Algérie

«Je ne souhaite pas que 2016 débouche sur un octobre 2018»



«Je ne souhaite pas que 2016 débouche sur un octobre 2018»
Des responsables de l'Exécutif soutiennent que l'Algérie doit absolument sortir de sa dépendance des seuls revenus pétroliers qui font fonctionner le pays, financent les politiques sociales, les équipements et les programmes quinquennaux. Quelle analyse de la situation faites-vous 'C'est enfoncer des portes depuis longtemps ouvertes que de dire cela. Au début de l'année 2002, je remettais à des responsables politiques très proches du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, ? et à leur demande ? une étude détaillée intitulée «Algérie : comment rebondir '», que j'avais gracieusement réalisée et dans laquelle je préconisais une stratégie de développement économique diversifié de l'Algérie à travers un processus de mise en ?uvre qui lui permettait de réduire sa dépendance aux revenus liés aux hydrocarbures de 96% en 2002 à environ 50% en 10 ans et à moins de 30% en 15 ans.Aujourd'hui, c'est-à-dire 14 ans après, l'Algérie se retrouve dans la même situation mais avec un seuil de vulnérabilité encore plus bas (le pays est plus fragile et est donc plus facilement exposé), car notre pays est devenu davantage dépendant de ses fournisseurs étrangers. Il était pourtant dans une position de force pour négocier favorablement des transferts de technologie massifs, à haute valeur ajoutée. Avec un pétrole à plus de 100 dollars, des récessions économiques répétitives au niveau mondial, la crise financière systémique de 2008-2009 et celle de l'eurozone, cela était possible.Il n'est cependant pas trop tard pour bien faire. La baisse des revenus pétroliers doit être comprise comme une opportunité pour se transcender en tant que nation grâce à nos formidables ressources humaines, mais à condition de rationaliser nos initiatives et de sortir des «facilités» et des discours lénifiants.En clair, il existe un prérequis au succès. Toute réflexion sur le redressement de la situation économique de l'Algérie ne doit pas être seulement «technique» ; elle nécessite d'abord de s'articuler autour d'un sentiment d'urgence et d'une prise de conscience sur la nécessité d'une évolution politique significative afin que soit entamée une transformation profonde mais graduelle et séquencée de notre mentalité, de nos approches, de notre relation au travail et à la prospérité.Dans un contexte de «grave crise financière», ainsi que l'avait qualifié le chef de l'Etat lors d'un récent Conseil des ministres, est-il possible, est-il réaliste de mettre en pratique ce que le gouvernement appelle «nouveau modèle économique», dont on ne connaît pas d'ailleurs encore les contours 'Un «nouveau» modèle économique ' Je ne pense pas que les dysfonctionnements qui apparaissent à chaque fois que les cours du pétrole baissent laissent penser qu'il en existe déjà un. Un modèle économique, c'est un projet réfléchi, débattu et dont la ligne directrice doit s'inscrire dans une vision, c'est-à-dire un ensemble d'ambitions projetées sur le long terme, déterminées par le plus haut magistrat du pays et portées par une stratégie qui consiste à déterminer ce que devra être l`Algérie dans 5, 10, 20 ans et comment y parvenir.En outre, la concrétisation de cette stratégie doit être portée par un leadership politique et économique crédible aux yeux des Algériens et des institutions et entreprises internationales. C'est ce leadership seul, incarné en tant qu'autorité de compétence et morale, qui peut sérieusement assurer la transition entre une économie de rente et une économie davantage portée par la productivité et la compétitivité, phase et socle de développement nécessaires pour que notre économie puisse ensuite être portée par l'innovation.Cela est d'autant plus impérieux que l'état de régression dans lequel se trouvent les multiples segments des activités de notre pays ? économie, social, santé, éducation, culture ? est en soi un système d'équations complexe à résoudre.C'est pour