Algérie

Jadis, le quartier de Belcourt…



Jadis, le quartier de Belcourt…
Si aujourd'hui, je trempe ma plume dans le fiel, c'est pour décrire la vacuité d'une existence ; l'état de déliquescence prononcé des quartiers algérois dont la commune de Belouizdad, anciennement Belcourt, fait partie intégrante.A l'orée de l'indépendance, issu de la capacité du quartier à suggérer d'embellir certains lieux comme la place du 11 Décembre 1960 et l'esplanade qui accueillait une ex-unité de la SNNGA et le kiosque, le cube du regretté ammi M'barek puis de Arbadji et où la mascotte «Petrous», disparu il y a quelques années, animait une ambiance sociale.Le paysage serein de ce quartier mythique défilait à grande vitesse. Les jours s'écoulaient paisiblement sous un ciel céruléen, contribuant efficacement à la joliesse des visages angéliques, les sylphides qui ne manquaient pas de jeter un ?il sur ce point de rendez-vous des plus prisés des Belcourtois. Il n'y avait pas encore ce genre d'éclectisme des relations, établi à partir d'une richesse ostensible pour appartenir au Tout-Alger. Avec la rue de la Marine, La Casbah, Soustara, Bir Djebbah, Zoudj Ayoun, Ayoun Zrok, Bab El Oued, Fontaine Fraîche, El Harrach (le parc) et Belcourt, on entre soudainement dans le Vieil Alger. Connu pour avoir déclenché la manifestation du 11 Décembre 1960 et dont les clameurs parvinrent jusqu'à Manhattan, à en croire le regretté moudjahid et dramaturge Habib Réda, Belcourt et l'ensemble des villes et villages de l'Algérie profonde allaient changer le cours de l'histoire. Le 5 Juillet 1962, jour de liesse, a été vécu à travers toute l'Algérie. Aujourd'hui, la danse triste que nous peignons voudrait rendre sensibles ces années d'adolescence, de jeunesse ; années délicates et intuitives qui nous furent tolérées à nous les derniers pionniers de l'Algérie à la croisée des chemins.La moelle substantifique de cet écrit réside dans le fait que les jeunes gens du quartier que nous étions, à l'instar de nos compatriotes de toutes les régions du pays, avaient toute latitude de chercher, de s'interroger sur l'avenir du pays et sa capacité à se hisser sur la plus haute marche du podium de la performance intercontinentale. Notre pays au milieu des années 1970 était, sans conteste, le phare du tiers-monde : ce néologisme créé par l'économiste français Alfred Sauvy finira par entrer dans le langage courant pour constituer une force de persuasion non négligeable. Le bloc de l'Ouest et les Etats-Unis étaient contraints de composer avec le groupe des 77 devenu dès lors un bloc monolithique après la conférence tenue à Alger en 1967.Belcourt était doté de belles demeures anciennes, de bâtiments juxtaposés dont le ravalement des façades ajoutait à la blancheur immaculée d'Alger. A l'occasion d'une solennité, d'une fête, le quartier était pavoisé du drapeau national ; les rues jonchées de jasmin et de mesk ellil répandaient une fragrance agréable. Belcourt avait ses grands jours d'étiquette : une fête donnée par le grand Chabab Riadhi de Belcourt (CRB), couronné du titre de champion d'Algérie de football de division nationale une, détenteur de la Coupe d'Algérie, un mariage, une circoncision animée par les grands maîtres du chaâbi, un concert d'artistes donné dans la magnifique salle de cinéma, ex-Le Roxy. Telles étaient les occasions où le quartier déployait toute sa coquetterie et revêtait le manteau protecteur de Sidi M'hamed Bouqabrine.LE QUARTIER DEPOUILLE DE SON PRESTIGEAujourd'hui, ce quartier mythique est dépouillé de son prestige. Comme les montagnes sacrées des Indiens navajos, dépouillées des ch?urs qui parcouraient leurs sommets, les sorciers, les flambeaux, les huttes et les clameurs divines ont dévalé la pente. Une émotion terrible nous serre la gorge... le fumet