mais il ne sera pas distribué dans les salles
A quand sa projection en Algérie'
On ne peut pas exiger du prophète ce que seul Dieu est capable de donner...
C'est votre dernier mot'
Moi j'ai la chance d'être un écrivain. Je peux écrire. Il n'y a aucune force au monde qui m'empêcherait d'écrire. Je suis souverain dans ce que je suis en train de faire. Mes livres peuvent toujours être interdits mais ils seront là, car mes lecteurs en besoin. Besoin de rêver, de s'émerveiller et fier d'être un Algérien. Ils ne peuvent rien contre un écrivain mais un film c'est une distribution, c'est de la finance. C'est beaucoup de malheur. Les Américains ont cette abominable chose, c'est quand ils achètent une chose cela devient la leur. Pour ce qui est du cinéma en Algérie, on n'encourage pas le cinéma. Il y avait en 1962, 37 salles de cinéma à Oran. Elles ont fermé. On refuse à ce peuple le droit de s'émanciper et de rêver. Nous baignons dans un autisme qui ne veut pas s'assagir. Il y a une fracture entre ceux qui nous gouvernent et le peuple. Je ne sers pas le système mais j'ai décidé de mériter, de par ma fonction de directeur au CCA, en France, ma survivance. Mes idoles sont les médecins sans frontières. Je veux rendre service aux miens et me sacrifier pour mon pays. J'ai fait produire des artistes qui sont interdits en Algérie. Le système ne m'arrive pas à la cheville!
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