cela que le modèle économique à penser requiert d'adopter une approche intégrée, afin de gérer les interdépendances et les interactions entre ses différentes composantes et institutions : macro et microéconomique, politique, justice, social, éducation, aménagement du territoire, etc. Approche intégrée indispensable qui facilite la transformation de la société, l'émergence d'une mentalité entrepreneuriale et d'une infrastructure économique productive, compétitive et durable.C'est un projet de longue haleine, mais avec des étapes intermédiaires indispensables, nécessitant créativité, connaissance fine des approches des pays qui ont réussi, rigueur, cohérence, anticipation et contrôle permanent.Nous ne partons pas de zéro. Je rappelle que le modèle des clusters qui permet d'accroître la compétitivité d'une industrie donnée à travers une concentration géographique de tous les participants à la chaîne de valeur de cette industrie, en vogue dans la plupart des pays développés et émergents, est un modèle qui préexistait en Algérie dans les années 1970.Autrement dit, notre pays a des atouts et se doit de développer tout à la fois une industrie et les services. Sans une industrie forte, il n'y a pas d'économie forte.Les services à valeur ajoutée, en particulier les services financiers qui sont le lien entre l'entreprise et l'investisseur, sont les pendants naturels de l'industrie. Les universités algériennes, elles aussi devant s'adapter à ces nouveaux objectifs, ont un rôle important à jouer dans l'essor et la compétitivité de notre industrie et de nos services.Des groupes d'experts peuvent contribuer à définir les processus de mise en ?uvre de ce modèle, à l'améliorer mais sûrement pas à le «penser», nonobstant leurs qualités professionnelles intrinsèques. Ceci est le rôle de l'Etat qui doit être stratège, planificateur et régulateur. L'Algérie semble ne pas avoir de fiscalité ordinaire, toutes les politiques du gouvernement étant fondées sur la fiscalité pétrolière.Le gouvernement a tenté de capter l'argent de l'informel et compte lancer, en avril, un emprunt national pour compenser le manque à gagner dû à la chute brutale des recettes provenant des hydrocarbures. Cela suffira-t-il pour compenser un déficit budgétaire qui s'aggrave de semaine en semaine 'Rien n'est choquant dans cette démarche du gouvernement. Tout Etat a besoin de collecter les recettes fiscales qui lui permettent de financer les dépenses publiques et les investissements. Quand cela ne suffit plus, il a recours à l'endettement par émission obligataire vis-à-vis de l'intérieur, de l'extérieur ou des deux.En Algérie, l'informel rend l'exercice plus délicat, car il ne génère pas de recettes publiques ou, pour être précis, échappe à la fiscalité. L'opération menée récemment pour inciter l'informel à «bancariser» ses liquidités avec une ponction de 7% sur les sommes déposées (un pseudo-prélèvement fiscal à la source) ne semble pas avoir drainé des recettes suffisantes pour compenser le manque à gagner des recettes pétrolières.En réalité, le mal est plus profond et dépasse la seule optique des revenus fiscaux. Je vous rappelle que l'Algérie n'a jamais réussi à équilibrer son budget. En 2013, année où le baril avait atteint un record (124 dollars), le déficit budgétaire global (recettes pétrolières incluses) était de -4%. Il était à peine équilibré en 2013 et encore déficitaire à -7% en 2014. Par conséquent, il existe de sérieux problèmes structurels au niveau de la gouvernance des comptes de l'Etat.Lancer un emprunt national est une bonne-mauvaise idée. Si l'on ne résout pas ces problèmes de gouvernance de gestion financière, on sera en permanence dans la configuration du tonneau des Danaïdes. Et le court terme prévaudra.En outre, la solution au problème de l'Algérie requiert, comme je l'ai dit plus haut, une approche intégrée.L'existence d'un marché obligataire pour pouvoir utiliser l'épargne nationale n'est pas suffisante. Si nous souhaitons attirer les investisseurs, il faut un marché financier