Algérie

Je crains pour la stabilité de l'Algérie



Rencontré lors de la conférence internationale sur «le Printemps arabe et l'Inde», organisée par la Jamia Millia (El Azhar de l'Inde), et qui s'est conclue le 17 février à Delhi, Azzedine Layachi, expert du Monde arabe, nous livre sa lecture de la situation politique, économique et sociale en Algérie. Sans détour, il nous confie son inquiétude face à l'immobilisme qui, selon lui, paralyse et enlise le pays chaque jour davantage.- Pourquoi l'Algérie est-elle vue comme la grande absente du Printemps arabe '
Ce n'est pas vraiment une absente, il y a eu l'esquisse d'un Printemps qui n'a pas abouti à la fin des années 1980. S'en est suivi, sous la pression de la rue, un processus de réformes extraordinaire. Malheureusement, cela n'a pas duré, parce que ni les institutions, ni le contexte politique, ni les forces politiques elles-mêmes, qu'elles soient populaires ou étatiques, n'étaient prêtes et préparées à un changement radical. Ensuite, il y a eu la mauvaise tournure des années 1990. Durant cette époque, le régime politique a continué à réformer, mais cela s'est réduit avec le temps. Le changement désiré est loin d'être atteint. C'est un fait que le Printemps arabe n'a pas eu autant d'effet en Algérie, mais le peuple est à l'écoute. Je peux dire que dans un futur, ni immédiat ni lointain, il y aura une autre révolution. Si l'Algérie n'ouvre pas ses institutions, n'accepte pas le pluralisme, ne procède pas à des réformes économiques intégratives, nous risquons une autre explosion. Ce sera la suite du Printemps des années 1980.
- A quelques mois des élections législatives, comment voyez-vous le futur de l'Algérie '
L'Algérie a un potentiel énorme, mais vu la situation qui prévaut actuellement, et si rien ne change et de façon fondamentale, je crains que la stabilité, l'unité et le développement de l'Algérie ne soient compromis. Si rien de sérieux n'est fait, il faut s'alarmer. A l'Algérie, il manque une équipe d'élite, de dirigeants technocrates, avec une vision lointaine sur l'avenir du pays. Vision basée sur l'étude approfondie, objective, des réalités algériennes, de ses ressources humaines et naturelles, de l'environnement international, économique et géostratégique, dans l'environnement régional. Il faut que cette élite atteigne une compréhension urgente et profonde de l'Algérie, insérée dans l'économie globale. La classe politique actuelle doit se retirer et laisser la place aux jeunes, mais pas aux jeunes aliénés, subordonnés aux mouvements obscurantistes, ni à ceux victimes de tiraillements politiques. Autrement, un scénario dramatique attend l'Algérie.
- Un des intervenants indiens a affirmé qu'il n'y avait pas de sociétés civiles dans le Monde arabe. Approuvez-vous ce constat '
En 1998, je suis parti au Maroc pour étudier la société civile de ce pays. A la place, j'ai trouvé une vie associative extraordinaire, que j'ai résumée dans mon ouvrage Etat, société et démocratie au Maroc, les limites de la vie associative (1). En Algérie, on assiste à une situation similaire. Ces associations, groupes sociaux, économiques, culturels, accomplissent un effort constant pour influencer les décisions politiques à travers les médias, les lobbies? C'est une dynamique qui se joue entre la société et l'Etat. Les associations, c'est l'agent intermédiaire. Cependant, lorsqu'il y a une société civile, l'Etat ne décide pas arbitrairement. Dans la région, les Etats n'ont pas permis l'éclosion d'une société civile. A la place, ils ont préfabriqué des organisations de masse mobilisées pour légitimer les décisions gouvernementales (UGTA?). Une société civile algérienne ' Elle est en gestation, mais sa naissance sera difficile. Cela viendra, comme dans les autres pays, mais seulement au prix d'une lutte constante. C'est à la société d'imposer ce changement pour jouer son rôle activement.
- Concernant les médias, pensez-vous qu'ils jouent un rôle crucial en Algérie '
Leur rôle est extrêmement limité. L'audiovisuel reste aux mains du gouvernement. Les promesses pour son ouverture n'ont pas été suivies d'actes. Le ministre doit trouver cette capacité de forcer les choses, mais cela, nous le savons, ne dépend pas d'un ministre, fut-il ancien journaliste. Il faut reconnaître cependant que la liberté de la presse en Algérie est plus grande que dans les pays voisins. La presse écrite est critique avec les autorités, mais même cette liberté est limitée. Il y a encore des thèmes tabous, les questions sécuritaires, par exemple. Certains journalistes ont même été incarcérés pour cela. Un autre handicap de la presse écrite reste la qualité du journalisme exercé. Une grande médiocrité caractérise dans l'ensemble les journaux ; trop de commentaires là où on s'attend à trouver l'information, très peu d'analyses lucides, pertinentes? Il existe encore des liens bizarres entre certains journaux et certaines sphères du pouvoir. Cela limite, évidemment, l'objectivité de l'information relayée. Espérons que les nouvelles générations de journalistes seront plus professionnelles, pour pousser plus loin la liberté de la presse. Cela exigera des luttes et des sacrifices.
- Internet peut-il raccourcir ce temps '
On en est encore au stade de balbutiements en Algérie, à cause d'une connectivité très limitée. Si les pouvoirs publics augmentaient la couverture et la rapidité des connexions internet, cela pourrait pallier les insuffisances de la presse actuelle, à condition que l'Etat libéralise internet sans se sentir menacé. Malheureusement, rien n'est moins sûr.
- Est-ce que vous pensez au retour en Algérie '
C'est une idée qui me traverse l'esprit depuis plusieurs années. Le problème, c'est que lorsque j'en parle en Algérie, à mes amis et à mes proches, on me dit que je suis fou. Personne ne me prend au sérieux. Pourtant, si je recevais une proposition valide, je l'examinerais très sérieusement.
-1) Edité au Center for Contemporary Arab
-2) Edité chez Praeger, New York


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