du passé. Un rêve de jeunes étudiants et de jeunes travailleurs. Comme tous les quartiers du Grand-Alger, Belcourt vivait au rythme imposé par le dynamisme que les habitants dégageaient. Il incitait à se lever tôt pour respirer l'air du matin et secouer l'engourdissement de l'esprit dû au sommeil. Les cafés comme Les Messageries, Le Rialto, La Gaieté, Moka Milk, Palais des Sports, Djurdura, Le Palmier, Mondial Milk..., ouverts pour certains 24/24, offraient un service complet au bonheur des clients qui repartaient satisfaits et repus.De tous ces lieux de convivialité, la palme revient incontestablement aux Messageries et surtout le café au salon de glaces le Mondial Milk. Voici la petite histoire d'un serveur hors du commun de ce fameux établissement qui, comme tous les autres, n'existe plus malheureusement. Il s'agit de «Sid-Ali, Palestro», le gentleman serveur. Un jeune homme des années 1960-1970 portait des chemises à fleurs, des chaussures vernies «Sirius» ou des clarks ; un pantalon pattes d'eph, un blouson en cuir, un ensemble peau de pêche Wrangler. Parfumé au Fabergé, il allait se faire une coupe de cheveux chez «Le pourquoi pas», salon de coiffure mixte où les jeunes filles en fleurs aimaient aussi se rendre pour une coupe à la Stone et Charden, coiffées, peignées par le talentueux «Salah Fetoussi» qui manipulait avec dextérité les ciseaux. D'autres se rendaient chez le plus titré des artistes locaux aux championnats du monde de la coiffure «Salon Benguella».Sid Ali a appris l'art de la courtoisie et du sourire permanent dès son jeune âge. Si on croit qu'il est question d'un dandy, d'un playboy, oh ! Oui, c'en est un. Il fut l'un des meilleurs serveurs, garçons de café de la place d'Alger après ammi Amar du Cintra (Hôtel Safir, ex-Aletti), du persifleur Maurice (Cercle Taleb-Abderrahmane, ex-Otomatic) de Mokrane du Novelty et de Ali Tango du Tafourah.Pour figurer parmi l'élite, il a dû se rendre à l'étranger, notamment en France. C'est à Nice, la deuxième ville française après Marseille de la région PACA, qu'il s'installera. Il va se perfectionner auprès des grands maîtres de la profession. Il y travailla de 1963 à 1967 dans des pianos-bars de renom que comptaient cette ville de la Riviera méditerranéenne.A la fin de l'année 1967, il décide de rentrer au pays pour mettre à profit son expérience et son savoir-faire. Il avait tout juste vingt-sept ans. Dans cette catégorie socioprofessionnelle, le marché de l'emploi était florissant à Alger et pour dégoter un emploi, ce n'était pas aller chercher un éléphant dans la savane africaine, alors qu'on pouvait en voir au cirque Amar ou au cirque Bouglione.TRAVAILLER DANS SON QUARTIER NATALLe Mondial Milk, grand café, salon de glace avec terrasse sur la grande avenue Belouizdad, venait tout juste d'ouvrir ses portes. Le patron, ammi Hcène, ancien mandataire des Halles centrales d'Alger, s'était juré de rivaliser avec les meilleurs salons de glace de la place d'Alger: Le Névé, La Fleur du jour, Grosoli et Müller. Comme le métier de serveur professionnel était le violon d'Ingres de Sid Ali Palestro, de surcroît connu comme le loup blanc dans la profession, ammi Hcène sollicita ses services en lui offrant un salaire mirobolant. La tenue blanche et le papillon noir ramenés dans ses bagages, sa coiffure à la banane genre Elvis Presley, sa fine moustache à la Clark Gable et sa toilette parfaite dans une figure juvénile, son incontinence verbale et le service impeccable faisaient la joie d'une clientèle mixte, salle et terrasse. Porté au pinacle par le plus vieux outil de communication : le bouche-à-oreille, l'établissement finira par drainer la grande foule, issue de tous les quartiers de la place d'Alger. Ammi Hcène ne pouvait que se réjouir. Sid Ali Palestro était devenu