Algérie

«Je m'appelle Siddiqui et je suis Indien à Alger»



Il est homme d'affaires mais, par-dessus tout, c'est la cuisine qu'il aime faire. Originaire de New Delhi, Ahmed Siddiqui, 54 ans, est venu s'installer à Alger au moment où tout le monde la fuyait. Il commence par ouvrir une société d'importation d'équipements électroniques, ensuite, mais «pour le fun seulement», un restaurant. Aujourd'hui, il ne se consacre plus qu'au rêve qu'Alger lui a permis de réaliser : le restaurant Taj Mahal.

« De par le monde, où que vous alliez, il y a deux choses que vous êtes assurés de trouver : des pommes de terre et des Indiens». Faussement humble, c'est ainsi qu'Ahmed Siddiqui, originaire de New Delhi, aime à expliquer son choix de s'établir à Alger depuis plus de quinze ans.

Tel un pacha dans son palace rouge, le patron du meilleur restaurant indien d'Alger s'enfonce confortablement dans la banquette moelleuse à l'entrée de son Taj Mahal. Le cheveu fraîchement sorti de chez le coiffeur, les mains soignées, le visage rond et poupin, entouré de la déférence appuyée de ses employés, il est bien difficile de l'imaginer dans la description qu'il fait de lui-même, à son arrivée en Algérie, en pleine période de terreur. Vadrouillant sur les routes nocturnes de l'Algérie des années les plus sanglantes – 1995 à 2000 – Ahmed Siddiqui a accompagné, partout dans le pays, les containers d'équipements électroniques qu'il importait.

«Je connais toutes les villes d'Algérie, toutes», appuie-t-il, pas peu fier de lui. Mais pourquoi donc parcourir l'Algérie la nuit, en cette période de couvre-feu, laissez-passer, faux barrages, embuscades et autres désagréables surprises ? Parce que, répond Siddiqui naturellement, «les containers n'étaient relâchés par la douane qu'en fin de journée, il n'y avait pas où les stationner en attendant de les transporter dans la journée et la nuit, à cette époque-là, sur les routes, il n'y avait pas de circulation». Surtout, ajoute-t-il, «moi je n'ai jamais eu peur d'être en Algérie, nos vies sont entre les mains de Dieu, quoique vous fassiez, vous ne pouvez pas changer cela, alors pourquoi avoir peur ?»

Ahmed Siddiqui est un homme qui croit en son destin et c'est comme cela qu'il explique avoir décidé un beau jour de quitter Moscou où il vivait avant de faire le grand saut algérien. Mais avant cela, pourquoi, comment avoir quitté New Delhi ? C'est encore au destin que fait appel notre philosophe : «J'ai quitté New Delhi, parce que la vie est compliquée et imprévisible, vous êtes ici aujourd'hui, mais savez-vous où vous serez demain ?»

Un matin de 1995 donc, il se réveille à Londres et se rend au consulat d'Algérie pour demander un visa touristique. Les agents consulaires le traitent de fou, dit-il, et lui disent que sa demande est rejetée. Il sort bredouille mais avant de quitter l'enceinte de l'ambassade, il croise le consul général et l'aborde : «Il m'a donné un visa de 15 jours en moins de cinq minutes».

Ahmed Siddiqui a tout de suite aimé l'Algérie. Il ne saurait expliquer exactement pourquoi : «Vous-même, si vous aimez un homme, savez-vous pourquoi ? Seul votre cÅ“ur le sait» et pour Siddiqui, l'Algérie il aime la raconter comme une histoire d'amour. La preuve, hausse-t-il les épaules comme pour lâcher une évidence : il est là, il ne l'a plus jamais quittée. Sa ville natale, New Delhi, ne lui manque pas du tout. Sa famille, ses enfants, vivent parfois avec lui à Alger, parfois en Inde. Il lui arrive d'y aller, mais seulement «à contre-cÅ“ur», lorsqu'il est obligé, pour des raisons professionnelles.