adéquat, sur lequel les obligations souveraines seront achetées par des investisseurs étrangers, ce qui témoignera de la confiance du reste du monde envers l'Algérie dans la qualité de la gestion de l'Etat.Le contexte financier international s'y prête, puisque l'épargne mondiale est abondante et que les investisseurs sont en quête de rendement. L'acceptation de taux négatifs en Europe en témoigne. Cela est préférable à l'endettement auprès d'institutions internationales, car l'Algérie n'est pas encore en mesure d'assurer sa solvabilité autrement que par les revenus des hydrocarbures dont elle ne maîtrise pas la volatilité.Et si elle devait le faire, du fait en particulier des faibles taux d'intérêt pratiqués aujourd'hui, il faudrait que ce soit des prêts destinés à financer les leviers de production qui induiront eux-mêmes des revenus pour se désendetter. Grâce à cette approche, l'Algérie deviendra un véritable attrait pour les investisseurs stratégiques.Pour ma part, je suis adepte de ces solutions qui sont à long terme, car elles permettent de donner une assise stable à notre édifice économique et financier. Je redoute plus que tout le «yakafokon» (y a qu'à faire ci, il faut qu'on fasse ça !) et les solutions à l'emporte-pièce comme par exemple la défiscalisation comme instrument d'attrait des investisseurs. La défiscalisation des revenus de l'emprunt obligataire est un mauvais signal.Défiscaliser ? dans un pays où il existe une difficulté patente à prélever l'impôt ? revient à offrir un cadeau qui nécessitera en contrepartie de l'endettement supplémentaire.Certains comparent la crise qui secoue le pays à celle de 1986. Qu'en pensez-vous 'Il y a des similitudes, sauf qu'entre-temps, les Algériens ont vécu les affres des années 1990 et du faux Printemps arabe et acquis une réelle maturité politique. Je ne souhaite pas pour mon pays que 2016 débouche sur un octobre 2018. Tout comme je ne souhaite pas que le système politique algérien surfe sur cette hypothèse pour continuer à ne pas se remettre en question.Quitte à me répéter, la chute des cours du pétrole est une excellente opportunité pour s'affranchir d'une rente qu'on ne sait que distribuer. Même si l'économie mondiale est morose (+2,9% en 2016), la demande en Algérie est suffisamment importante et l'épargne conséquente pour que l'optimisme d'un redressement dans le sens où je l'ai mentionné soit possible.Justement, au-delà des frontières de l'Algérie, le contexte économique et financier est pour le moins incertain, voire menaçant. Quelle analyse faites-vous de la situation 'L'action de la Banque centrale européenne, le 10 mars, vient illustrer crûment vos propos. Celle-ci vient à nouveau de réviser à la baisse les perspectives de croissance et d'inflation en zone euro avec une extension de 25% de son programme d'assouplissement monétaire. Elle a de plus abaissé le taux de refinancement à 0% ? c'est-à-dire que l'argent est désormais gratuit pour les banques commerciales ? et a également abaissé le taux de dépôt plus loin encore en territoire négatif, c'est-à-dire que les banques sont taxées sur l'argent qu'elles ont en dépôt à la Banque centrale et qu'elles ne prêtent pas. Les taux d'intérêt négatifs sont en train de miner les banques.Pourquoi la BCE déploie-t-elle un tel arsenal alors même que, de son propre aveu, cela ne sera pas suffisant pour relancer la croissance économique ' Parce que la zone euro a peur d'une entrée en déflation qu'elle ne pourrait pas maîtriser et pour donner un peu d'oxygène budgétaire à des Etats surendettés, sans perspective de croissance.Le reste du monde n'est guère plus vaillant. L'économie chinoise ralentit, entraînant avec elle nombre d'émergents dont beaucoup sont endettés en dollars et subissent par conséquent la hausse de la monnaie américaine. Quant à l'économie américaine, la Réserve fédérale ne la considère pas encore suffisamment solide pour amorcer un mouvement de retour vers une normalité monétaire.




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