Algérie

Je gagne plus que mon mari



Dans le passé, c'était à l'homme qu'incombait le devoir de rapporter les pépètes à la maison. La femme, elle, s'occupait de son foyer et de l'éducation des enfants. Puis les femmes ont investi le monde du travail, faisant elles aussi bouillir la marmite. Culturellement, on est habitué à ce que monsieur gagne plus que madame. Mais il arrive que la fiche de paye de l'épouse soit plus conséquente que celle du mari. Comment cette disparité est-elle vécue au sein de ces couples ' Est-elle source de mésentente et de conflits ' Egratigne-t-elle la fierté de monsieur ' C'est à ces questions que «Soirmagazine» va tenter de répondre avec l'aide de couples concernés par cette thématique.
Sabrinal
Parce qu'elles ont un meilleur niveau d'études ou un travail mieux rémunéré, certaines femmes perçoivent une rétribution plus importante que celle de leurs époux. A la fin du mois, lorsque le salaire tombe, il y a parfois de l'eau dans le gaz dans certaines chaumières. L'inégalité salariale instaure un climat de tension et met le feu aux poudres.
Nacéra, 32 ans, responsable chez un opérateur de téléphonie mobile
Son salaire est deux fois plus important que celui de son conjoint, employé dans un organisme étatique. Loin de la réjouir, cette situation la turlupine. Nacéra est persuadée que son compagnon se complaît dans cette situation et qu'il ne fournit aucun effort pour améliorer son sort : «A mon sens, c'est au mari de subvenir aux besoins de son foyer. L'épouse peut l'aider un peu, si elle le souhaite. Après tout, elle pourrait aussi bien rester à la maison pour élever ses enfants et n'avoir aucune source de revenus, par conséquent. Dans mon cas, c'est tout à fait l'inverse, toutes les dépenses du foyer sont à ma charge : factures, loyer, frais médicaux, fringues et cours de musique de ma fille… La paye de mon mari ne suffit même pas à faire le marché. Comme il a un enfant d'un précédant mariage, il doit aussi s'acquitter d'une enveloppe tous les mois. En plus de couvrir tous les frais, je m'occupe également de la popote et du ménage. Un travail ingrat qui me pompe mon énergie, réduit mon temps de repos et qui, plus est, n'est même pas rétribué. Je me sens tellement lésée surtout lorsque je vois mes collègues mariées profiter de leur paye pour leur plaisir personnel. Moi aussi, j'aurais souhaité me faire entretenir par mon époux et dépenser mon fric en shopping, vêtements, babioles, coiffeuse, esthéticienne, restau entre copines… A plusieures reprises, j'en ai discuté avec lui. J'aurais souhaité qu'il trouve un second boulot ou qu'il en déniche un autre mieux payé. Pour calmer le jeu, il me promet de faire un effort mais cela fait quatre ans que cette situation perdure. Je le soupçonne de se sucrer sur mon dos et cela me rend folle de rage. Nos disputes sont interminables et cette question d'argent mine notre vie de couple, je l'avoue.» Visiblement, la disparité des salaires dans le couple pose problème lorsque la femme a de meilleurs honoraires que son époux.
Souad, 45 ans, deux enfants, professeur de mathématiques
Souad a réussi à mettre du beurre dans ses épinards en acceptant un second poste d'enseignante dans une école privée des hauteurs d'Alger. En plus de ses deux emplois, Souad donne des cours de maths à des élèves, à son domicile. Elle est au bout du rouleau mais ses efforts sont récompensés. «Mes revenus mensuels s'élèvent à 180 000 DA, confie-telle. Quant à mon mari, il travaille comme aide- soignant à l'hôpital avec un salaire moyen qui part en fumée dès la première semaine. J'aurais aimé qu'il gagne plus que moi pour me gâter, m'offrir des cadeaux, des sorties et des voyages. Toutes les femmes aiment être chouchoutées par leurs hommes. Dans mon cas, les rôles sont inversés. C'est moi qui régale ! Je me sens exploitée et je me dispute souvent avec lui à cause de l'argent. Je signe et persiste : c'est au radjel de casquer pour sa femme et non le contraire», assène Souad. Dans certaines familles, le sujet des salaires est tabou. Cette question est à prendre avec des pincettes, notamment dans le cas où le salaire de madame dépasse largement celui de monsieur. Humiliés, touchés dans leur amour propre, certains époux concernés par cette question font profil bas.
Hacène, 39 ans, fonctionnaire
Il accepte de nous parler de son cas. Il est fonctionnaire et gagne à peine 29 000 DA. Son épouse, quant à elle, exerce un métier d'avocate. Installée à son compte, elle jouit d'une situation enviable. «Cela me met mal à l'aise, confie Hacène. Il y a d'abord le regard des autres : famille, amis, société. La moquerie, l'ironie et les insinuations ne sont jamais loin. Dès que les gens apprennent qu'un simple cadre est marié à une avocate travaillant à son compte, ils tiquent. Culturellement, on est habitué à ce que le mari assume toutes les dépenses de son foyer. Quand les hommes sont mieux payés, ça passe, mais lorsque les femmes gagnent plus que leurs conjoints, ça casse. Personnellement, je souffre de cette situation. Ma fierté d'homme et mon égo sont égratignés. Ma belle-famille en rajoute me faisant sentir que je dois ma vie confortable à leur fille. Ma femme ne rate pas, elle aussi, l'occasion de m'envoyer des pics du genre : «Si les enfants ont des vacances, c'est grâce à moi». «S'ils portent des vêtements de marque et qu'ils font du tennis, c'est avec mon argent» et j'en passe. Des mots qui me blessent et me rabaissent. Je dois admettre que les femmes sont inconstantes. Elles dénoncent le machisme avec véhémence mais sont les premières à exiger d'être entretenues par les mâles. Aller comprendre quelque chose !» Il existe aussi une autre catégorie de femmes qui jurent avec le schéma conventionnel. Elles ont fait de brillantes études, ont un poste valorisant mais ont épousé des compagnons de statut inferieur. Raison invoquée : peur de rester vieille fille.
Maya, 40 ans bac+5, commerciale dans une multinationale
Maya est mariée à un gardien de sécurité. «De rupture en rupture, je voyais le temps filer avec une angoisse grandissante. Lasse d'attendre en vain le prince charmant, je me suis rabattue sur ce gentil garçon aux revenus modestes certes, mais aux grandes qualités. Entre nos salaires, il n'y a pas photo. Rester vieille fille ou entretenir mon mari, le choix était cornélien. J'ai préféré mettre un terme à ma solitude», nous révèle cette ex-célibataire. On a beau vivre au XXIe siècle, certains codes sociaux sont immuables. Dans l'esprit de beaucoup de personnes, un homme avec un grand «H» c'est celui qui assure le plus financièrement. Gagner moins que sa compagne, c'est s'exposer à des brimades doublées d'humiliation. Une fierté traînée dans la boue dont très peu de maris sortent indemnes sur le plan moral.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)