Le Taj Mahal, un plaisir qui rapporte pas mal

Lorsqu'en 2000, Siddiqui ouvre le restaurant Taj Mahal, dans une ruelle étroite derrière le marché de Ben Aknoun, il est encore dans le business de l'importation d'équipements électroniques. Plus que l'importation, notre homme préfère faire la cuisine et il la fait très bien. «Je préparais des dîners pour mes amis algériens, je pouvais faire à manger pour une centaine de personnes et ma cuisine avait beaucoup de succès» se souvient-il. Il se laisse aisément convaincre de réaliser un vieux rêve : «Le Taj Mahal, ce n'est pas pour l'argent que je l'ai ouvert mais pour le plaisir, c'est Alger qui m'a fait accomplir ce qui a toujours été un rêve».

Un plaisir qui permet tout de même à son propriétaire de très bien vivre, au point d'abandonner définitivement ses activités d'importation, d'ouvrir un deuxième Taj Mahal à Cheraga et de ne plus consacrer temps et énergie qu'à la restauration. Son premier restaurant devient très vite une adresse incontournable dans un Alger où bons restaurants et lieux de sortie se comptent sur les doigts d'une main infirme.

Mais en vérité, le succès du Taj Mahal est loin d'être dû au manque par ailleurs de lieux de divertissements et bons restaurants à Alger, il est dû à l'excellence de la cuisine et la chaleur de l'accueil. Les prix des menus ont grimpé avec les années et le succès. Siddiqui affirme que ses restaurants «ne font rentrer qu'entre 30 et 40% de bénéfices de plus» qu'à ses débuts. Le restaurant de Ben Aknoun peut accueillir jusqu'à 150 personnes et celui de Cheraga 200 et les deux réussissent assez fréquemment à faire salle comble en soirées de weekend.

Sans alcool

Aujourd'hui, la clientèle principale de la petite chaîne de 2 restaurants se partage équitablement entre 50% (seulement) d'Algériens et 50% d'étrangers dans un pays où il n'y a pas le moindre touriste. Les affaires vont tellement bien que Siddiqui ne ressent pas le besoin de servir d'alcool, c'est un choix religieux, explique-t-il, plus que stratégique, «l'argent de l'alcool c'est haram, nous sommes musulmans ici, nous n'en voulons pas».

Comme le font souvent les patrons algériens, Siddiqui aime user et abuser de la métaphore de la famille pour décrire son business et ses employés. Mais si tous ses employés indiens ne sont pas musulmans comme il l'affirme de manière quelque peu martiale, tous viennent de New Delhi. «Nous sommes une même famille ici, c'est pour cela que vous voyez les mêmes employés depuis 10 ans et c'est pour cela que la nourriture que l'on sert est toujours aussi bonne que celle que l'on servait il y a dix ans», dit Siddiqui, à qui, il est vrai, les forums sur internet de clients de passage donnent largement raison. Pour maintenir cette qualité, Siddiqui importe épices et riz de son pays, «tout le reste on l'achète frais ici, tous les matins, mes cuisiniers partent à 6 heures faire le marché, ils ne choisissent que le meilleur de la viande, du poulet et des légumes». Les cuisiniers – ils sont 20 entre les deux restaurants – le patron les «importe» aussi d'Inde, ainsi que les deux managers qui supervisent tout le personnel. Tout ce beau monde vit ensemble, en célibataires, comme dans une petite colonie indienne, et ne repart que rarement visiter l'Inde. Les «familles de mes employés leur rendent parfois visite ici», s'épanche encore Siddiqui, «ils viennent visiter ce très beau pays, ils repartent enchantés». Si vous lui dites qu'il n'a vraiment pas besoin, par politesse toute indienne, d'en rajouter sur cette Algérie enchanteresse qu'il aime tant décrire, Ahmed Siddiqui vous regardera avec des yeux ronds d'une sincère surprise. Il convoquera l'acquiescement crispé de ses employés présents, tout en s'exclamant : «Demandez à mes employés s'ils ne sont pas plus heureux ici!! A New Delhi, il y a beaucoup trop de monde dans le business de la restauration, ils sont ravis de travailler dans un restaurant à Alger…»




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