Les poètes baghdadis pleurent la rue El Moutanabbi La rue El Moutanabbi est connue pour être le tendon culturel de Baghdad. Toutes les œuvres littéraires qui s’éditent dans le monde arabe, sont lues et décortiquées dans ce centre culturel. Mais, depuis qu’un attentat y a été perpétré la semaine dernière, faisant 30 morts et plus de 60 blessés, la rue El Moutanabbi a perdu sa magie intellectuelle. Les librairies sont dévastées, les bouquinistes terrorisés quittent la profession pour se préserver, et les amateurs de bonnes feuilles sont orphelins de rêve une nouvelle fois. La rue El Moutanabbi, avec ses boutiques de livres et de reliques, ses galeries de peinture et ses lieux de rendez-vous intellectuels ou il fait bon de discourir sur la liberté, sur la science et sur la nature, s’est écroulée, implosée dans son cœur pour avoir résisté, tant bien que mal, au despotisme des tartares d’Asie et du Pentagone. La rue El Moutanabbi a eu la moitié de ses murs, ses portails, ses moucharabiehs détruits par la bombe mais son âme est restée intacte. Pour attester de sa grandeur, au moment du fracas, des lignes des livres et les pages épopées se sont soulevées dans un ciel bleu. Pour accompagner la colère des poètes baghdadis. Mais les poètes de Baghdad, jaloux des strophes de leur ville musée, fiers face à la destruction, refusent dignement de céder à la malédiction. Et, jeudi aux premières heures de la journée, ces diseurs de vers se sont rassemblés sur les décombres de la rue El Moutanabbi et sous les brillances du Tigre, pour déclamer les strophes du refus. Leurs cris se sont élevés pour ignorer l’autodafé des livres et le bûcher des corps. Même si leurs odes sont tristes et peu épiques. «Qu’est-il advenu des poèmes et de la poésie, couverts de sang et reposant avec les âmes dispersées et les corps sous les débris?». Juché sur le capot d’une voiture calcinée, Jabbar Mouhaibs, professeur à l’Académie des Beaux Arts, criait sa rage. «La lumière ne s’allumera plus ici» affirmait-il pour dater «la fin de la vie culturelle» dans le nombril de Baghdad. Son alerte est reprise par l’autre ténor de la poésie irakienne, Abdel Zahra Zaki:»Mots, mots, mots. Il n’y a rien ici, il n’y a rien d’autre que des mots qui brûlent». La rue El Moutanabbi est légendaire par ses lecteurs avides de connaissances au point où un célèbre proverbe assure que «les livres arabes sont écrits au Caire, publiés à Beyrouth et lus à Baghdad». La grande image demeure le geste du poète Dawood Salamn qui a brûlé sa chemise pour exprimer le feu qui le consume de l’intérieur devant les milliers de livres qui se consomment en plein air: «les feux de la violence et les feux de la destruction ne doivent pas détruire nos espérances». Les Algériens qui ont subi ce drame dans leur mémoire et leur chair entendent parfaitement cette sentence. Parce qu’au point culminant de la crise, les peuples écoutent leurs poètes et se reprennent. La preuve, c’est le poète Tawfik Timemi qui la donne:»Nous ne renoncerons pas, même si les crimes visent notre culture. Nous ne cèderons pas à la répression. Nous devons reconstruire la rue Moutanabbi pour que la culture puisse fleurir de nouveau». Mounir Naisou
Posté Le : 11/03/2007
Posté par : sofiane
Source : www.voix-oranie.com