une attraction à part entière.C'est vrai encore que sa physionomie de jeune premier et son goût des éléments esthétiques ont façonné son intelligence et même s'il exerçait le même métier que d'autres, il ne leur ressemblait pas car beaucoup ne méritaient pas de porter le tablier. Au démantèlement des grands cafés, salons de glace et autres lieux de rencontre et de convivialité, il regagnera l'Europe pour s'installer en Italie où nous apprenons sa mort en 2007.A l'orée de l'indépendance et bien après, il n'existait pas encore de sélection établie à partir de la richesse pour habiter un quartier du centre d'Alger. Les quartiers des hauteurs d'Alger qu'on se plaît aujourd'hui à désigner de huppés n'étaient autre qu'un paysage parsemé de maisons individuelles modestes, servant beaucoup plus de refuge pour certains Français d'Algérie, généralement de vieilles personnes qui venaient s'y reposer pour échapper, le temps d'un week-end, au tumulte de la ville.Les gens préféraient habiter les centres névralgiques comme Belcourt, Bab-El-Oued, Husseïn-Dey, Saint-Eugène... où l'ambiance était permanente.DEPUIS, LES TEMPS ONT CHANGEDepuis lors, les temps ont changé et l'ambiance conviviale de jadis a changé de camp. La muse Thalie a quitté les sommets de l'Hélicon pour le Tout-Alger.La vie sybaritique a pris de l'ampleur et a fini par estomper les coutumes et traditions de nos aïeux.On dit généralement que la valeur de la vie ne peut se mesurer qu'au nombre de fois où on a éprouvé une passion ou une émotion profonde. L'amour qu'on porte à Belcourt est une vive inclination à sa sauvegarde qui a fini par devenir une obsession quand on a appris et constaté que des éléments immobiliers qui ne demandaient qu'à être restaurés ont été démolis et leurs occupants délocalisés.La démolition massive de ce quartier hautement historique, inscrit au programme de rénovation du Grand-Alger, n'est autre que la mise en ?uvre d'un système perfide par le supposé dynamisme immobilier dont les contours sont de remplacer les habitants des quartiers populaires par des catégories sociales plus aisées, favorisant ainsi l'absence de mixité sociale. L'admiration, la vénération qu'on porte à ce quartier sont une joie continuelle, profonde et durable pour ce qui dépasse l'ordinaire.Aristote a écrit Aimer, ce sera pour quelqu'un ou quelque chose ce qu'on pense être un bien eu égard à l'intérêt qu'il porte, et inéluctablement le fait de se rendre capable de réaliser ce bien. Le quartier de Belcourt mérite comme tant d'autres de redorer son blason et éviter à ses habitants un sentiment d'aversion, eux qui n'aspirent qu'à la considération d'appartenir à une grande nation.Aujourd'hui, on constate avec amertume le désarroi de la jeunesse qui a généré des marginaux de toutes sortes, les uns égarés, les autres sujets à la violence... Ce phénomène qu'on ne connaissait pas par le passé, ni même entendu parler, on l'a découvert dans le film de Stanley Kubrick, Orange Mécanique. Dieu nous épargnait encore de cette calamité urbaine.Ce mal lancinant qui ronge la société auquel s'ajoute l'ennui persistant, caractérisé par le vide culturel est un mal humain à prendre très au sérieux. Le royaume de la jeunesse bâti par les mains de la vertu a été comme soufflé par une tempête du 42e parallèle ; la plupart de nos arts si florissants autrefois sont tombés dans l'affadissement.La tristesse accompagnée de l'apathie qui touche presque tous les quartiers de l'Algérois et toutes les villes d'Algérie livrent à la population un tourment indicible.L'honneur, défini comme une passion, constituait notre apanage. Le remords insupportable de l'avoir perdu et la belle et douce nostalgie de l'avoir gagné du 5 Juillet 1962 au 28 Décembre 1978.




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